La Ligue Arabe a-t-elle encore un avenir ? par F.-A. Touazi, cofondateur du think tank CAPMENA

Le  XXVIIIe sommet qui s'est tenu dans la capitale jordanienne le 29 mars dernier n'aura pas réussi à faire oublier l'échec cuisant du précédent, à Nouakchott. Bien qu'ayant réuni plus de 14 chefs d'État, il a été incapable de créer une dynamique politique indispensable pour mettre fin aux luttes fratricides qui déchirent l'institution devenue moribonde. Décryptage, par François-Aïssa Touazi, cofondateur du think tank CAPMENA, auteur de « Le ciel est leur limite, les dirigeants du golfe, leur influence, leurs stratégies », Éditions du moment.
De g. à d. : le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, le président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat, le chef de la politique étrangère de l'Union européenne Federica Mogherini et le secrétaire général de l'Organisation de la coopération islamique Yousef bin Ahmad Al-Othaimeen, lors du 28e Sommet de la Ligue arabe, en Jordanie, le 29 mars 2017.

La participation cette année du roi Salmane d'Arabie saoudite et du général Al Sissi n'a pas suffi à relancer une organisation dont l'action est entravée, depuis sa création en 1945, par les dissensions et les divergences entre ses 22 États membres. L'incapacité chronique à remplir son objectif initial d'unir la nation arabe et à s'imposer comme une institution forte dans la sphère internationale a stérilisé cette institution. Si les interrogations sur l'utilité même de la Ligue Arabe se multiplient, de nombreuses forces se livrent une guerre d'influence pour tenter de peser sur cette organisation.

De la bipolarisation à la fracture

Les divergences au sein de la ligue arabe ont toujours existé et sont persistantes. Dès sa création, une bipolarisation s'est dessinée entre les pays post-révolutionnaires et les monarchies, en fonction notamment des alliances internationales.

Cette fracture s'est confirmée et aggravée tout au long des crises et guerres qui ont secoué la région. Elle a provoqué pendant longtemps une scission, entre d'une part les partisans d'une ligne dure, baptisée un temps le front du refus (notamment sur le conflit israélo-arabe ou sur l'interventionnisme américain dans la région) et, d'autre part, des monarchies surtout soucieuses de leur alliance stratégique avec les États-Unis.

Une crédibilité réduite à néant

L'incapacité de l'organisation à contribuer efficacement aux résolutions des crises régionales - en premier lieu le conflit israélo-arabe - à défendre les intérêts arabes au plan international et à s'adapter aux conditions nouvelles nées de l'après-guerre du Golfe ou aux révolutions du printemps arabe, son manque d'efficacité opérationnelle ont fini par lui ôter toute crédibilité. Incapable de créer du consensus entre ses membres, la Ligue s'est contentée, au mieux, d'adopter des compromis et des  résolutions à minima.

La « déclaration d'Amman » publiée à la suite du sommet arabe montre elle aussi les limites de son action. Elle rétablit certes comme priorité la résolution du conflit israélo-palestinien, en appelant la communauté internationale à mettre en place la résolution 2334 du conseil de sécurité de l'Onu, déclarant illégales les colonies israéliennes tout en réaffirmant leur engagement envers une solution à deux États.

Néanmoins, elle propose peu de mesures concrètes ou d'initiative susceptible de répondre aux risques que comportent la nouvelle politique portée par l'administration Trump. Elle se contente en effet de réitérer son soutien aux pays engagés dans la lutte contre le terrorisme et son intention de peser sur la résolution du conflit au Yémen.

La montée en puissance des pays du CCG

Et pourtant, malgré cette triste réalité, l'institution fait face à des luttes de pouvoir et d'influence exacerbées. En effet, ces dernières années ont été marquées par la montée en puissance des pays du CCG (Conseil de coopération des pays du Golfe) qui, après avoir considérablement renforcé leurs liens politiques tentent, avec leur force de frappe économique et financière, d'imposer leur agenda sur l'organisation panarabe, en contrant l'influence croissante du grand rival iranien dont l'ingérence dans les affaires arabes - notamment auprès des pays à forte composante chiite - exaspère profondément. Les pays du CCG espèrent aussi tirer profit de la fragilité politique et économique des pays post-révolutionnaires, empêtrés dans les transitions difficiles, déstabilisés et demandeurs de soutiens financiers, pour dominer l'organisation.

Rendez-vous à Ryadh, en 2018...

C'est précisément dans cette perspective que l'Arabie Saoudite a appelé de ses vœux une restructuration et une réforme de la Ligue Arabe. Le prochain sommet prévu en mars 2018 se tiendra à Ryadh et devrait être l'occasion pour l'Arabie saoudite et les pays du CCG d'affirmer leur leadership sur l'organisation.

L'enjeu est de taille et s'avère périlleux, tant l'intérêt individuel des États a toujours prévalu sur l'unité et la solidarité arabe.

L'impuissance et la passivité dont l'organisation panarabe fait preuve face aux défis actuels et passés la condamnent pourtant à un avenir très sombre. Les monarchies du Golfe l'ont sûrement bien compris. Pour réussir, ils devront transcender les clivages religieux et promouvoir un nouveau nationalisme arabe qui tienne compte tant des aspirations des peuples de la région que des changements récents dans le monde arabe.

Si l'institution ne se remet pas rapidement, elle risque de voir sa base détournée au profit de l'influence croissante de puissances non arabes comme la Turquie et son grand rival iranien, ou de la Russie de Poutine, qui n'a pas hésité à envoyer un message aux participants du Sommet d'Amman, réaffirmant la disponibilité de Moscou à participer à la résolution des conflits et crises régionales et à faciliter la reconstruction post-conflit. C'est pourquoi, déjà humiliés par leur absence des négociations d'Astana sur l'avenir de la Syrie, les Arabes doivent désormais rapidement surmonter leurs divisons, pour espérer encore agir sur leur destin.

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