À la veille des législatives, l'Algérie face au défi de sa refondation économique

Depuis l'effondrement du prix du baril de pétrole, à l'été 2014, c'est tout l'écosystème algérien de la rente et de l'économie administrée qui est déstabilisé. Face à une situation qui se dégrade d'année en année, le gouvernement engage des réformes de libéralisation économique. Mais elles paraissent encore bien modestes...
Alfred Mignot
Une vue de la baie d'Oran, en novembre 2014.

L'Algérie de demain est-elle née à l'été 2014 ? À l'époque, le prix du baril de brut caracolait au-dessus de 110 dollars (115 en juin 2014). De quoi alimenter généreusement la redistribution de la rente, via de nombreuses subventions aux produits de consommation courante. De quoi financer largement le budget de l'État, dont l'équilibre était acquis dès un baril à 70-80 dollars. De quoi aussi financer le budget social (15 % du PIB). De quoi emmagasiner des réserves de change astronomiques (jusqu'à 194 Mds$, soit supérieures au PIB, à 175 Mds$). De quoi enfin financer des infrastructures de tous types - l'Algérie étant considérée comme le pays le mieux doté d'Afrique avec, par exemple, 98 % du territoire électrifié, tandis que les 9  000 km de la route Transsaharienne, reliant Alger, Bamako (Mali) et Niamey (Niger), devraient être achevés en 2017.

Bref, avec 41 millions d'habitants, une croissance de 3,6 %, une balance commerciale excédentaire de 4,6 Mds$, une dette extérieure brute minuscule de 3,2 Mds$ à la fin de 2014 et des réserves de change de 179 Mds$ (représentant plus de trois années d'importations), l'Algérie semblait aller plutôt bien, cheminant à son rythme vers l'émergence, et les facilités nées de la rente pétrolière semblaient rendre supportables bien des problèmes endémiques, comme le fort taux de chômage des jeunes (autour de 30 %), ou encore l'importance de l'économie informelle, estimée à quelque 40 % du PIB.

Des indicateurs peu encourageants

Aussi, lorsque le prix du pétrole a commencé à décrocher, s'établissant à 79,20 dollars en juillet 2014, le choc fut trop rude, et les autorités se sont pour longtemps installées dans le déni : « Tout va très bien, nous maîtrisons la situation », se sont obstinés à répéter pendant presque deux ans les gouvernants algériens, Premier ministre en tête.

Mais la réalité a fini par s'imposer : le prix du baril a touché un plancher horrifique - 27,10 dollars à la mi-janvier 2016 à la Bourse de Londres, plus bas niveau depuis 2003 -, et les réserves de change ont fondu comme neige au soleil : à 194 Mds$ en 2014, elles ont baissé à 113,3 Mds$ à la fin de 2016.

En réalité, comparés à ceux des années fastes, les indicateurs macroéconomiques de l'Algérie ne sont guère brillants en 2016. L'inflation est en hausse, à 5,2 % et, entre avril et septembre, le taux de chômage a sensiblement augmenté, passant de 9,9 % à 10,5 % pour une population active totale de 12,11 millions de personnes. Et de réserves de change, on n'en comptait plus que 114 Mds$, alors qu'elles s'élevaient à 179 Mds$ fin 2014, soit une chute de 36,3 % en deux ans. Enfin, le déficit commercial s'est creusé de 4,8 %, pour s'établir à 17,84 milliards de dollars, selon la Direction générale des douanes. Les exportations, toujours constituées à environ 95 % par les hydrocarbures, n'ont ainsi assuré que 62 % de couverture des importations, contre 67 % en 2015 et 107 % en 2014.

Des classements peu élogieux

Les classements internationaux ne sont guère plus brillants. Doing Business place l'Algérie au 157e rang sur 189 pays évalués ; alors que, fin décembre, une vingtaine de personnalités algériennes étaient citées dans l'affaire des paradis fiscaux des Panama Papers, selon l'index Transparency International 2016, publié fin janvier, l'Algérie se classe au 108e rang mondial des pays les moins corrompus (sur 170), et au 19e rang africain (sur 54) - derrière la Tunisie (11e), et le Maroc (14e). Enfin, depuis juin 2016 et dans son rapport annuel « Risque pays 2017 »la Coface a encore déclassé la note de l'Algérie, abaissant celle-ci de la catégorie B de risque « assez faible » à la note C, qui désigne les pays dont les perspectives économiques et financières restent « très incertaines ». L'Algérie est ainsi considérée au même niveau d'incertitude que la Grèce.

2016, l'année de l'amorce des réformes

Cependant, le taux de croissance de l'Algérie s'est élevé à 3,6 % en 2016, et le baril est remonté au-dessus de 50 dollars (56,12 dollars au 1er février). C'est dans ce contexte que le budget 2017, adopté le 28 décembre dernier, prévoit une croissance de 3,9 % - jugée cependant irréaliste par certains économistes -, s'appuyant sur la base d'un baril à 50 dollars, et envisage des recettes globales de 46 Mds€ pour 56 Mds€ de dépenses. Ce choix d'un déficit de 10 milliards d'euros est présenté comme la traduction de la volonté des autorités de maintenir l'activité, malgré le recul persistant des recettes pétrolières.

De même, sans couper franchement dans les subventions, la loi de finances 2017 égratigne-t-elle l'État providence algérien : la TVA augmente de deux points (de 7 % à 9 % ou de 17 % à 19 % selon les catégories de produits) ainsi que la taxe intérieure de consommation, qui s'applique notamment aux tabacs et aux alcools. Point noir : sur les 56 Mds€ de dépenses programmés, la Défense nationale en accapare la plus grande part, soit 9,6 milliards d'euros, les autorités justifiant ce choix par le fait que le pays doit faire face de manière continue à la menace terroriste.

Faciliter les IDE et favoriser les PME

Au plan économique, la volonté du gouvernement d'aller de l'avant est désormais manifeste... mais se fait par touches successives. Le nouveau Code de l'investissement, adopté en juillet dernier, introduit des baisses d'impôts et des incitations fiscales notamment pour les produits et services importés et destinés à lancer des projets d'investissements - ce code, note un rapport de la Cnuced qui adresse un satisfecit à l'Algérie, devrait promouvoir et faciliter les investissements étrangers.

En décembre, le ministre de l'Industrie et des mines, Abdessalem Bouchouareb, a annoncé la création prochaine d'un office national de financement des PME-PMI, ainsi que des fonds de soutien « aux recherches et inventions ». Parallèlement, l'idée de privatiser certaines banques n'est plus taboue, y compris avec des investisseurs étrangers majoritaires - jusqu'à 66 %.

Les entrepreneurs, promoteurs du changement

Revendiquant d'être les inspirateurs de ce mouvement de réformes visant à sortir l'Algérie de son modèle d'économie encore largement administrée, les quelque 3 000 patrons du privé et membres du Forum des chefs d'entreprise (FCE) poussent tant qu'ils peuvent à la modernisation et à la diversification de l'économie algérienne (lire pages 19 et 20), ainsi qu'à sa projection dans l'immensité du continent africain (celui-ci n'a accueilli que 0,25 % des exportations algériennes sur les neuf premiers mois de 2016). Mais la population est-elle prête à des changements radicaux et rapides ?

Après que le pays a connu plusieurs jours de grève générale en octobre 2016, en contestation de la réforme des retraites visant à retarder l'âge de départ, début janvier des émeutes ont enflammé Béjaïa (Petite Kabylie) dans la foulée de la grève des commerçants, qui entendaient protester ainsi contre l'entrée en vigueur, le 1er janvier, de la hausse de la TVA et de plusieurs taxes prévues dans la loi de finances 2017 (taxes d'efficacité énergétique, sur les produits pétroliers, sur les véhicules tout-terrain, sur le tabac blond, etc.).

Ainsi, tandis que l'optimisme officiel ne réussit plus guère à masquer le mécontentement grandissant de la population, face à l'absence de réformes de grande envergure, l'éminent économiste Abderrahmane Mebtoul n'a de cesse de tirer la sonnette d'alarme : « Si l'Algérie rate le cap du développement entre 2017 et 2020, elle sera éternellement un pays sous-développé. C'est sa dernière chance », écrivait-il en décembre.

Le peuple algérien, lui, fera connaître son sentiment début mai, à l'occasion des élections législatives.

Alfred Mignot

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