Le mauvais procès des CDS

Par Philippe Bruneau, banquier et président du Cercle des fiscalistes, et Frédéric Bonnevay, économiste.

Condamnés avec sursis au lendemain de la crise financière, les CDS retrouvent aujourd'hui le banc des accusés. A l'automne 2008, déjà, leur implication dans les affaires AIG et Lehman Brothers aurait immanquablement conduit les jurés, en délibéré aux sommets de Londres puis de Pittsburgh, à rendre un verdict des plus sévères si le redressement économique ne les avait invités à la clémence. Ce nouveau procès s'ouvre sous des auspices bien différents : à l'heure où les Etats occidentaux ploient sous la dette, le procès grec pourrait bien être fatal aux CDS. Invoquant le flagrant délit, le parquet réclame la peine maximale : leur suppression ou, du moins, un encadrement destiné à écarter la spéculation.

Il peut être utile d'entamer l'instruction du dossier par un portrait des prévenus et un rappel des faits. Les CDS ("credit default swaps") sont des instruments financiers qui protègent leurs détenteurs contre un défaut obligataire précis. Ils s'apparentent donc à un contrat d'assurance, sans toutefois imposer à leurs acheteurs d'être exposés au sinistre couvert. Ainsi, un détenteur de CDS portant sur des titres grecs qu'il ne possède pas (position dite "à nu") "spécule" sur un possible défaut souverain, événement dont il augmente la probabilité en aiguisant les craintes des créanciers.

Cette accusation est-elle fondée ? Les volumes en jeu et l'intention des acteurs du marché figurent en bonne place dans les réquisitoires. Le volume total couvert par les CDS représentait plus de 31.000 milliards de dollars en 2009. Ce chiffre impressionnant doit néanmoins être mis en perspective, le solde net des positions à l'achat et à la vente ne s'établissant qu'à 1,3% de ce montant environ. Un tel ratio invalide l'hypothèse selon laquelle le marché des CDS serait purement "spéculatif".

A ces circonstances atténuantes s'ajoute un élément de légitime défense. D'aucuns reprochent aux CDS leur grande volatilité. Quoique justifiée, cette remarque occulte son corrélat. Flexibles et liquides, les CDS exposent leurs détenteurs au même risque de crédit que les obligations sous-jacentes, sans aliénation de capital. Les CDS attirent donc l'essentiel des stratégies d'investissement à effet de levier, contribuant donc indirectement à stabiliser les marchés de capitaux. De ce point de vue, les CDS alimentent moins la volatilité qu'ils ne la drainent.

Le cas des positions "à nu" est sans doute plus épineux. L'achat isolé d'un CDS ne saurait être systématiquement qualifié de spéculatif, tant est floue la frontière entre spéculation et protection. Bannir les positions "à nu" ne briderait pas une spéculation seulement supposée, mais produirait à coup sûr de graves effets pervers. Tout en privant les investisseurs d'un précieux outil de contrôle du risque, cette mesure amputerait le marché d'une large part de sa liquidité : en conséquence, des "spreads" (ou primes d'assurance) surévalués ou décotés l'empêcheraient de jouer efficacement son rôle.

Si la disparition des CDS n'est donc pas souhaitable, ils n'en souffrent pas moins de graves dysfonctionnements. Leur diversité, d'abord : les CDS, échangés de gré à gré, hors des plates-formes boursières, se conforment rarement à un modèle standard, ce qui limite leur fongibilité. Surtout, la confusion fréquente du risque couvert par le contrat - lié à l'éventuel défaut d'un émetteur - avec le risque opérationnel - lié à l'éventuel défaut du vendeur de CDS - est susceptible de provoquer de brusques mouvements de panique. L'uniformisation des principaux contrats et la création d'une chambre de compensation, mesures inscrites sur l'agenda du G20, devraient apporter une réponse adéquate à ces enjeux.

Mais le débat de fond excède largement le cadre des CDS : c'est le procès des marchés financiers plus que celui de ces seuls titres qui s'annonce. Si "tout ce qui est excessif est insignifiant", la suppression des CDS n'est pas plus justifiée qu'un musellement des marchés. L'innovation financière peut être un puissant moteur de développement économique et social : s'en priver serait aussi dommageable que de se soumettre à sa loi. Il revient aux pouvoirs publics d'introduire les réformes nécessaires à sa bonne utilisation. Faute d'initiative rapide, le procès aujourd'hui intenté aux CDS deviendrait inévitablement le leur.

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