L'inflation en Chine va réveiller les relocalisations

Par Patrick Artus, directeur des études économique de Natixis
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La politique économique de la Chine a comme objectif stratégique central d'accroître la part de la consommation dans le produit intérieur brut : elle n'est aujourd'hui que de 38 %, alors que la part des investissements est de 55 % et celle des exportations de 40 % (des exportations nettes de 3 %) : la croissance chinoise est trop dépendante des investissements immobiliers et infrastructures spéculatifs, souvent réalisés par les collectivités locales, et du commerce mondial.

La faiblesse de la part de la consommation dans la demande totale en Chine est largement attribuable à la faiblesse de la part des revenus des ménages dans le revenu total, 43 % en Chine, contre 60 à 70 % dans tous les autres pays. Il semble donc parfaitement logique pour le gouvernement chinois d'accroître les salaires, en utilisant des hausses fortes du salaire minimum : 23 % en 2010, 20 % en 2011. Le salaire minimum moyen est passé de 106 dollars par mois en 2010 à 156 dollars par mois en 2011, et on attend une hausse de l'ensemble des salaires de 17 % en 2011.

Officiellement, l'inflation en Chine est aujourd'hui légèrement supérieure à 5 % et l'inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) à 2 %. Mais, en réalité, l'inflation est beaucoup plus forte, probablement autour de 10 %. Il est impossible que l'inflation sous-jacente (hors effets des prix des matières premières) ne soit que de 2 %, alors que les coûts salariaux par unité produite augmentent de 10 % par an et que les profits des entreprises s'accroissent extrêmement vite, de 220 % entre 2009 et 2011 ! L'inflation est donc très forte en Chine, et elle vient fondamentalement de ce que la hausse des salaires a rencontré la résistance des entreprises ; elles n'ont pas accepté la baisse des profits et elles ont augmenté leurs prix pour compenser la hausse des salaires : celle-ci n'a donc pas conduit à une hausse de la part des salaires dans le PIB mais à une hausse des prix. Les petites entreprises ont défendu la part élevée des profits dans le produit intérieur brut puisque, n'ayant pas accès au crédit bancaire, elles doivent autofinancer leurs investissements ; les grandes entreprises d'État ont voulu devenir profitables, capables de verser des dividendes, alors qu'elles ne l'étaient pas traditionnellement.

Les autorités chinoises, tout en maintenant leur objectif stratégique de soutien de la consommation par les salaires, ont aussi voulu empêcher une inflation excessive, qui conduit au mécontentement des classes moyennes dans les villes. Pour cela, elles ont accru les taux d'intérêt (les taux d'intérêt des crédits à un an sont passés de 5,3 % en 2010 à 6,3 % aujourd'hui), mais ceci a attiré d'énormes flux de capitaux vers la Chine (50 à 80 milliards de dollars par mois), d'où l'excès de liquidité et un risque inflationniste accru ; elles ont surtout augmenté le taux de réserves obligatoires des banques (le montant de réserves de liquidité que les banques doivent conserver à la banque centrale, ce qui empêche les banques de prêter ces liquidités), de 16 % à 21 %.

Il en a résulté un très fort freinage de la distribution de crédit (qui progressait de plus de 30 % par an en 2009, 15 % seulement aujourd'hui), et, ce qui est tout à fait contraire à l'objectif central de la politique économique, un très fort ralentissement de la consommation des ménages, de 22 % de croissance sur un an en 2009 à 10 % aujourd'hui. Paradoxalement, la politique de hausse des salaires en Chine aboutit, au travers de ses effets sur l'inflation et la politique monétaire, à un freinage de la consommation des ménages.

Avec la hausse de prix en réalité de 10 % par an (comme celle des coûts salariaux unitaires) et avec l'appréciation du yuan (RMB) chinois, les prix des produits chinois en dollars ou en euros augmentent de 15 % par an. Aujourd'hui, en moyenne, un produit chinois a un prix, une fois qu'il est distribué dans la zone euro, égal à 55 % du prix du produit européen comparable, quand il existe. Si la vitesse de hausse présente des prix des produits chinois se poursuit, dans cinq ans (seulement !), les produits chinois seront aussi chers que les produits européens : la Chine, très vite, va perdre la totalité de son avantage compétitif. Ceci aura deux types de conséquences. Pour les produits de bas de gamme, utilisant beaucoup de main-d'oeuvre, délocalisations de la Chine vers d'autres pays émergents ayant des coûts de production plus faibles : Vietnam, Indonésie, Pakistan, Bangladesh, même Bulgarie, Tunisie. Ceci a déjà commencé : depuis son pic en 2009-2010, la production de textile en Chine a baissé de 10 %. Pour les produits milieu de gamme, on peut envisager que les relocalisations dans les pays de l'OCDE, en Europe, se multiplient et ne soient plus des événements anecdotiques qu'on observe aujourd'hui.

La Chine risque à la fois de ne pas voir la consommation augmenter, avec la politique monétaire restrictive ; de perdre ses industries de main-d'oeuvre au profit d'autres pays émergents ; de perdre ses industries haut de gamme au profit des grands pays de l'OCDE ; de mécontenter sa classe moyenne avec l'inflation et la difficulté d'obtention de crédit.

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