La retraite à 70 ans contre un "droit au répit"

Par Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences en philosophie à la Sorbonne (auteur, avec Eric Deschavanne, de "Philosophie des âges de la vie", Pluriel, 2008).

Il y a une énigme dans le débat sur les retraites. On sait au moins depuis le livre blanc de 1991 que le système actuel ne peut pas tenir - il y a toujours plus de pensionnés pour moins de cotisants -, et pourtant les réformes peinent à se mettre en place et accumulent les retards. On a identifié avec certitude les trois leviers d'action possibles - revoir la durée de cotisation, retarder le départ en retraite, abaisser le montant des pensions -, mais, faute de consensus, il est impossible de les mettre en place de manière équilibrée.

On nous a expliqué que la répartition était menacée par la démographie, tandis que la capitalisation était mise en péril par les soubresauts de la finance, mais la combinaison des deux reste toujours incertaine. Pourquoi un tel écart entre le diagnostic et la thérapie ? Sans doute parce que, en France tout au moins, la force du symbole prend souvent le pas sur la puissance du réel ; et le XXème siècle a tellement peiné à réaliser les rêves du XIXème qu'on voit mal comment le jeune XXIème mettrait tout cela à bas d'un seul coup d'un seul.

Et pourtant, il le faudra bien. Mais cela ne se fera de manière pacifiée que si l'on déplace vers le terrain du symbole et du sens sans se contenter d'un discours exclusivement technique, comptable et négatif. Car ce n'est pas en insistant sur les seules contraintes démographiques, économiques et budgétaires - pourtant incontestables - qu'on parviendra à concurrencer et relancer l'épopée des conquêtes sociales. Or, en répétant depuis presque vingt ans qu'"on va dans le mur !", on a fini par oublier que la réforme des retraites mettait aussi en jeu des dimensions existentielles et positives.

Les questions sont pourtant massives : que faire du temps gagné sur la mort ? Doit-il être affecté à la période inactive de l'existence alors même que le travail continue d'être le principal vecteur d'identité de la personne ? La retraite, jadis conçue comme un bref repos après une vie de labeur, doit-elle constituer la majeure part de l'existence ? Faut-il se résoudre à la perspective d'une vie ainsi découpée : 30 ans de formation ; 30 ans d'activité ; 30 ans de retraite ? En admettant même que ce soit possible, est-ce souhaitable ?

Rien n'est moins sûr. On le perçoit d'emblée pour les deux premières périodes. La formation se fait "tout au long de la vie" et déborde de la seule jeunesse : au-delà de l'éducation initiale, c'est une nécessité de la vie professionnelle (formation continue) et c'est une aspiration de la période post-professionnelle (université du troisième âge, reprise tardive d'études). De la même manière, l'exigence d'une activité rémunérée concerne aussi bien la jeunesse (le "job") que la vieillesse (la seconde carrière). Et si nombre de nos concitoyens aspirent à la retraite, ce n'est pas pour cesser toute espèce d'activité mais, de plus en plus, pour en envisager une autre, plus sereine, moins frénétique et peut-être plus libre (comme le montre le succès de l'auto-entrepreneur). Il y a donc aussi une "activité tout au long de la vie".

Alors pourquoi ne pas envisager, dans le même esprit, la possibilité d'une sorte de "retraite tout au long de la vie" ? Imaginons que l'on décide de repousser l'âge de la retraite à 70 ans, mais qu'en contrepartie chaque salarié dispose d'un "droit au répit" d'un ou deux ans au cours de sa carrière professionnelle. Est-ce un doux rêve ? Pas tout à fait. La Suède a offert la possibilité d'une telle année sabbatique rémunérée sans aucune espèce de justification médicale ou professionnelle.

L'idée était simple : puisque l'espérance de vie nous fera travailler beaucoup plus longtemps, il faut proposer une année de retraite au choix avant la retraite plus tardive. Tout le monde y gagne. Inutile de dire que cette mesure n'avait pas suscité l'enthousiasme des experts de l'OCDE chargés du rapport sur la Suède (2005) : économiquement absurde, disaient-ils. Elle est pourtant pleine de sens.

Car il suffit de regarder autour de nous : le désir de souffler un peu, de prendre du recul, de sortir de la frénésie quotidienne est ce qui réunit l'immense majorité des salariés, dans un contexte professionnel qui s'est considérablement durci et où la pénibilité a changé de nature. Est-il interdit de penser qu'il y aurait, dans ce "droit au répit", un symbole suffisamment puissant pour envisager autrement - et de manière plus positive - la réforme des retraites ?

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Commentaire 1
à écrit le 21/05/2010 à 4:48
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Tellement évident que l'on ne comprend pas comment cette idée n'est pas apparu plus tôt. Ni pourquoi je ne parviens pas à faire édité un essai sur cette question ? Philippe LE BELLEC (45)

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