Quand l'Iran entre en guerre contre l'Internet

L'Iran était un pays en pointe dans l'utilisation d'Internet, beaucoup plus en avance que ses voisins. Était, car le gouvernement, face à des influences extérieures jugées néfastes, tente d'en reprendre le contrôle, au moyen d'une cyberpolice. Objectif ultime : construire un réseau national fermé.
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Les autorités iraniennes la surnomment la « guerre douce ». La capacité pour un ennemi de propager des idées capables de déstabiliser le pays, comme le leur, à travers Internet. La solution iranienne : créer un réseau interne au pays, puis se débrancher de l'Internet. Un grand pays peut-il, aujourd'hui, débrancher la prise Internet ?

Certains, dont l'Iran, y songent très sérieusement. L'incendie du printemps arabe a ravivé les desseins répressifs des régimes totalitaires. Postulat de base : les influences venant de l'extérieur sont dangereuses. Or l'Internet libre est un oeil ouvert sur le monde. Donc, il inquiète. Pas étonnant, déjà, de voir des pays comme la Chine ou la Corée du Nord en limiter l'utilisation. Là-bas, on ne jouit pas du même accès à la Toile qu'ici. Certains sites ne s'affichent pas, ou partiellement. D'autres sont artificiellement ralentis.

Mais que faire lorsqu'on a été, en son temps, à la pointe de l'Internet ? C'est justement le cas de l'Iran, avant-gardiste du Web au Moyen-Orient. C'est l'un des pays de cette région où l'Internet a le plus progressé depuis 2000. Dans les premières années, les autorités iraniennes voient d'un très bon oeil l'expansion de l'usage de l'Internet, excellent moyen de propager les idées islamistes. Les utilisateurs du Web sont ainsi passés de 1 million au début du siècle à 23 millions huit ans plus tard.

La progression de l'Internet ne se fait pas sans contrôle. L'État garde un oeil très attentif sur le réseau. Systèmes de filtrage et de surveillance sont fréquents dans ce pays où les blogs sont très populaires et représentent des voix indépendantes capables de commenter, voire de critiquer le régime iranien. Ces voix ont beaucoup compté au moment des élections présidentielles de 2009, à l'issue desquelles Mahmoud Ahmadinejad a été réélu pour un mandat de quatre ans. Dans une sorte de répétition grandeur nature des événements qui, dès décembre 2010, allaient secouer la Tunisie puis l'Égypte et de nombreux autres pays arabes, les Iraniens ont protesté massivement contre le résultat de cette élection jugée suspecte. Une contestation relayée en masse sur les blogs et les réseaux sociaux.

 

Depuis, Internet est nettement moins bien vu par le gouvernement. Des mesures sont prises pour en freiner l'utilisation : ralentissement du débit, blocage de sites, arrestations d'internautes... Résultat : la progression de leur nombre a ralenti. Ils seraient aujourd'hui un peu plus de 28 millions en Iran. Mais l'État ne compte pas s'arrêter là. Il travaille maintenant sur un « Internet national » tout en mettant en place une riposte à multifacettes aux dangers perçus de l'Internet mondial.

Les Gardiens de la révolution représentent le bras armé de la lutte contre Internet. Cette division particulièrement puissante des forces armées iraniennes a, en 2009, pris le contrôle financier de l'opérateur national, la Data Communication Company of Iran (DCI), agence nationale chargée des réseaux. Depuis, c'est l'escalade. Les Gardiens ont créé une cyberpolice spécifiquement chargée de surveiller le Net et ses utilisateurs. La lutte contre les perversités de l'Internet ne s'arrête pas là. Les Gardiens de la révolution n'hésitent pas à se montrer proactifs. Leur cyberpolice se mue en une cyberarmée, dont les soldats s'entraînent derrière un écran plutôt que dans la boue d'un terrain militaire. Ils apprennent les dernières techniques des pirates informatiques : franchir les pare-feu pour accéder à des données protégées, se déplacer en effaçant ses traces, lancer des attaques contre des serveurs, etc. Cette grande armée ne compterait pas moins de 250.000 soldats et aurait déjà à son actif des attaques contre plusieurs sites Internet occidentaux. L'Internet national est l'étape la plus récente de cette cyberguerre : l'Iran veut son propre réseau. En 2008, environ 750 millions d'euros sont débloqués pour renforcer les infrastructures techniques nationales permettant la construction d'un réseau interne. Discours officiel du ministère des Télécommunications : l'Internet national va permettre de protéger la société iranienne d'influences culturelles néfastes. Des influences venant, bien entendu, du monde extérieur et notamment de l'Occident, si décadent aux yeux des intégristes religieux du pays.

Ainsi, afin de mieux « protéger » ses citoyens, les autorités locales sont tout simplement en train de déconnecter l'Iran du réseau mondial, en construisant une ligne Maginot virtuelle, pour mieux protéger ses idées et ses valeurs et mettant ses citoyens bien à l'abri du reste du monde. Une notion de défense d'un héritage culturel qui laisse perplexe. On l'a vu en Égypte : lorsqu'un État en est à tenter de fermer l'Internet, c'est souvent lui qui perd la connexion, définitivement.

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