L'antidote du "slow management"

Par Sophie Péters, éditorialiste à La Tribune.
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C'est à la Foire de Paris qu'il faut aller chercher l'inspiration managériale, cette semaine. Dans un monde agité, elle invite ses visiteurs à retrouver leur tortue intérieure. Le mouvement "slow" sert de fil rouge à la manifestation, lame de fond mondiale née en Italie il y a vingt ans avec le "slow food" et portée depuis dans divers domaines par les philosophes, ethnologues et sociologues. Dans l'entreprise, le mouvement pourrait faire tache d'huile. À l'heure où les risques psychosociaux sont brandis de toutes parts comme un fléau, où la relation au travail est vécue par de nombreux Français comme une douloureuse épine, où un suicide épouvantable chez France Télécom a fait de nouveau la une de l'actualité, il y a urgence à reconsidérer la question de notre rapport au travail.

Le "slow management" peut montrer la voie. Mais qu'on ne s'y méprenne pas. Il ne s'agit pas tant de ralentir le rythme que de renoncer au court terme pour aménager une organisation plus respectueuse des êtres humains. Son slogan ? "Remplacer le toujours plus par le toujours mieux" pour faire de la qualité un avantage compétitif. Au quotidien, cela signifie meilleure capacité d'écoute, plus grande sincérité dans les rapports humains et véritable travail d'équipe. Et non pas investir tous azimuts dans des séances de relaxation sur le lieu de travail. Agir sur les faits et non sur les causes. Stopper la spirale gestionnaire amorcée depuis les années 1980 pour redonner à la valeur produite sa réalité. C'est donc en amont qu'il faudrait aborder la question de la souffrance au travail. Car la façon dont les RH, les CHSCT et le gouvernement abordent le sujet vise à pointer du doigt des sujets fragiles et à risques, "à en faire un enjeu de santé publique qui ferait des entreprises des annexes des hôpitaux", estime Matthieu Poirot, psychologue social et auteur avec Bruno Lefebvre, psychothérapeute d'un ouvrage sur le sujet.

Nombre de spécialistes dénoncent aujourd'hui le danger de stigmatiser les travailleurs plutôt que le travail et laisser la médecine du travail, les RH et les instances représentatives du personnel régler seules la question. Quand ce ne sont pas les managers eux-mêmes chargés à coups de formations à la prévention des risques de remédier au mal-être de leurs équipes. Résultat : stress maximal aussi chez eux et psychologisation à outrance des relations, façon un peu perverse d'éviter le sujet qui fâche, l'organisation du travail. Or celui-ci concerne au premier chef les dirigeants et toute la stratégie de l'entreprise. Car donner du sens au travail, c'est répondre au pourquoi. Comme le disait Nietzsche, "si on donne à l'homme un pourquoi, il peut s'accommoder du comment". Cela implique que les hauts responsables acceptent de se laisser déranger et autorisent une parole avec laquelle la plupart d'entre eux ne sont pas franchement à l'aise. Mieux vaudrait alors parler de bien-être professionnel que de souffrance au travail.

"J'ai plus de membres du Codir à mes réunions lorsque je les intitule "démarche qualité de vie au travail" que lorsque j'annonce "évaluation des risques psychosociaux", témoigne Matthieu Poirot. Les mots ont ici leur importance. La façon dont on formule le problème influence la capacité à traiter le sujet. Parler de stress, c'est vouloir agir sur les conséquences. Supprimer le symptôme ne supprime hélas pas la raison de ce symptôme. C'est là que le slow management entre en scène.

"On a oublié ce que voulait dire apprécier les gens, c'est-à-dire passer du temps avec les hommes et les femmes pour leur dessiner un futur qui leur soit désirable", préconise Loïck Roche, père du mouvement. Arrêter l'obsession évaluatrice et la culture du résultat pour adopter celle de la médiation. Travailler mieux pour vivre mieux tout simplement. Pas grand-chose à voir malheureusement avec les 234 accords et 250 plans d'action sur la gestion du stress déclarés il y a quinze jours par les entreprises et réclamés par l'État. Ni avec l'agitation d'une horde de consultants qui flairent dans la souffrance au travail une manne prometteuse.

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