L'économie du carbone incomprise du Palais-Royal

Par Matthieu Glachant et François Lévêque, professeurs d'économie à Mines ParisTech.

En jugeant que, par leur importance, les régimes d'exemption à l'application de la taxe carbone étaient contraires à l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique, le Conseil constitutionnel a fait preuve d'une singulière ignorance des mécanismes économiques. Ne sait-il pas que l'attribution gratuite de quotas d'émission aux entreprises ne remet pas en cause leurs effets vertueux sur le climat ? Il semble ignorer tout autant qu'une taxe à l'amont se répercute en partie à l'aval. Et que l'extension de la taxe carbone aux entreprises exemptées par le parlement viendra alourdir la facture pour les consommateurs.

Première erreur de jugement du Conseil, la gratuité des quotas serait synonyme d'inefficacité environnementale. Selon lui, il ne serait donc pas légitime d'exempter de la taxe carbone les centrales thermiques et les grands émetteurs industriels de gaz carbonique (cimenteries, cokeries, sidérurgies, etc...) au motif qu'ils sont soumis depuis 2005 au système d'échange de quotas d'émission.

Ce dispositif institué par une directive européenne repose en effet sur une distribution gratuite des droits à polluer aux industriels. Ils peuvent ensuite les utiliser pour émettre du carbone ou les vendre sur le marché européen des quotas à d'autres entreprises qui les utiliseront pour émettre plus que leur allocation initiale.

Or, d'un point de vue environnemental, le marché des quotas est un jeu à somme nulle : les échanges ne font que répartir différemment les efforts de réduction de la pollution. Le niveau global des émissions est uniquement déterminé par la quantité de quotas distribués initialement par l'État. Qu'elle soit allouée gratuitement ou vendue aux enchères ne change rien.

D'un point de vue financier aussi, un système de quotas gratuits est un jeu à somme nulle. Il ne génère que des transferts entre les entreprises participant au marché, l'Etat ne récoltant aucune recette supplémentaire. Or, ce profil distributif est similaire à celui de la taxe carbone payée par les ménages. La loi de finances prévoyait en effet un chèque vert leur restituant au niveau global l'intégralité de la recette de la taxe. L'Etat redonnant d'une main ce qu'il prenait de l'autre. Comme pour les industriels, l'Etat n'aurait ainsi pas bénéficié de recettes additionnelles. Où est donc la "rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques" créée selon le Conseil par l'exemption des entreprises soumises aux quotas gratuits ?

Plus globalement, les membres du Conseil constitutionnel ont une étrange conception de l'effet des charges sur l'entreprise. Une taxe unitaire sur les matières premières ou sur les biens intermédiaires se propage intégralement ou en partie au consommateur final. Cette règle vaut pour les permis d'émissions de CO2 et les taxes carbone payées par les entreprises. Leurs taux de transmission varient d'un secteur à l'autre. Pour les cimenteries qui disposent d'un pouvoir de marché local, il est proche de 1, pour les producteurs d'électricité de zéro car le prix de détail est administré. Prenons pour illustrer l'effet des quotas européens affectant aujourd'hui les entreprises les plus polluantes une valeur moyenne de 0,5. Lorsque le prix des permis d'émission est à 17 euros la tonne de carbone, le consommateur français en paye donc la moitié, soit 8,5 euros.

Si, à la suite de la décision du Conseil, le gouvernement décide de faire payer une taxe carbone du même montant à ces entreprises, le même effet se produira : il paiera également 8,5 euros supplémentaires. En d'autres termes, pour rétablir l'équité en faveur des consommateurs, le Conseil constitutionnel préconise de taxer les entreprises exemptées, ce qui alourdira encore la facture carbone des consommateurs !

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