Former les jeunes pour endiguer leur chômage, un défi euroméditerranéen à partager

D'une rive à l'autre de la Méditerranée, le chômage endémique très élevé parmi les jeunes est devenu un sujet majeur de préoccupation. Afin de le réduire, l'Institut de la Méditerranée et le Cercle des économistes proposent des pistes pour une action commune, nord-sud, sur l'amélioration de la formation professionnelle.
Alfred Mignot
Nicolas Schmit, ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Écono­mie sociale et solidaire du Luxembourg, est à l'origine de l'initiative européenne de parte­nariat pour la formation professionnelle, avec le Maghreb.

Naguère, il y a cinq ans à peine, lorsque la Tunisie affichait depuis une dizaine d'an­nées un taux de croissance de 5 %, voire parfois un peu supérieur, les économistes euromédi­terranéens saluaient la performance avec enthousiasme, négligents du fait que cette croissance n'était pas inclusive, ni en termes géographiques (les régions de l'in­térieur étaient délaissées), ni en termes sociaux : marginalisée, la jeunesse connais­sait un fort taux de chômage, particulière­ment parmi les diplômés universitaires... Et puis arriva l'immense surprise de janvier 2011 : l'insur­rection de la population, l'effondrement du régime en quelques jours, la fuite de Ben Ali, le tsunami des printemps arabes... De l'avis quasi unanime, la désespérance dans laquelle se trouvait la jeunesse était l'expli­cation centrale de ce puissant mouvement surgi de la société civile.

Cinq ans plus tard, les pays du « printemps arabe » ont évolué différemment : la Syrie et la Libye ont sombré dans le chaos de la guerre civile, l'Égypte est revenu au régime politique antérieur, et la Tunisie apparaît à cette heure le seul pays à avoir réussi sa « transition démo­cratique », laquelle était perçue comme le préalable au redressement économique... Mais on en est loin, tant s'en faut !

Aujourd'hui, si la croissance en Tunisie peut faire rêver l'Europe alanguie, elle est très infé­rieure à ce qu'elle était avant 2011 (2,4 % au lieu de 5 %) et de ce fait, la situation de la jeunesse ne s'est pas améliorée, mais a plutôt empiré, avec un taux de chômage à 31 %.

Dans les deux autres pays du Maghreb, que le tsunami du printemps arabe a pourtant fina­lement épargnés - les velléités de contesta­tion ont été vite jugulées en Algérie, qui a acheté la paix sociale grâce à la rente du pétrole, tandis que le Maroc a désamorcé le mouvement en engageant très rapidement des réformes -, la situation des jeunes est tout aussi précaire, même si l'on note une différence sensible : leur chômage s'élève à 24 % en Algé­rie, et à 18 % « seulement » au Maroc.

En fait, pour évaluer vraiment la situation, encore faut-il considérer qu'au Maghreb les taux de participation des jeunes à l'emploi sont inférieurs à 50 % de la population active - ce sont les plus bas taux du monde ! - et que les conditions d'emploi se révèlent précaires : un jeune sur trois est un « travailleur pauvre », le chômage des jeunes est trois fois plus élevé que celui des adultes. Mais, par comparaison, qu'en est-il de la situation des jeunes sur la rive nord de la Méditerranée ?

Les jeunes d'Europe sont parfois les plus mal lotis

Cela pourra surprendre, mais la réalité des chiffres est implacable : la situation y est par­fois pire ! En effet, selon les derniers chiffres d'Eurostat, livrés fin octobre, quelque 3,11 millions d'Européens de moins de 25 ans étaient au chômage en septembre, soit un taux moyen de 22,1 %, avec un tiercé de tristes records enregistré au sud : en Grèce avec 48,6 % de jeunes chômeurs, en Espagne avec 46,7 %, en Italie avec 40,5 % - tandis que la France, malgré un recul significatif du nombre de ses jeunes chômeurs en sep­tembre (- 2,6 %), se situe à 21,9 %, soit dans la moyenne européenne (22,1 %), mais à un niveau supérieur à celui du Maroc (18 %).

Autant dire que tous ces chiffres, calés à de hauts niveaux depuis des années, ne cessent d'inquiéter les gouvernants - comme le pre­mier ministre tunisien, Habib Essid qui, le 27 octobre, déclarait que « La racine du terro­risme est le chômage » -, car ils démontrent que des deux côtés de la Méditerranée, les écosystèmes sont devenus de moins en moins inclusifs pour la jeunesse.

Ce constat alarmant a conduit la présidence luxembourgeoise de l'Union européenne (juillet-décembre 2015) à commanditer une étude à l'Institut de la Méditerranée (IM). C'est au cours des XIes Rendez-vous écono­miques de la Méditerranée, organisés à Mar­seille par l'IM/Femise (Forum euroméditer­ranéen des instituts [99 membres] de sciences économiques) en coopération avec le Cercle des économistes, que les résultats de ces travaux devaient être présentés, samedi 7 novembre, à la Villa Méditerranée.

Les ratés d'un bilan « au mieux mitigé »

Dans cette note stratégique dont La Tribune a pu prendre connaissance en avant-première, les auteurs ont choisi d'aborder la question du chômage des jeunes en examinant les pos­sibilités de sa réduction par des actions volon­taristes centrées sur la formation profession­nelle (FP) et l'entrepreneuriat, s'inscrivant ainsi dans l'initiative de la présidence luxem­bourgeoise de renforcer la coopération sur ces thèmes, entre l'Europe et les pays du Maghreb.

Côté constat, les auteurs ont pu observer qu'au-delà de la diversité de leurs institutions d'accompagnement, les pays du Maghreb ont en commun de forts dysfonc­tionnements. En Tunisie, par exemple, les effectifs de la FP diminuent sensiblement : de 140 000 en 2010, ils sont tombés à moins de 100 000 en 2013. De ce fait, son très faible succès auprès des jeunes a été identifié comme l'une des problématiques majeures de la FP en Tunisie.

Au Maroc, en revanche, le dispositif s'avère plutôt attractif, puisqu'il y a deux fois plus de candidats que de places offertes. Mais sa per­formance laisse à désirer : quel que soit le niveau de formation, le taux d'échec est d'un tiers et 40 % des lauréats n'ont toujours pas d'emploi plus de neuf mois après la fin de leur formation.

En Algérie, où l'on a recensé plus de 500 000 stagiaires en 2011, le faible niveau de qualification des formateurs, dont un tiers seulement est constitué de professeurs spé­cialisés, est un élément clé d'explication du fort taux de déperdition, dans lequel les aban­dons comptent pour 90%. Ainsi, le moins que l'on puisse dire, écrivent les auteurs du rap­port, c'est qu'au Maghreb, « le bilan de la for­mation professionnelle est, au mieux, mitigŽé ».

La BEI-FEMIP, bras armé du partenariat entre l'Europe et le Maghreb

Partant de ce constat, l'IM/Femise et le Cercle des économistes avancent un certain nombre de propositions (lire l'encadré ci-dessous), qu'ils devaient soumettre à débat à Marseille lors de leurs XIes Rendez-vous économiques de la Méditerranée, en présence de Nicolas Schmit, ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Écono­mie sociale et solidaire du Luxembourg, et à l'origine de l'initiative européenne de ce parte­nariat de formation professionnelle avec le Maghreb.

En effet, dans un discours prononcé le 26 octobre, en ouverture de la XVe conférence annuelle de la Femip (Facilité euroméditerra­néenne d'investissement et de partenariat, instrument de la Banque européenne d'inves­tissement pour les pays partenaires du Sud et de l'Est méditerranéen), le ministre avait relevé l'importance d'une « croissance inclu­sive » pour « gagner la confiance » des citoyens de l'UE et des « voisins du Sud », soulignant que « la crise des réfugiés est la dernière illustra­tion de l'importance d'un voisinage stable ».

Dans ce contexte, une coopération « fruc­tueuse » dans le domaine de l'emploi est, selon lui, essentielle. C'est pourquoi la présidence de l'UE a lancé une proposition pour une ini­tiative visant à « favoriser l'emploi des jeunes dans les pays du Maghreb en investissant dans l'éducation et la formation professionnelle ».

Avec quels moyens ? Le ministre a évoqué la Femip en tant qu'« instrument extraordinaire » pour parvenir à atteindre ces objectifs, rap­pelant que pour la période 2014-2020, la BEI-Femip s'est vue confier par l'Union euro­péenne un mandat de près de 10 milliards d'euros pour les pays partenaires méditerra­néens, complété par 3 milliards d'euros au maximum issus d'autres ressources pour l'ensemble des pays voisins.

Cela suffira-t-il ? L'Europe, en tout cas, semble bien décidée cette fois à s'engager dans la course contre la montre qui est engagée, un défi d'autant plus prégnant que les perspectives à court terme ne sont pas si favorables : sur la rive nord de la Méditer­ranée, les taux prévisionnels de croissance oscillent entre 1 % et 2 % ; au sud, ils seraient parfois supérieurs à 3 %... mais comme les économistes le répètent depuis longtemps, ce n'est qu'à partir de 6 % de croissance que le taux de chômage pourra commencer à être réduit au Maghreb, où la poussée démographique des nouveaux entrants sur le marché du travail est bien plus forte qu'en Europe - elle est estimée à 60 millions d'ici à 2025 pour la région MENA (Afrique du Nord et Moyen-Orient).

Une fois de plus, le destin de la Méditerranée est ainsi pris en tenaille entre le chronos et le kairos : il n'est plus ici ques­tion de laisser du temps au temps, mais d'agir puissamment, maintenant. ■

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Encadré

COMMENT OPTIMISER LA FORMATION PROFESSIONNELLE ?

Dans sa note stratégique, l'Institut de la Méditerraneé (IM) souligne que la clé d'un succès durable de toute politique active pour le marché du travail est finalement la qualité de la ressource humaine mobilisable. Voici un extrait de la présentation des préconisations qu'en fait Constantin Tsakis, délégué général de l'IM, sur LaTribune.fr (ici, son texte intégral).

Afin d'améliorer les résultats de la formation professionnelle, tenant compte du contexte spécifique des pays du Maghreb, plusieurs orientations paraissent importantes.

On notera, entre autres, qu'il semble opportun de :

- Renforcer l'adéquation entre l'offre de formation et les besoins des entreprises. Les programmes de formation emploi pourraient incorporer davantage l'apprentissage du code informatique car il s'agit d'un savoir-faire recherché, phénomène qui ne fera que s'accentuer. Le développement de la collaboration virtuelle et les nouveaux outils technologiques (i.e. DropBox, GoogleDrive) permettant de travailler à distance, devront être également maîtrisés. Le rôle des entreprises sera de mettre en œuvre des formations situées sur leurs pôles de compétitivité et de définir les formations menant aux compétences dont elles ont réellement besoin.

- Développer les formations « vertes ». La mise en place de formations communes accréditées sur certains métiers « verts » donnerait un élan immédiat au programme proposé, en même temps qu'il répondrait au manque de main-d'oeuvre qualifiée dans ces domaines, au Nord comme au Sud.

- Généraliser les systèmes de certificats de compétences. Pour cela, il semble nécessaire d'avoir des dispositifs d'apprentissage très spécialisés, offrant un savoir-faire précis et permettant de valider ces compétences, ouverts à tous sans condition de diplôme. Le choix des branches sélectionnées peut être décidé en partenariat avec les entreprises en tenant compte des spécialités régionales.

- Se servir d'exemples réussis en les adaptant au contexte méditerranéen. À titre d'exemple, les évaluations des programmes de formation des jeunes en Amérique latine indiquent que ceux qui sont menés par la demande, qui offrent une formation sur le tas, qui mettent l'accent sur la formation aux compétences dites « dures » ainsi que sur les « soft-skills », ont un impact positif et significatif sur l'emploi. ■

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Alfred Mignot

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Commentaire 1
à écrit le 08/11/2015 à 12:44
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iln est vrais que des metiers vert comme l a griculture et la gestion des resources d eaux sont l avenir de ces pays du magreb ,,mais il faut aussi une education veritable sur pourquoi avoir des enfants? et comment evitez d en avoir, ,l avenir et la...

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