Pour une taxe carbone universelle à taux unique

Au lieu de multiplier les exemptions, le gouvernement ferait mieux de moduler équitablement, et avec plus de transparence, la redistribution du revenu d'une taxe carbone qui a vocation à être unique et universelle. Pour vaincre les réticences politiques, l'Etat, qui prépare une version 2 de sa taxe pour le 1er juillet, doit donner aux agents économiques des gages de sa volonté de redistribuer les revenus de la taxe.

En décembre dernier, le Conseil constitutionnel a rejeté le projet de taxe carbone sur la base de deux arguments. D'une part, les régimes d'exemption attribués à de nombreux secteurs d'activité sont contraires à l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique. D'autre part, ils créent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Ces deux points sont d'ordre juridique. On peut néanmoins s'interroger sur leurs fondements économiques.

Faire payer aux entreprises, aux administrations et aux particuliers une taxe basée sur les émissions de CO2 que provoque leur consommation d'énergie a pour but de les inciter à diminuer celle-ci ou à se tourner vers des énergies plus propres. Exempter certains de la taxe signifie renoncer à leur faire modifier leur comportement. Cependant, les grandes entreprises de plusieurs secteurs d'activité (centrales thermiques et industries les plus polluantes telles que raffineries, cimenteries et verreries), soumises à des quotas d'émission de CO2 établis au niveau européen depuis 2005, sont déjà incitées à réduire leurs émissions.

En effet, les "droits à polluer" attribués à ces entreprises par Bruxelles, et qui diminuent avec le temps, sont échangeables sur un marché. Selon l'évolution de leur niveau d'émission, les industriels concernés peuvent en vendre ou doivent en acheter. Ils ont donc un intérêt objectif à investir pour améliorer leur efficacité énergétique. De ce point de vue, l'exonération des secteurs soumis à ce système de quotas n'est pas contraire à l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique.

Plus problématique est le taux réduit appliqué aux activités agricoles, de pêche ou de transport routier. Il implique une plus faible réduction des émissions dans ces secteurs, mais il prive également l'économie française de réductions possibles à bas coût. D'un côté, certains acteurs investiront pour diminuer leurs émissions, car l'émission d'une tonne de CO2 leur coûtera 17 euros. D'un autre côté, les entreprises des secteurs exonérés vont ignorer des opportunités d'investissement bien moins coûteuses. Cette inefficacité de la répartition du coût de réduction des émissions gonfle la facture globale pour un objectif national donné. Le même raisonnement s'applique pour les grandes entreprises polluantes si le prix des quotas d'émission diffère du montant de la taxe.

Certes, ces exonérations sont motivées par l'importance politique et la fragilité économique des secteurs concernés. Mais, s'il faut soutenir ces secteurs, ce qui peut se justifier non seulement politiquement mais économiquement, la taxe carbone n'est certainement pas le bon instrument. Il existe une panoplie de mesures notamment fiscales qui pourraient être ajustées pour compenser le surcoût lié à la contribution carbone. Il en va de même pour les consommateurs aux revenus modestes qui, proportionnellement, seront les plus pénalisés par la nouvelle taxe. On peut imaginer une augmentation des aides sociales pour compenser la nouvelle taxe.

D'un point de vue économique, la contribution carbone est un prix associé au CO2 qui doit être unique et supporté par tous pour que la lutte contre le réchauffement climatique soit efficace. Certes, on peut justifier une gratuité des premières unités d'émissions de CO2 jugées indispensables et incompressibles. Chacun a besoin de rejeter un peu de CO2 pour vivre ! Mais au-delà, chacun doit payer le même taux pour ses émissions de CO2, qu'il conduise un camion, un bateau, un tracteur ou une voiture. Le taux de la taxe ne doit pas être un instrument d'ajustement de revenus et de redistribution.

Rien n'interdit en revanche d'utiliser les revenus générés par la taxe pour cet ajustement, notamment pour soutenir les revenus des agriculteurs, pêcheurs, transporteurs routiers, ménages ruraux, familles nombreuses, qui dépendent plus que d'autres des énergies fossiles. Cette redistribution doit se faire non pas en fonction des émissions de CO2 des uns et des autres mais sur une base forfaitaire au moyen notamment du fameux "chèque vert". Ainsi le chèque versé à l'agriculteur vivant en milieu rural devrait être plus important que celui destiné à un cadre citadin.

En théorie, il est tout à fait possible de lutter contre le réchauffement climatique efficacement au moyen d'une taxe unique, et de réduire les inégalités creusées par cette taxe en même temps, en redistribuant judicieusement les fonds collectés. Mais cette belle théorie se heurte à la méfiance justifiée des contribuables sur l'utilisation de ces fonds. En pratique, le gouvernement doit donner des gages de sa volonté de redistribuer les revenus de la taxe.

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