Pour en finir avec l'insécurité alimentaire en Afrique et en Méditerranée

En dépit de nombreuses réunions internationales depuis des décennies (1), on observe en Afrique, mais aussi en Méditerranée et en Europe, une montée de l'insécurité alimentaire et nutritionnelle, qui incite à proposer des solutions efficaces à la crise polysémique des systèmes alimentaires et de construire, au sein du cadre géopolitique dessiné par la Verticale «  Afrique-Méditerranée-Europe  » (AME), un réel partenariat agricole et agroalimentaire.
Champ de plants de maïs dans le district de Hoopstad, en Afrique du Sud.

Rappelons à ce titre la Déclaration du Sommet Afrique-France tenu à Bamako, en janvier 2017 : « Compte tenu de l'importance de l'autosuffisance en produits agricoles et en marchandises, ainsi que des effets du changement climatique sur les récoltes, les chefs d'État et de gouvernement sont convenus de travailler ensemble en réalisant des transferts de technologies pour améliorer les récoltes et ajouter de la valeur aux produits frais, ainsi qu'améliorer les systèmes de stockage, de transport et de distribution. [...] Le secteur de l'agriculture constitue une priorité pour l'Afrique, non seulement du fait de son importance pour la sécurité alimentaire du continent, mais aussi plus largement pour son développement économique et social. ».

Les quatre figures de l'insécurité alimentaire

L'insécurité alimentaire dans la grande région AME se manifeste principalement par des conséquences dramatiques sur la santé des populations. Ses facteurs déterminants sont à la fois sociaux, économiques et technologiques.

Dans la macro-région constituée par l'Afrique et le Moyen-Orient, au moins 500 millions de personnes se trouvent en situation de déficit alimentaire et 400 millions en excès, soit près de 70 % de la population totale, avec le triple fardeau de la faim, de pathologies telles que l'obésité, les maladies cardio-vasculaires, le diabète de type 2 et de maladies infectieuses d'origine alimentaire, entraînant une mortalité et des coûts très élevés. En Europe, les maladies chroniques d'origine alimentaire sont directement ou indirectement la cause de la moitié des décès et plombent les budgets publics.

Populations en forte hausse - La population de la grande région Afrique-Moyen-Orient passera de 1,9 milliard d'habitants en 2015 à 3,3 milliards en 2050 sous la poussée du continent africain, dont la population fera plus que doubler, tandis que celle du Moyen-Orient augmentera de 58 % et que l'UE-28 connaîtra un déclin démographique de 1 %.

La création de centaines de millions d'emplois sera nécessaire, au Sud, pour absorber ce choc démographique. Or, en 2050, 1/3 de la population de l'espace AME sera rural ; d'où la nécessité d'agir en faveur d'un développement durable et inclusif des zones rurales afin d'éviter le risque de migrations massives et déstabilisantes, au Sud comme au Nord.

Importations massives - Le lourd déficit de la production par rapport aux besoins génère en Afrique et en Méditerranée des importations de produits agricoles et alimentaires approchant, en 2015, 180 milliards USD, 4 fois plus qu'en 2000. Ces importations - dépendantes de marchés volatils - ont de plus des effets pervers de destruction des productions végétales et animales locales.

Complémentarités - In fine, on voit se dessiner une complémentarité entre un Nord (UE) exportateur net de denrées alimentaires et un Sud (Afrique et Moyen-Orient) lourdement déficitaire, tandis que les parts de marché de l'UE dans la «  Verticale  » ne cessent de s'éroder au profit des Amériques, des Balkans et de l'Asie, selon les produits, et que des perspectives prometteuses existent pour développer les flux commerciaux Sud-Sud. Ces complémentarités ne doivent pas être traitées selon une approche purement mercantile, mais de co-développement ;

La fin de la recette «  révolution verte  » - Le mode de production des aliments, qu'il soit spécialisé, intensif, concentré et financiarisé comme dans le schéma agro-industriel ou fragmenté, à faible productivité et à forte insuffisance organisationnelle des filières agroalimentaires conduisant à des trappes de pauvreté, comme dans le schéma traditionnel, génère dans les deux cas, des externalités négatives environnementales et sociales préoccupantes et se révèle incapable de relever le défi du dérèglement climatique. La recette « révolution verte » des années 1960, qui continue d'inspirer nombre de politiques agricoles nationales et intergouvernementales, a montré ses limites. De nouvelles technologies et de nouveaux modes de gouvernance sont donc indispensables.

Promouvoir une transition...

... vers des systèmes plus responsables et durables pour assurer la sécurité alimentaire des pays de la verticale AME.

 Une telle transition devrait s'appuyer sur deux leviers :

  • La reconquête des marchés intérieurs par une souveraineté alimentaire mieux assumée et mobilisant des innovations de progrès technologiques et organisationnelles et d'ambitieux programmes de formation des acteurs des filières et des territoires ;
  • La solidarité nord-sud, sud-nord et l'interfaçage sud-sud par des dispositifs de codéveloppement de la production locale au moyen de la construction de chaînes de valeurs agroalimentaires durables et de sécurisation des approvisionnements.

Des programmes opérationnels formeront l'ossature de ce projet dans trois domaines : éducation et information alimentaire des consommateurs, projets-pilotes de bioéconomie circulaire territorialisée, approvisionnement solidaire trilatéral.

Ce modus operandi nécessiterait, en premier lieu, la conclusion d'un accord-cadre géopolitique sur la sécurité alimentaire par la souveraineté et la solidarité au sein de cette « Verticale ». Le prochain Sommet Europe-Afrique pourrait-il constituer une première étape pour porter cette vision ?

Dans une tribune datant d'avril 2016, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne et Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de la Commission de l'Union africaine constataient que « les échanges commerciaux et les investissements entre l'Afrique et l'UE peuvent encore être améliorés par une coopération plus étroite, une coordination politique et la conclusion des négociations de l'OMC » et qu'Afrique et UE travaillaient ensemble « pour développer l'agriculture afin de promouvoir une croissance économique durable et inclusive » (2).

Rendez-vous donc à la fin de 2017...

Pr Jean-Louis RASTOIN (Montpellier SupAgro, Ipemed)

Kelly ROBIN (Ipemed)

 1 - Cet article reprend les éléments présentés dans une publication collective : Rastoin J.-L. et al, 2016, « Pour une sécurité et une souveraineté alimentaires durables et partagées », parue le 13 janvier 2017, dans la collection Les Palimpsestes de l'Ipemed. Document consultable et téléchargeable sur le site https://www.ipemed.coop/fr/.

2  - « Union européenne-Afrique : un avenir commun », Jean-Claude Juncker, Le Figaro, 06-04-2016

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