Bâle III  : le "ball-trap" bancaire

Par Olivier Pastré, professeur à l'université Paris VIII.

"Un tsunami réglementaire", déclarait récemment José Maria Roldan, le directeur général de la régulation de la banque centrale espagnole. De quoi s'agit-il ? De Bâle III, c'est-à-dire des nouvelles normes prudentielles devant s'appliquer aux banques d'ici à 2012. Après Bâle I et son fameux ratio Cooke entré en vigueur en 1992, et Bâle II, mis en oeuvre début 2005, la crise justifie, aux yeux de la BRI (Banque des règlements internationaux) - la banque centrale des banques centrales -, dont le siège est à Bâle, de nouvelles règles de prudence pour éviter que les banques se remettent à faire n'importe quoi. Dans l'indifférence quasi générale, quelques technocrates, aussi talentueux qu'animés de bonnes intentions, sont ainsi en train de transformer radicalement le métier de la banque et risquent de remettre en cause la sortie de crise elle-même. L'intention de départ est on ne peut plus louable. Limiter l'effet de levier, qui a permis à certaines banques de spéculer au-delà du raisonnable, et surtout de leurs moyens ; accroître la liquidité des banques, denrée dont on a mesuré la rareté au lendemain de la faillite de Lehman Brothers ; mieux calibrer les exigences en fonds propres des différents métiers bancaires en fonction des risques pris dans chacun de ces métiers : on ne peut que souscrire à ces trois objectifs de Bâle III. Mais, malheureusement, en matière de réglementation, "le diable est dans les détails". Et c'est là que les ennuis commencent.

Bâle III présente, à nos yeux, trois défauts majeurs. Il va d'abord restreindre globalement l'offre de crédits, au moment même où l'économie a le plus besoin de cette denrée devenue rare. Certains chiffres font état de besoins en fonds propres complémentaires de 450 milliards d'euros d'ici à 2012 pour les seules banques européennes. Les banques ne pouvant pas lever ces nouveaux fonds propres sur les marchés (déjà passablement embouteillés par les emprunts d'État) seront contraintes de réduire leur offre de crédit. Deuxième défaut : si Bâle III vise à mieux maîtriser la croissance de certaines activités spéculatives (par exemple, le trading pour compte propre), il pénalise aussi certaines activités bancaires, comme le capital-développement (c'est-à-dire le renforcement des fonds propres des PME, seules entreprises susceptibles de créer des emplois), indispensables à la sortie de crise. Enfin, troisième défaut, le plus grave, peut-être, Bâle III est la négation même du métier de banquier, qui consiste à emprunter à court terme pour prêter à long terme. C'est ce qu'on appelle la fonction de transformation bancaire. Sous prétexte d'éviter les abus commis dans le passé (abus incontestables, qui ont conduit à la quasi-faillite de Northern Rock en Grande-Bretagne), Bâle III va pousser les banques à emprunter à long terme (1.500 milliards d'euros pour les banques européennes d'ici à 2012. Excusez du peu...) pour prêter en priorité aux États afin de limiter au maximum leurs risques. On croit rêver !

S'ajoutent à cela deux autres défauts, plus catégoriels, mais tout aussi pernicieux. Bâle III, en son état actuel du moins, pénalise les banques mutualistes, qui, dans de nombreux pays européens (l'Allemagne et la France notamment), occupent une place centrale dans le financement de l'économie. Par ailleurs, Bâle III vise à imposer un nouveau ratio, le ratio d'effet de levier, qui crée une distorsion de concurrence manifeste entre les banques européennes et les banques américaines, au profit de ces dernières. Sur tous ces points, il faut être vigilant si l'on ne veut pas retarder la sortie de crise de plusieurs années.

Que faire ? Deux choses, pour commencer. D'abord, ne pas aller trop vite. Si la crise impose une accélération des réformes, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Les "études d'impact" de Bâle III doivent être menées à leur terme, même s'il faut, pour cela, retarder de quelques trimestres la mise en oeuvre de la nouvelle réglementation. Par ailleurs, et c'est plus important encore, il faut mettre la création d'emplois au coeur même de ces études d'impact. Il faut, certes, renforcer la sécurité bancaire, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la croissance. Pénaliser les métiers bancaires qui sont les plus créateurs d'emplois est, par les temps qui courent, criminel. Il faut donc commencer par cesser de penser que les normes, qu'elles soient comptables ou prudentielles, sont affaire de technocrates et de fonctionnaires. Elles sont, d'abord et avant tout, affaire de politiques. Si l'on oubliait ce principe, il est à craindre que Bâle III se transforme en un véritable "ball-trap" de l'industrie bancaire européenne...

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