Pourquoi  les fonds souverains du Golfe demeureront des acteurs majeurs de l'économie mondiale

Depuis que le prix du baril a chuté en 2014, c'est grâce à une utilisation subtile de leurs considérables fonds souverains que les États du Golfe agissent en répondant tout à la fois aux nécessités du court terme et à une vison de long terme qui vise à les libérer de la « dépendance maladive » au pétrole. Décryptage d'une stratégie à l'œuvre, par François Aïssa Touazi, Senior Adviser du fonds d'investissement Ardian, cofondateur du groupe de réflexion Capmena, auteur de l'essai « Le ciel est leur limite - Les dirigeants du Golfe, leur influence, leurs stratégies » (Editions du Moment, 2014).
Aux Émirats Arabes Unis, les deux tours de l'Adia Builiding, siège de l'Abu Dhabi Investment Authority (ADIA), le plus important fonds souverain au monde en termes d'actifs sous gestion.

L'annonce récente de la prise de participation - réalisée conjointement par Qatar Investment Authority (QIA), le fonds souverain qatari et le géant des commodities Glencore (dont le Qatar est actionnaire majoritaire) - à hauteur de 20 % du capital de Rosneft, le deuxième plus grand producteur de pétrole russe, pour un peu plus de 10 milliards d'euros, a surpris de nombreux observateurs financiers. Cette transaction vient en effet démentir les mauvais augures qui mettaient en doute la résilience des fonds souverains du Golfe. Pourtant, le deal Rosneft n'est pas un épiphénomène : ces derniers mois, le saoudien PIF a annoncé la création d'un fonds de plus de 100 milliards de dollars sur les nouvelles technologies avec le japonais Softbank, pris une participation de 3,5 milliards de dollars au capital d'Uber et les fonds du Golfe ont multiplié les acquisitions dans l'immobilier et l'hôtellerie de luxe sur tous les continents.

Il est vrai que depuis la baisse du prix du baril au deuxième semestre 2014 (passant de 115 à 46 dollars), les mauvaises nouvelles s'accumulent : les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) ont totalisé un déficit budgétaire cumulé de 160 milliards de dollars en 2015, ceci malgré une réduction rapide de plus de 15 % de leurs dépenses publiques. À elle seule, l'Arabie Saoudite a enregistré un déficit de près de 100 milliards de dollars en 2015, soit plus de 20 % de son PIB. Et le Royaume devrait rester dans le rouge cette année encore, avec un manque à gagner estimé à 84 milliards de dollars.

La crainte des observateurs est motivée par le dilemme suivant : pour compenser leurs déficits budgétaires, les États du Golfe, encore dépendants de la rente pétrolière, doivent choisir entre une solution de court terme, en appelant à la rescousse leurs fonds souverains ou mettre en place des réformes structurelles profondes. Évidemment, la tentation de puiser dans les ressources considérables de leurs fonds souverains - estimées à 2 500 milliards de dollars - est extrêmement forte... Toutefois, ce serait fouler aux pieds la mission première de ces fonds : accumuler une épargne de long terme au bénéfice des générations futures afin de réduire la dépendance au pétrole au moyen d'une stratégie d'investissement diversifiée, tant sur les plans sectoriel que géographique. C'est finalement un mélange subtil des deux solutions qui se dessine, avec les fonds souverains comme pivot central.

1 - Les fonds souverains veulent conserver leur rôle clef dans l'économie mondiale

En 2007, les fonds souverains du Golfe ont sauvé les banques occidentales de la faillite : Abu Dhabi Investment Authority (ADIA) avait par exemple renfloué Citibank en déboursant 7,5 milliards de dollars. Aujourd'hui, revers de la médaille, certains parient sur d'importantes cessions d'actifs, avec un impact majeur sur l'économie mondiale.

Selon une étude du Sovereign Wealth Fund Institute (SWFI), les fonds souverains des pays pétroliers céderaient jusqu'à 400 milliards d'actifs en 2016, 250 milliards appartenant aux fonds des pays du Golfe. QIA a cédé ou réduit sa participation dans plusieurs entreprises (Vinci construction, Hochtief, etc.) et le fonds souverain du Koweit, KIA, a cédé 30 milliards de dollars en 2015.

Toutefois, ces cessions sont motivées par des stratégies de restructuration de portefeuille et concernent dans certains cas les actifs les moins rentables. Très attachés à leur crédibilité et à leur image, les fonds souverains visent surtout à maintenir leur capacité d'investissement et leur présence sur le marché.

2 - Les fonds souverains se sont progressivement affranchis de la manne pétrolière

Après avoir longtemps opté pour une approche prudente (souscription aux bons du trésor américain), les fonds souverains ont privilégié une approche plus audacieuse et risquée, en investissant en direct et/ou sur des actifs alternatifs plus rémunérateurs : dans le capital investissement, l'immobilier et les infrastructures. Cette stratégie de diversification a renforcé leur autonomie en augmentant leurs revenus, et a réduit les effets des fluctuations des prix du baril sur leur activité. Avec la crise pétrolière, elle est devenue encore plus exigeante, soumettant leurs investissements à une très forte sélectivité à la fois en termes de performance et au niveau sectoriel et géographique.

Par ailleurs, il est important de souligner que les fonds les plus anciens, tels ADIA ou KIA, ont atteint un tel degré de sophistication et de performance qu'ils pourraient même se passer de la manne pétrolière et se rémunérer exclusivement sur les dividendes générés et les plus-values. Cette autonomie financière leur confère une capacité d'adaptation aux conjonctures difficiles et leur permet de s'affranchir des États.

3 - Les fonds souverains sont la solution à la crise

À défaut de compenser les déficits budgétaires en puisant dans les liquidités de leurs fonds souverains, les États du Golfe s'engagent dans une course contre la montre pour réussir leur diversification en lançant des réformes structurelles profondes, comme la réduction drastique des subventions, l'instauration de taxes supplémentaires et la dynamisation du secteur privé.

Le cas de l'Arabie Saoudite illustre parfaitement cette volonté de changer de paradigme. Après avoir longtemps fonctionné sur le modèle de l'État-providence, le Royaume a lancé un plan ambitieux, appelé « Arabie Saoudite Vision 2030 » visant à accroître ses revenus non-pétroliers de 43,4 à 70,4 milliards de d'euros en quinze ans. L'objectif affiché consiste à mettre fin à la « dépendance maladive » au pétrole comme le répète Mohammed Ben Salmane, le vice-prince héritier.

Pour réussir cette stratégie, un fonds souverain gigantesque sera prochainement doté de plus de 2 000 milliards de dollars, alimenté par la privatisation de plusieurs entreprises publiques, dont la puissante compagnie pétrolière ARAMCO qui devrait être introduite en bourse en 2018. Ce nouveau fonds devra à terme constituer la principale source de revenu du royaume.

Enfin, de nouvelles synergies entre les différents fonds souverains du CCG pourraient se développer. Cela leur octroierait une force de frappe considérable. Un tel rapprochement s'inscrirait dans la continuité de l'union politique dont font preuve les pays membres depuis quelques années.

Finalement, c'est bien parce que les fonds souverains du Golfe sont résilients que les marchés financiers leur renouvellent leur confiance. Le succès de l'emprunt obligataire de 17 milliards de dollars réalisé par l'Arabie Saoudite en octobre dernier - sur-souscrit à 67 milliards de dollars - en témoigne aisément. Cette confiance est aujourd'hui renforcée par l'accord conclu à Vienne entre les pays producteurs de pétrole (OPEP et non-OPEP), qui devrait se traduire par une remontée du prix du baril. Et les transactions réalisées au cours de l'année, de par leur montant et leur dimension stratégique, viennent encore davantage la conforter.

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Commentaire 1
à écrit le 19/12/2016 à 4:35
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Si j ai bien tout compris, ces fonds se dégagent de leurs dépendance au pétrole pour devenir des spéculateurs en force. Comme si le monde en manquait. Ça va rajouter de la prédation à la prédation , cool le modèle d'avenir.

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