Lionel Zinsou :  « C'est à l'OCDE qu'il faut défendre la baisse des primes de risque pour l'Afrique »

Après la publication des deux premiers volets - « L'Afroptimisme, ce n'est pas gagné ! » et « AfricaFrance, c'est un réseau social d'entreprises » - de notre long entretien avec Lionel Zinsou, Premier ministre du Bénin et président de la fondation AfricaFrance, voici la troisième et dernière partie. Sont évoquées ici les motivations de la France, la question des primes de risque excessives imposées à l'Afrique, les raisons de la surchauffe dès que le PIB d'un pays africain enregistre 5 % de croissance...
Lionel Zinsou, Premier ministre du Bénin, président d'AfricaFrance

LA TRIBUNE - La motivation de ce renouveau d'intérêt pour l'Afrique, officiellement assumée par le gouvernement et la présidence de la République, c'est de doubler nos exportations vers le continent (1). Alors, Françafrique ou AfricaFrance, où est la différence ?

LIONEL ZINSOU - Le mot Françafrique est connoté historiquement comme un réseau affairiste ; j'ai proposé de renverser ça, un peu comme dans le livre-pamphlet d'Antoine Glaser [Africafrance : Quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu, ndlr] où est esquissé un retournement de l'Histoire, un peu comme si c'étaient maintenant les Africains qui « maraboutaient » ou « manipulaient » la France... Notre objectif, c'est de rassembler le maximum d'acteurs, avec une volonté claire que cela parte des besoins africains, de toute l'Afrique. Alors oui, si l'on veut remonter les parts de marché européennes en Afrique - nous en avons perdu les deux tiers en vingt ans - on a besoin de faire quelques efforts !

Il y a un large consensus pour considérer qu'avec une croissance inférieure à 7 %, au Maghreb comme ailleurs en Afrique, on ne résorbe pas le chômage, du fait de la forte pression démographique. Or, vous affirmez qu'à 5 % de croissance, on est déjà en surchauffe...

Cela nous ramène à la question de l'urgence de la formation... [voir l'article « AfricaFrance, c'est un réseau social d'entreprises », ndlr]. Oui, on est en surchauffe avec une croissance à 5 % car on a des besoins en personnels qualifiés qui ne trouvent pas satisfaction. On est donc confrontés à l'urgence de rattraper des retards en ressources humaines. Et d'autant plus si la croissance est supérieure.

La surchauffe ne veut pas dire que l'on crée tellement d'emplois que l'on est obligé d'importer des immigrés parce qu'on n'a pas assez de main d'œuvre. Non, le problème porte sur les qualifications. Les 5 % de croissance, c'est du volume ; si l'on considère les 5 % à 10 % d'inflation selon les pays, cela veut dire que l'on est plutôt à 12 % de croissance en valeur. Mais les chiffres d'affaires des entreprises, c'est autre chose que des valeurs ajoutées dans la comptabilité nationale. Cela ressemble plus à de la croissance en valeur. Or les chiffres d'affaires des entreprises croissent couramment de 12 % à 15 %. Dans ce cas, le problème n'est pas celui des non-qualifiés, c'est celui qui renvoie aux qualifications clés : les référents, les cadres, les managers. C'est pourquoi il y a une forte demande de qualification.

Enfin, il est sûr qu'en dessous de 7 % de croissance, l'Afrique ne peut pas absorber la demande de travail. En revanche, il y bien surchauffe au regard des qualifications, d'où cette obsession des formations. Notre idée, c'est d'essayer de contribuer à accélérer les solutions.

Lors du IIIe Forum international Afrique Développement, qui s'est tenu à Casablanca en février, et auquel vous avez participé, plusieurs personnalités ont critiqué la surévaluation excessive des primes de risque supportée par les pays africains. Quelle est votre position ?

Oui, on en a parlé à Casa. C'est une question récurrente. Elle a fait l'objet d'une recommandation - Agir pour baisser la perception du risque - dans le rapport de Tidjane Thiam au G20 de Los Cabos, en 2012, et dans le rapport que nous avons rédigé avec Hubert Védrine en 2013. Notre recommandation est de porter cette question devant l'OCDE, car nous pensons que c'est le bon forum pour faire bouger les lignes sur ce genre de sujet.

Cela dit, ces derniers mois le marché évolue favorablement. On a pu voir la Tunisie s'endetter à 5,5 % pour une émission souveraine, tout comme la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Gabon, le Ghana, la Zambie... je trouve qu'il y a une tendance à la réduction des primes de risques.

D'autre part, Banque mondiale aussi commence à changer de doctrine, à admettre l'idée de donner des garanties que l'on puisse effectivement tirer, qui ne soient pas assorties de conditions telles qu'il soit impossible de tirer, alors que traditionnellement elle ne voulait pas faire de hors bilan, estimant qu'elle était là pour accorder des prêts mais pas pour garantir des prêts privés.

En France, on constate aussi une évolution certaine. Ainsi Jean-Michel Severino, ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), maintenant investisseur en capital dans des PME d'Afrique subsaharienne, plaide de son côté pour que l'AFD ne garantisse pas que de la dette, mais aussi le capital.

Nous prenons donc acte que l'état d'esprit, le marché et la Banque mondiale évoluent. Mais pour aller plus loin sur ces sujets, il faut que quelqu'un s'en empare politiquement. Ce peut être la France, membre de l'OCDE, ou les pays africains. Je suis persuadé que c'est au sein de l'OCDE que les pays les plus avancés peuvent réfléchir à la façon dont leur épargne s'investit en Afrique, avec des éléments de garanties atténuant la perception du risque.

Propos recueillis par Alfred MIGNOT

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1 - Le rapport « Un partenariat pour l'avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l'Afrique et la France » (téléchargeable ici : https://www.tresor.economie.gouv.fr/File/399237) a été rédigé, à la demande de Pierre Moscovici, alors ministre de l'économie et des finances, par cinq personnalités françaises et franco-africaines du monde politique et économique : Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères, Hakim El Karoui, Jean-Michel Severino, Tidjane Thiam, Lionel Zinsou.

Il a été remis à Pierre Moscovici lors de la conférence de Bercy « Pour un nouveau modèle de partenariat économique entre l'Afrique et la France » qui s'est tenue le 4 décembre 2013.

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Les trois articles de l'entretien avec Lionel Zinsou :

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Commentaire 1
à écrit le 27/06/2015 à 10:51
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Zinsou qui devrait savoir compter nous prend pour des imbéciles. Il tente de croire qu'il s'agit de stimuler la production pour induire une croissance forte et ainsi régler le problème de l'emploi. Cela suppose que les produits se vendent, il pense q...

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