Le tabou nocif de l'autonomie fiscale des collectivités locales

Par Jean-Paul Alduy, sénateur et président de la communauté d'agglomération de Perpignan, et Romain Grau, vice-président chargé de l'économie à l'agglomération et avocat fiscaliste au cabinet Taj.

Le tableau des finances locales en 2010 n'est pas des plus gais. Et pourtant, la gravité de la situation ne doit pas nous empêcher de voir les opportunités créées : nous vivons l'un des rares moments de notre histoire politico-administrative qui pourrait aboutir à une réforme de grande ampleur de nos finances locales. Le constat est clair : le gel des concours de l'État, la baisse des recettes fiscales conséquence d'une crise sans précédent notamment dans le bâtiment, les lourdes incertitudes liées à la suppression de la taxe professionnelle et à son remplacement par des impôts complexes, tout concourt à fragiliser et parfois même à briser les équilibres financiers des collectivités locales. Certaines, comme la Seine-Saint-Denis, considèrent qu'elles sont dans une situation proche de la cessation de paiements?; d'autres collectivités subissent le choc des prêts toxiques à taux variable.

Quelles seront les conséquences d'un gel des concours de l'État ? Les sources de financement des budgets locaux - qui doivent combler plus de 195 milliards d'euros de dépenses - reposent sur un paradoxe alarmant. En dépit du processus de décentralisation et de l'affirmation aujourd'hui constitutionnalisée et sans cesse réaffirmée selon laquelle la France est une république décentralisée, l'État joue un rôle déterminant dans le financement des collectivités territoriales. Deux chiffres illustrent ce propos : l'ensemble des financements accordés par l'État aux collectivités territoriales, hors fiscalité transférée, s'élève à plus de 75 milliards d'euros, alors que le poids des collectivités territoriales représente près de 75% de l'investissement public. En d'autres termes, un toussotement du moteur local peut compromettre le rétablissement économique de la France, ou pire maintenir notre pays dans le marasme. Geler les concours de l'État alors même que des compétences ont été transférées en nombre de l'État aux collectivités territoriales, c'est dans les faits réduire le choix des collectivités territoriales à deux scénarios possibles : soit elles réduisent leurs investissements au moment même où la reprise est encore loin d'être certaine ; soit elles augmentent la fiscalité, seul levier de financement qui reste à leur disposition pour se financer. En pratique, cet effort fiscal supplémentaire pèsera d'abord et surtout sur les contribuables ne bénéficiant pas d'exonérations et les contribuables nationaux, en clair, les classes moyennes.

Cette seconde hypothèse est évidemment la plus probable car nos concitoyens exigent chaque jour plus de services publics de proximité, davantage, en période de crise, d'assistance en tous genres. Dès lors le caractère injuste, vétuste, opaque, inefficace de la fiscalité locale va éclater au grand jour : les disparités entre communes vont s'accroître et le poids de l'impôt local sur les classes moyennes deviendra insupportable. Pour sortir de ce dilemme, il est urgent d'avoir le courage de remettre à plat le système de financement des collectivités territoriales en se débarrassant d'un tabou inutile et nocif : l'autonomie fiscale des collectivités territoriales.

Enracinée dans l'imaginaire politique français, la croyance qu'il ne peut y avoir de décentralisation des compétences sans autonomie fiscale a conduit les élus locaux et leurs associations à s'arc-bouter sur la conservation des impôts directs locaux contre vents et marées. Pour étayer cette pétition de principe, il n'est qu'à voir chez nos partenaires : il ne viendrait à l'esprit de personne de soutenir que l'Allemagne ne serait pas un pays décentralisé?; pourtant, l'autonomie fiscale des collectivités territoriales ne constitue, outre-Rhin, en rien ni un principe ni une réalité.

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