Pour une vision élargie de l'innovation

Par Delphine Manceau et Pascal Morand, respectivement professeur à l'ESCP Europe et directeur général d'ESCP Europe.

Ardente obligation pour la France et l'Europe, l'innovation est aujourd'hui le trait d'union des travaux conduits dans le cadre du grand emprunt, des états généraux de l'industrie ou encore de la politique universitaire. Il est donc primordial de déterminer le champ qu'elle peut et doit recouvrir. L'innovation est bien souvent dans les esprits associée à la recherche, ce qui laisse supposer que l'un ne va pas sans l'autre. On comprend bien l'objectif : associer à la recherche l'idée de ses débouchés, souligner qu'elle doit générer des développements. Cependant, la recherche aboutit, en cas de succès, à des découvertes ou à des inventions, non à des innovations. L'association systématique des deux termes occulte en réalité les caractéristiques de l'innovation et, surtout, sa diversité.

Au-delà de la recherche, l'innovation peut être générée par un travail sur les usages, sur les processus de production ou de prestations de services, et sur les modèles économiques. De nombreux secteurs renouvellent depuis quelques années leurs modèles économiques, qu'il s'agisse de la presse écrite avec l'avènement des gratuits et des sites Web d'information, ou du low-cost. La prise en compte d'objectifs de développement durable incite les entreprises non seulement à faire de l'écoconception, mais aussi à repenser les modes d'accès à leurs prestations en permettant une mise à disposition temporaire par laquelle les utilisateurs louent ou empruntent momentanément un bien plutôt que l'acheter : jeux vidéo, Vélib' à Paris ou Autolib' à Lyon.

 

Le marketing, le design, l'ingénierie, la créativité, le sens de l'air du temps occupent une place importante dans l'innovation. Un travail pertinent sur les usages est essentiel, que l'innovation soit ou non technologique. Il ne faut donc pas se concentrer sur une seule source de l'innovation, la recherche, au risque de renforcer notre tendance saint-simonienne à avoir une vision purement technique du progrès et de l'évolution économique en négligeant l'importance de l'appropriation des objets par leurs utilisateurs et de la dimension marketing indispensable pour générer des succès commerciaux.

Selon les chiffres de l'OCDE, notre pays occupe la dixième place européenne dans la capacité d'innovation et la seizième place pour ses PME. Seules 23% des entreprises françaises réalisent des innovations non technologiques, contre 57% en Allemagne. Ces chiffres montrent que la vision de l'innovation dans notre pays conduit les entreprises à négliger l'innovation non technologique.

D'autres pays ont une autre vision. En Grande-Bretagne, par exemple, le rapport Cox avait mis en avant, il y a quelques années, l'importance de la créativité et du design pour stimuler la compétitivité et la capacité d'innovation des PME, considérant implicitement qu'une recherche performante ne suffirait pas à assurer la performance de l'économie britannique face à certains pays émergents comme l'Inde et la Chine, qui disposent également désormais d'une recherche extrêmement pointue. Quant à l'Allemagne, la tradition du Mittelstand y sous-tend une quête d'innovation permanente et globale accompagnant des stratégies de niche.

De telles approches sont complémentaires de la tradition scientifique et technologique française. C'est pourquoi nous appelons à une approche publique de l'innovation qui intègre la recherche dans une vision globale et plurielle et souligne ses différentes dimensions de manière à stimuler dans ce sens l'ensemble de notre tissu économique.

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