CDS  : une réglementation contre-productive

Alors que Nicolas Sarkozy et Gordon Brown se sont entretenus du projet d'interdire les ventes "nues" de CDS souverains, aujourd'hui accusés de porter une lourde part de responsabilité dans la crise grecque, et que le projet doit être abordé lors de l'Ecofin de mardi, le professeur de finance à l'Edhec en décortique les nombreux obstacles juridiques et pratiques. Pour lui, assécher le marché des CDS souverains, c'est priver d'endettement les Etats.

Le projet d'interdiction des ventes "nues" de CDS (couvertures de défaillance, NDLR) souverains bute sur de nombreux obstacles juridiques et pratiques qui le rendent inapplicable, voire contre-productif. En premier lieu, il sera impossible, pour les intermédiaires et au final pour les régulateurs, de vérifier l'existence chez les investisseurs des titres représentatifs du risque supposé être couvert par le CDS. Ensuite, une stricte obligation de couverture par les CDS des risques des emprunts des Etats empêcherait, par voie de conséquence, ces derniers d'émettre de la dette sur des échéances longues, car le marché des CDS est peu liquide sur des protections à plus de dix ans.

Un autre effet secondaire de cette interdiction serait de rendre plus difficile une gestion active du risque de taux d'intérêt de leur dette par les Etats, car leurs contreparties ne pourraient alors plus se couvrir contre le risque souverain des "swaps" de taux qu'elles auraient signés. Or, cette gestion active de la courbe de taux est un élément important de l'optimisation du coût de la dette publique. Plus préjudiciable encore est le fait qu'une interdiction de vente "nue" définie très strictement empêcherait tous les investisseurs qui financent des investissements publics, ou des entreprises qui signent des contrats avec des États ou même des entreprises publiques, de se couvrir contre le risque de défaillance de leurs contreparties.

Au moment où les partenariats publics et le financement privé des infrastructures publiques sont décrit comme un des moteurs de la croissance mondiale, la réduction de la capacité à gérer le risque souverain l'expose au mieux à en renchérir le coût, au pire à fortement ralentir le développement. Enfin, en complexifiant et en rendant plus difficile le marché des couvertures de risque défaut, on est susceptible de priver le marché de la dette des États dont les notations ne sont pas bonnes, mais aussi d'investisseurs et donc de liquidité, ce qui renchérira inévitablement le coût de cette dette.

Bien sûr, certains commentateurs argueront que, faute d'interdiction de la spéculation sur le marché des CDS souverains, le risque est grand que d'autres pays connaissent les mêmes mésaventures que la Grèce et soient obligés de payer très cher leur financement. Ici aussi, il faut reprendre les choses dans le bon ordre. Si la dette grecque a fait l'objet d'une forte dégradation de son risque, et donc d'une forte hausse de son coût, c'est avant tout parce que l'économie et les finances publiques grecques vont mal. L'ensemble des dirigeants de la zone euro ont fait preuve d'un laxisme coupable, en ayant accepté que la Grèce s'éloigne fortement des normes budgétaires imposées à la zone.

Il est vrai qu'en s'affranchissant, même en période de relative croissance, du respect des critères d'éligibilité à l'euro, les leaders que sont la France et l'Allemagne ont envoyé un bien mauvais message à l'ensemble des petits pays dispendieux de la zone. Il est toujours difficile de donner une valeur à la discipline que l'on ne respecte pas soi-même. On comprend mieux aujourd'hui que madame Lagarde, qui a souvent dû expliquer à Bruxelles que les plans de redressement des finances publiques françaises ne seraient pas respectés au mépris des traités et des engagements pris, préfère évoquer le rôle des spéculateurs que celui des dirigeants européens dans la tragédie grecque et plus globalement dans les difficultés de l'euro.

L'arbre des CDS souverains grecs qui, au demeurant, sont d'un montant nominal net qui ne dépasse pas les 5% de la valeur de la dette publique hellène, ne saurait cacher la forêt d'une Commission européenne incapable d'imposer une discipline budgétaire aux Etats membres de la zone euro.

Au final et comme l'a opportunément rappelé le gouverneur de la Banque de France, la bonne régulation du marché des CDS repose sur la transparence et l'organisation centralisée de leur compensation et non sur des interdits.

Dans ce domaine, le retard européen doit être souligné. Aujourd'hui, en matière d'enregistrement et de compensation des dérivés de crédit, ce sont les infrastructures de marché américaines qui dominent. Les dirigeants français ou allemands, au lieu de dénoncer la main invisible des spéculateurs, devraient peut-être s'entendre rapidement sur la compensation centralisée en euro du marché des CDS, au risque de laisser les seuls acteurs américains prendre en main sa sécurité et ses marges.

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Commentaire 1
à écrit le 15/03/2010 à 16:54
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Totalement d'accord. Interdire les CDS ne reglerait rien, voire aggraverait le probleme. D'autant qu'il est toujours possible de vendre lesla dette souveraine a decouvert. Plus facile d'accuser les "vils speculateurs" que de se remettre en question ...

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