France 2025, tirer les enseignements de la faillite de... Detroit

De la faillite de la ville de Detroit, qui a récemment défrayé la chronique, il est possible de tirer des leçons pour l'avenir à long terme de la France. Par Vincent Champain
Vincent Champain, co-président de l'Observatoire du Long Terme*

Imaginons un instant le conseil municipal de Détroit, réuni en 2000 pour imaginer le futur de la ville 12 ans plus tard, en 2013. Si l'on en juge au résultat constaté aujourd'hui, on peut imaginer qu'il se serait agi d'un exercice convenu, affichant d'une part des ambitions (plus d'emplois, moins de misère, plus de richesses et de compétitivité, mais aussi plus de culture, Detroit abritant un musée richement doté), et comptant d'autre part sur les perspectives offertes par la croissance pour financer ces ambitions.

 

 Une faillite liée aux retraites...

 

Les discours et rapports accompagnant cet exercice (imaginaire) de prospective inverse n'auraient sans doute pas changé le point d'arrivée de « Detroit 2013 » : une mise en faillite de la ville, qui, loin du particularisme américain souligné par certaines, représente un symbole riche d'enseignements. En effet, peu l'ont noté, mais l'essentiel de la dette de la ville est constitué d'engagements de retraite (santé et couverture maladie) : plus de 9 milliards sur les 18 milliards de dollars de dette de Détroit. Car aux Etats-Unis les passifs sociaux ne se trouvent pas au niveau de l'Etat central, mais ils se situent au niveau des employeurs. Les problèmes de pérennité du système de retraite y sont donc moins visibles qu'en France - concentrés au niveau national - mais pas si différents des nôtres !

 

 Incapacité à rompre le cercle vicieux du chômage et des dépenses collectives

 

Pour en arriver là, Detroit a d'abord connu une période de croissance économique considérable, qui a rendu possible le développement d'un modèle social conséquent (en termes de salaire ou de couverture sociale), le sentiment de jouir du statut de "super puissance" industrielle. Mais au tournant des années 70, la ville a commencé à connaître des difficultés à adapter sa compétitivité hors coûts (les grosses voitures américaines ont souffert du choc pétrolier) comme sa compétitivité coûts (aux conventions collectives de Détroit, les concurrents préférant d'autres sites aux Etats-Unis, moins coûteux). Avec, dans le même temps, une difficulté à développer de nouvelles activités dans les secteurs d'avenir tant était fort le lien entre le pouvoir politique et le pouvoir économique des secteurs "historiques" - notamment l'automobile. Enfin, Detroit a souffert d'une incapacité à rompre le cercle vicieux des dépenses et du chômage. Des dépenses collectives pesant sur l'accès à l'emploi de ceux qui n'en ont pas mais défendues par les « insiders », qui en bénéficient encore (salariés ou retraités), entraînant une réduction de l'activité, qui accentue encore l'accès à l'emploi, et la crispation des « insiders ». L'ensemble conduisant à une situation où la seule issue est la faillite des "payeurs en dernier ressort" du modèle social - la ville de Détroit et, quelques années avant, les constructeurs automobile.

 

Les leçons pour la France

 

 Pour la France de 2025, plusieurs leçons peuvent être tirées de ce naufrage :

 

   - la première leçon, c'est que le décalage au réel qui a frappé Détroit est possible chez nous. Sachons en reconnaître les signes : des débats publics, quelle que soit la majorité, parfois coupés du réel où les faits et les données précises sont absents, et où les romantiques et polémistes sont rois. Les scientifiques, ou les journalistes (au sens de ceux qui font profession de sélectionner, vérifier et exposer les faits) n'y ont pas les moyens d'y tenir un rôle. Des opportunités existent (nanotechnologies, partenariat commercial transatlantique,...) mais elles sont jugées lors de procès publics laissant plus place à l'art oratoire qu'a un débat étayé. Les menaces - comme celles du déséquilibre de nos systèmes de retraite, des problèmes de compétitivité, des déficits publics, ou le risque de paupérisation de nos services publics - oscillent entre l'état de tabou, et celui d'objet de discussions et rapports sans lendemains. Autrement dit, le premier pas vers le déclin, c'est de refuser d'accorder à la réalité un débat équitable et étayé ;

 

 - la deuxième leçon, c'est qu'une défense du modèle social ignorant le bouclage économique est une illusion, qui augmente sans cesse les prélèvements sur une économie qui n'en a plus les moyens. Elle entraîne dans un cercle vicieux qui provoque l'exil de ceux qui peuvent partir et l'asphyxie de ceux qui restent. Au contraire, en période de crise, toutes les énergies devraient se réunir pour retrouver les trois ingrédients nécessaires à la croissance : d'abord une demande solide (en France et à court terme, elle viendra de l'export - d'où l'importance des débats sur le projet d'accord économique entre Europe et Etats-Unis), ensuite des facteurs de production assurant le meilleur rapport qualité/prix (d'où le débat sur l'énergie, la formation ou l'accès au capital des entreprises) et enfin, un environnement juridique et réglementaire adapté. Si l'un de ces trois ingrédients fait défaut, notre croissance restera faible, et notre modèle sociale en souffrira quelles que soient les promesses ;

 

 

Quand une faillite peut être un nouveau départ

 

  - la troisième, c'est qu'une faillite peut être un acte de décès (c'est trop souvent le cas en France), alors qu'elle devrait surtout être une façon de faire table rase pour concevoir un nouveau départ. Il est en effet frappant de voir à quel point les commentaires américains sur Détroit évoquent la façon dont Détroit va pouvoir repartir vers le haut après sa faillite, à un moment où l'économie américaine repart portée essentiellement par le logement et l'automobile. A l'inverse, nous restons focalisés sur les concessions qu'impliquera cette faillite, sans voir les possibilités de rebond. Pourtant, les rebonds municipaux existent : sous le poids de ses produits de dette structuré, le Comté d'Orange a fait faillite aux Etats-Unis dans les années 90. Il a depuis retrouvé à la fois sa vigueur et sa notation financière. Le dépôt de bilan peut être salutaire lorsque les promesses d'un modèle sont trop éloignées de ses capacités à les remplir- il vaut mieux faire table rase et définir un modèle réaliste !

 

Rendre trois pouvoirs aux Français

 

 Evidemment, une ville n'est pas un pays, et l'exode constaté à Detroit est sans doute moins envisageable à l'échelle d'un pays. Il ne s'agit pas non plus de plaider le "toujours moins" en matière sociale - au contraire, une économie dynamique a besoin d'accompagner ses transitions. Toutefois, dans la mesure où il est toujours moins douloureux d'apprendre des erreurs des autres que des siennes, nous serions bien inspirés de nous pencher davantage sur les enseignements de la faillite de Détroit.

 

 L'exercice France 2025 « 2.0[1] » (lancé par le gouvernement fera-t-il mieux que « Détroit 2013 » ? Pour que cela le cas, il doit aller au-delà des déclarations de principes, et servir à rendre aux français trois pouvoirs :

 

   - le premier pouvoir est le pouvoir de savoir : les français doivent pouvoir comprendre simplement l'état réel de leur pays et de leurs services publics. Dans un pays qui a appris par Shangai l'état de son université, et par l'OCDE celui de son système éducatif, il reste beaucoup à faire... Il ne s'agit pas d'informer des experts (parfois moins informés qu'on le croit) qui délivreraient ensuite leurs recommandations aux français, mais, au contraire, de se donner les moyens d'accès directs à une information claire et simple ;

 

 - le second pouvoir est le pouvoir de choisir : les différents possibles doivent être expliqués. Les français doivent comprendre ce qu'il faut faire pour les rendre possible. Ils doivent être en mesure de faire des choix stratégiques. Par exemple, le conseil constitutionnel a reconnu à internet son rôle désormais essentiel pour accéder à l'information. Il aurait été alors logique d'ajuster les moyens (livraison du courrier partout en France et tous les jours) alloués à cet objectif avant internet. Résultat, les français payent deux fois pour un même objectif....

 

  - le troisième pouvoir à rendre aux citoyens est le pouvoir de faire, c'est-à-dire de contribuer eux-mêmes et directement à construire ce fameux « vivre ensemble ». Il s'agit d'évolutions profondes, qui incluent à la fois le serpent de mer de la décentralisation, une réflexion de fond sur la place du secteur public (probablement à développer à certains endroits, mais également à réduire  ailleurs) mais aussi l'égalité d'accès aux fonctions politiques.

 

 Contrairement aux nombreuses critiques entendues au moment du lancement de « France 2025 2.0 », il faut donner sa chance à cette initiative. Ce qui n'empêche pas, bien au contraire, d'en juger la réussite le moment venu, en fonction de la façon dont il aura contribué à produire un rapport supplémentaire, si brillant soit-il, mais surtout à rendre aux français ces trois pouvoirs essentiels : comprendre, choisir et faire soi-même.

 

 

 

*L'Observatoire du Long Terme (https://longterme.org) est une organisation indépendante dédiée à l'étude des enjeux de long terme.

 

[1]    Un exercice de même nom ayant été réalisé en 2008, les rapport, fort intéressants du reste, sont d'ailleurs consultables sur les sites suivants : https://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/084000246/index.shtml ou https://www.strategie.gouv.fr/content/france-2025-dix-defis-pour-la-france

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Commentaires 34
à écrit le 12/09/2013 à 15:24
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Comme d' habitude, les exploiteurs utilisent la peur pour restreindre les moyens destinés au plus grand nombre, par contre la corruption( milliers de milliards volés),trafics divers, autant de champs sur lesquels il serait relativement facile d' inte...

à écrit le 11/09/2013 à 12:19
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Le "Vivre ensemble" n'existe plus en France quand on voit le dumping social pratiqué sur notre territoire. S'imaginer que le pays pourra économiquement rebondir en réduisant la qualité de vie des salariés est une chimère. Cela avait été compris par n...

à écrit le 11/09/2013 à 11:40
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Les retraités de Detroit n'auront rien s'ils font table rase des dettes sociales.

à écrit le 11/09/2013 à 9:41
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un article interressant mais on oublie quand meme ce qui fait le lit de cette faillite collective , les paradis fiscaux , le manque a gagner pour tous les états dans le monde est a un seuil critique quel que soit le système social , il faut faire le ...

à écrit le 11/09/2013 à 9:07
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France 2025, sur du long terme... Et France 2014 sur du court terme, début de la faillite...

le 11/09/2013 à 23:06
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Que voulez-vous dire ?

à écrit le 10/09/2013 à 23:24
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Plutôt que la faillite à l'américaine (qui offre des chances de rebond) je crains malheureusement que la notre ressemble à la grecque. Aujourd'hui la politique en France c'est mentir et se cacher derrière son petit doigt en prétendant réformer (pour...

le 11/09/2013 à 10:06
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Tout a fait d'accord , ils nous mentent depuis 40 ans et continue, avec l'aide des medias qui relaye leur mensonges.

le 11/09/2013 à 11:17
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Mais on aime quand on nous ment. Hollande a menti grossièrement lors de sa campagne, et il a été élu. Voudriez vous d'un candidat qui vous dise que tout va mal, qu'il faut se serrer la ceinture, qu'il faut diminuer la dépense publique et virer des ...

à écrit le 10/09/2013 à 18:54
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Hé bien moi je pense que l'on a raison de se poser ces questions. Amis commentateurs arrêtez de sombrer dans la névrose et le cynisme ! Après, la question de ce que fera le gouvernement et ses arméea d'énarques est une autre question....

à écrit le 10/09/2013 à 18:24
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Les politiques se fichent bien de l'exemple de Détroit. D'un parce que quand la France fera faillite, Détroit sera déjà oublié, de deux parce que les politiques ne sont là que pour se faire réélire (je cite Tapie concernant le train de vie auquel on ...

le 10/09/2013 à 19:00
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Prendre Tapie comme référence sur ce qu'est la politique c'est un peu comme prendre Spanghero comme modéle en boucherie...

le 11/09/2013 à 11:03
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Tapie a été homme d'affaires, député, ministre, pressenti pour être président, acteur, président d'un club de foot champion d'Europe,... Je ne sais pas si Tapie est honnête en affaires, il suffit de voir l'histoire des châteaux de Bokassa. Ce que ...

à écrit le 10/09/2013 à 16:38
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Pour info un "Detroit 2025" vient d'être lancé... http://www.popularmechanics.com/technology/engineering/rebuilding-america/detroit-2025-after-the-recession-a-city-reimagined-13108807

à écrit le 10/09/2013 à 15:58
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Conclusions : gardons notre système de retraite par répartition et évitons comme la peste les fonds de pension que Bruxelles veut nous imposer! Les Banques Centrales sauveront toujours les états, par contre on sait que les fonds de pensions sont frag...

le 10/09/2013 à 18:21
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C'est justement le système par répartition qui peut causer une faillite. Sans compter les points de croissance perdus à cause des capitaux non réinvestis.

à écrit le 10/09/2013 à 14:34
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je crosi que ça ne sert à rien. les peuples, les pays, les habitants d'une ville ne réagissent qu'au dernier moment, qu'au fond de la piscine, quand il comprennent qu'il n'y aura pas de retour à l'ancien temps.

à écrit le 10/09/2013 à 10:56
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Tirer les enseignementS des cours de français pourrait aussi être une bonne idée, surtout pour un journaliste.

le 10/09/2013 à 19:12
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"Quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt."...

le 12/09/2013 à 9:04
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Et gare au sage si ses ongles sont mal taillés .

à écrit le 10/09/2013 à 4:36
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1) Il aurait été bien de préciser que les dettes dont vous parlez sont des dettes sociales contractées par la ville de Detroit auprès de ses employés (policiers, pompiers, fonctionnaires en tout genres...) pour leur retraite ou de leur couverture mal...

le 10/09/2013 à 7:26
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Est-ce si différent en France ? On n'y offre pas des salaires délirants, mais un nombre de fonctionnaires délirant. L'essentiel de la R&D est faite dans le public, et le privé investit peu. Tout le monde s'auto congratule sur le génie français sans v...

à écrit le 09/09/2013 à 23:45
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Sympa mais idéaliste : ceux qui nous dirigent et les amis avec lesquels ils font leur petits arrangements n'ont aucune envie, ni malheureusement aucune raison de rendre le pouvoir. Le pouvoir ne se rend pas, il se prend !

à écrit le 09/09/2013 à 22:52
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Pour redonner ses pouvoirs aux Français, ce qui fait défaut ce sont des hommes d'état. Sans traverser l'Atlantique et cinq siècles avant notre ère, Solon homme d'état Grec réussit à résorber la dette abyssale d'Athènes et à instaurer un système monét...

le 09/09/2013 à 23:19
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Il faut cloner Solon...

à écrit le 09/09/2013 à 21:09
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La question est posée.... Mais j'ai peu de connaitre la réponse : un bidule lancé par un gouvernement sans préparation (voir les contributions ridicules des ministres évoquées dans la presse). L'avenir attendra...

à écrit le 09/09/2013 à 20:33
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Vu vos commentaires sur l'orthographe du titre, vous donnez raison à l'auteur : pas de profondeur dans les débats, juste du superficiel (art oratoire, orthographe, etc.) @rikrok94 @jb

le 09/09/2013 à 21:08
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Bien vu !

à écrit le 09/09/2013 à 17:36
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Non sérieusement, vous êtes journalistes ? Une coquille je veux bien mais un titre d'article avec deux fautes dans un même mot plutôt courant...Niveau crédibilité, vraiment pas terrible et malheureusement de plus en plus fréquent dans la presse nati...

à écrit le 09/09/2013 à 13:51
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"France 2025, tirer les enseigement de la faillite de... Detroit" Bravo pour la relecture du titre.

à écrit le 09/09/2013 à 13:10
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rigolo de comparer le système quasi médiéval du fonctionnement des territoires et des circuits de financements sociaux aux USA avec celui, clairement plus rationnel, qui existe en France.

le 09/09/2013 à 23:20
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L' analyse de Vincent Champain est hélas de mon point de vue tout à fait juste . J 'habite une ville qui voit régulièrement ses emploies industriels disparaitre avec en face une mairie qui voit grand et va amener à ce rythme la faillite de la commu...

le 10/09/2013 à 4:40
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Merci rigolo pour ton commentaire, C'est assez délirant ce qu'on peut lire...

le 10/09/2013 à 23:28
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de toute façon la mode en France, c'est de taper sur les retraites, alors qu'il y a des postes de dépense qui sont bien plus importants et futiles, un proverbe quand on veut se débarrasser de son chien, on dit qu'il a la rage... après l'augmentation ...

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