Nicolas Sarkozy et le bonheur intérieur brut

Par Olivier Lecomte, professeur de finance à Centrale Paris
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Pour échapper à une actualité un peu lourde et répétitive, rien de tel qu'un petit détour par l'histoire. Sans remonter jusqu'à la roche Tarpéienne et sa proximité avec le Capitole, je m'arrêterai en 1976. Giscard était à la barre, Barre venait de signer un bail de cinq ans à Matignon, Renaud chantait "Laisse béton" et, en rentrant de l'école, beaucoup d'entre vous regardaient Casimir. Cette année-là donc, paraissait aux États-Unis la dixième édition de l'archicélèbre cours d'économie de Paul Samuelson, l'un des plus brillants économistes de l'Histoire et deuxième lauréat du prix Nobel d'économie. 1968 et le mouvement hippie n'étaient pas très loin, la dénonciation de la société de consommation (Baudrillard, 1970) encore à la mode, et dans son introduction, le prof. Samuelson citait les critiques formulées à l'époque contre l'indicateur phare de la richesse des nations, le PIB, pour le poids excessif qu'il attache à la quantité de biens matériels produits au détriment d'autres aspects comme la préservation de l'environnement (!) et le bien-être. Il évoquait les travaux de deux économistes de Yale, William Nordhaus et James Tobin, qui venaient de proposer un indicateur alternatif, le "Net Economic Welfare", censé mesurer la "qualité de vie économique".

 

Cela ne vous rappelle rien ? En janvier 2008, Nicolas Sarkozy déclarait "si nous restons prisonniers de la vision restrictive du PIB, nous ne pouvons espérer changer nos comportements (...) nous avons besoin de prendre en compte la qualité et pas seulement la quantité" et demandait à deux prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz et Amartya Sen, de réfléchir "aux limites du PIB (...) pour qu'il prenne mieux en compte les conditions réelles et la qualité de vie des Français qui n'en peuvent plus de l'écart grandissant entre des statistiques qui affichent un progrès continu et les difficultés croissantes qu'ils éprouvent". On le voit, faute d'être nouvelle, l'idée ne manquait pas d'audace.

La commission Stiglitz rendit son rapport en septembre 2009 et, depuis, tout le monde semble l'avoir oublié, à commencer par son commanditaire. Sauf l'Insee, qui a publié une première série de statistiques, élaborée à partir des recommandations du rapport. On y compare sept pays (France, Allemagne, États-Unis, Royaume-Uni, Irlande, Italie, Japon) dans différents domaines. On regrettera la pauvreté des indicateurs environnementaux, qui illustre bien la difficulté de l'exercice : pour l'instant, on ne mesure pas grand-chose.

 

Sur la richesse, deux ajustements doivent être relevés : la prise en compte des revenus perçus de ou versés à l'extérieur et une comparaison du revenu moyen non par habitant mais par ménage. Surprise, si les États-Unis conservent une large avance, la France passe du 6e au 2e rang. Sur l'éducation, mesurée par le pourcentage de diplômés du supérieur, la France n'est que 4e. Accessoirement, l'Insee bouscule un mythe français : celui de l'égalité face à l'éducation. C'est dans ce domaine plus que dans tous les autres (santé, insécurité, etc.) que l'écart entre pauvres et riches de notre pays est de très loin le plus fort. Mauvaise note également en matière de chômage de longue durée. En revanche, la France se classe bien sur la pauvreté (1re), l'empreinte carbone (1re)

et l'espérance de vie en bonne santé (2e). Bref, quoique l'échantillon et les indicateurs soient restreints, notre pays se classe très correctement. Et l'écart entre les statistiques et les difficultés des Français ne s'explique toujours pas. À moins que... Malgré ces résultats satisfaisants, les Français sont derniers (loin derrière les États-Unis) sur la perception qu'ils ont de leur qualité de vie. Bref, objectivement ça pourrait être pire, mais subjectivement... Jamais contents, nos compatriotes ?

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