Quand le financement universitaire va à l'encontre de l'éthique

Par Bertrand Venard, professeur à l'école Audencia et Research Fellow à l'Orford University.
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Les dirigeants de la London School of Economics (LSE) viennent de comprendre que les financements académiques pouvaient avoir une odeur, parfois de bas-fond. En effet, durant plusieurs années, la LSE a reçu des financements importants du gouvernement libyen. Ainsi, un contrat de 2,2 millions de dollars a été signé entre l'institution et le Libya Economic Development Board pour la formation de fonctionnaires. De même, la LSE a accepté un don pour un de ses centres de recherche de la fondation GICDF (Gaddafi International Charity and Development Foundation) pour un montant de 1,5 million de dollars.

Au début de l'année 2011, la provenance de cette manne suscitait peu débat au sein de la LSE. Mais quand Seif al-Islam Kadhafi, le fils du tyran et président de la GICDF, a promis une rivière de sang aux opposants libyens, des voix se sont élevées à la LSE et ailleurs pour s'interroger sur le caractère moral de fonds tachés de sang. Rongé par le remords, le directeur de la LSE, Howard Davis, a dû démissionner début mars en déclarant : "j'ai conseillé à la LSE d'accepter l'argent de la Libye et ce fut une erreur." A l'heure où les grandes écoles et les universités françaises multiplient les fondations pour augmenter leur financement, ce scandale pose pour les institutions françaises trois questions essentielles. Premièrement, quelles sont les structures organisationnelles d'accompagnement des campagnes de levée de fonds ?

En plus d'une structure de recherche de partenariats, il faut mettre en place des entités de validation des fonds et aussi de suivi des projets de financement. Certaines institutions, comme Oxford, ont un comité d'éthique chargé de valider ou non certaines offres financières. Une attention particulière doit être apportée à l'organisation des flux d'information permettant la prise de décision. Pour revenir au cas libyen, Richard Roberts, prix Nobel de médecine, vient de démissionner du conseil de la fondation GICDF à cause de son manque de transparence dans les prises de décision. Les représentants des étudiants de la LSE ont demandé plus de visibilité dans l'acceptation des financements. Établir des principes déontologiques est une partie primordiale d'une diversification des sources de financement.

Deuxièmement, comment les personnes qui interviennent dans ces dispositifs sont-elles choisies ? En effet, pour que des principes déontologiques soient efficaces, il faut qu'ils soient mis en oeuvre par des personnes irréprochables. La moralité de la décision est donc en partie fonction de l'intégrité morale des personnes prenant cette décision. Cette voie est certainement choisie à court terme par la LSE avec la nomination le 18 mars de Judith Rees, comme directeur par intérim de l'institution, un critère important de sa nomination étant la moralité attachée à une académique faisant des recherches sur le changement climatique. Troisièmement, quels sont les critères de décision pour savoir si un financement est acceptable moralement ? Ils peuvent être la qualité de la source du financement ou son objet. De manière générale, on doit prendre en compte l'utilité de la décision. Selon le principe d'utilité, une décision éthique doit maximiser les bénéfices pour la société et minimiser les coûts pour la société (ou les conséquences néfastes). Remarquons que le principe de transparence peut grandement améliorer la prise de décision.

Si l'acceptation d'un financement est en effet largement médiatisée et donc connue de tous, il est fort probable que les décideurs seront plus vigilants et intransigeants. Cependant, comme le remarque le philosophe John Rawls, pour être certain qu'une décision soit juste, il faut aussi s'assurer que toutes les parties affectées par cette décision soient libres et puissent donner leur accord. Dans une dictature, le point de vue de la population n'est jamais pris en compte et, par suite, l'acceptation d'un financement d'un tel pays ne peut pas être morale. Au final, l'exemple libyen de la LSE montre que discours et enseignement sur l'éthique doivent aussi s'accompagner de pratique.

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