Quelles perspectives économiques pour l'Égypte du président El-Sissi  ?

Où va l'Égypte ? Dans le tour d'horizon qu'il nous propose, avec ce texte qui résume l'essentiel de sa conférence, tenue à la Villa Méditerranée de Marseille fin avril, en partenariat avec La Tribune, Maître Alexandre Cordahi relève notamment que « si la Stratégie 2030 appelle à une administration efficace, transparente et flexible, les moyens d'y parvenir ne sont pas encore clairs »... L'Égypte saura-t-il mettre à profit ses formidables atouts, et quels sont les préalables pour qu'il réussisse ses grands projets de développement ?
Le plan de développement à l'horizon 2030 prévoit que le patrimoine soit mieux protégé et que l'Égypte passe de la 85e à la 60e place dans le tourisme et le voyage.

La stratégie de développement actuel pour l'Égypte sera louée ou décriée selon l'opinion que l'on a du président El-Sissi (élu en juin 2014). Les uns le comparant à Franklin Delano Roosevelt, les autres à Augusto Pinochet, il est difficile d'apprécier, sur des fondements qui leurs soient propres, les programmes (eau, énergie, bonification de plus d'un million d'hectares dans le désert, zones économiques spéciales...). D'autant que la personnalisation du pouvoir accompagne l'annonce de politiques publiques : en mars 2015 à la conférence économique de Charm-el-Cheikh (33 milliards d'euros de contrats annoncés) ; en juin à la signature du Traité de libre-échange tripartite (26 pays d'Afrique) ; en août lors de l'inauguration du doublement du Canal de Suez (72 km en un temps record) ; le 28 février 2016 par le discours sur l'Égypte à l'horizon 2030 ; en mars 2016 au Japon ; en avril 2016 à l'occasion de la visite de François Hollande, précédée de celle du roi Salman où furent annoncées la rétrocession d'îles à l'Arabie saoudite et la construction d'un pont reliant les deux pays...

Le Premier ministre a détaillé, à la Chambre des Représentants en mars 2016, la politique générale à court terme : un taux de croissance de 5 à 6 %, un taux de chômage ne dépassant pas 11 % de la population active, un déficit public limité à 10 % du PIB, une dette publique se maintenant à 94 % du PIB, et un taux d'inflation de 9 %.

Il convient d'évaluer ces politiques publiques, ces initiatives et ces objectifs, non seulement en rapport au dirigeant - aussi important soit-il -, mais au regard du contexte, de la conjoncture (baisse des entrées en devises), des habitus des acteurs et des résultats attendus.

Quelle stratégie de développement à l'horizon 2030 ?

Rappelons brièvement en quoi consiste la stratégie de développement à l'horizon 2030. La première composante, économique, fait la part belle aux mégaprojets et aux partenariats publics privés (PPP). Les énergies renouvelables devront contribuer à plus d'un tiers de la production d'électricité, faisant passer l'Égypte de la 90e à la 60e place du Global Innovation Index (INSEAD). Le cadre des affaires serait amélioré (selon le classement de Doing Business).

La deuxième composante, sociale, a pour objectifs la couverture maladie universelle, de faire en sorte que nul ne vive sous le seuil d'extrême pauvreté, l'éradication de l'illettrisme, et le placement de sept établissements au classement de Shanghai (500 meilleures universités). Le patrimoine serait mieux protégé et l'Égypte passerait de la 85e à la 60e place dans le tourisme et le voyage (Index de compétitivité Forum Economique Mondial).

Enfin, la troisième composante vise à préserver l'environnement, notamment au travers de la fiscalité, et un développement géographique équilibré par la création de nouvelles aires urbaines et l'extension d'infrastructures de transport public.

Ces objectifs sont pour l'essentiel pertinents, car 95% des Égyptiens vivent sur 5 % du territoire, la vallée du Nil où se trouve l'essentiel des terres cultivables. Le Caire (plus de 20 millions d'habitants) est parmi les villes les plus polluées au monde en particules fines. Dans dix ans la population du pays dépassera les 100 millions. L'énergie (la demande d'électricité est largement supérieure aux capacités de production), l'eau (la pénurie est en vue), l'emploi (300 000 jeunes par an à la recherche d'emploi), la santé (dont le budget s'élève à seulement 2,4 % du PIB ; hépatite C), la sécurité alimentaire (l'Égypte est le premier pays importateur de blé au monde) sont des priorités. Et le pays ne manque pas d'atouts, à commencer par son positionnement stratégique.

Mais la mise en forme et en œuvre des politiques et des projets requiert un renforcement des capacités pour une meilleure information, formation et participation des parties prenantes et des citoyens. Si la Stratégie 2030 appelle à une administration efficace, transparente et flexible, les moyens d'y parvenir ne sont pas encore clairs. Or ils doivent être innovants, intégrés et panachés. Cela signifie en particulier des analyses ex ante d'impact (des règlementations et des programmes), la réforme des procédures de la commande publique (appels d'offres, enchères publiques, PPP...), une coordination interinstitutionnelle et une justice efficientes (spécialisation des magistrats).

Des approches innovantes et adaptées sont possibles

À titre d'exemple, l'aménagement du territoire doit certes couvrir des villes nouvelles (qui ne devraient pas devenir fantômes) mais aussi la rénovation de bâtiments et quartiers historiques (aussi beaux qu'en déshérence, par exemple à Tewfikeya, au Caire) et de quartiers informels (plus de la moitié des espaces résidentiels bâtis) trop souvent insalubres, parfois installés sur des sites à risques.

Le métro du Caire, une réussite de la coopération franco-égyptienne, accroît le désenclavement de l'informel, la multimodalité et la fluidité. La créativité se développe dans le transport fluvial et des centres logistiques comme dans les montages financiers pour l'énergie renouvelable (par exemple avec le Fonds InfraMed). La formation académique et professionnelle y contribue : Thales Université l'appuiera dans les domaines du transport urbain et des grandes lignes ferroviaires. L'AFD et le Centre d'études et de documentation économiques, juridiques et sociales (le CEDEJ, sous la cotutelle du CNRS et du MAE de France) offrent une mine de travaux pluridisciplinaire susceptibles de "réinventer la ville", la protection du patrimoine et des éco-cités.

Le projet d'une capitale administrative ne devrait-il pas tenir bien compte des progrès en administration électronique (e-government)? Un projet sous financement UE (CES-Med) vise à développer les capacités des autorités locales à formuler et à mettre en œuvre des politiques locales durables, comme celles qu'implique l'adhésion à la Convention des maires (l'une des plus grandes initiatives au monde pour le climat et l'énergie). Une expertise collégiale, réalisée par l'Institut de recherche pour le développement (IRD), a fourni des recommandations pour la modernisation de la Cour de cassation d'Égypte.

On le voit, des approches innovantes et adaptées sont possibles. Elles ne s'appuient pas exclusivement sur le charisme, la technocratie ou l'utopie. Elles tentent de dépasser les cadrages et les processus qui reproduisent des échecs. Elles incitent à des améliorations dans la conception et l'évaluation des politiques, la responsabilisation, la commande publique et la protection des droits inaliénables de la personne humaine. Le parlement, l'administration, le monde universitaire, les citoyens de tous bords, la présidence même sont alors à même d'affiner leurs diagnostics et leurs arguments, leurs propositions et leurs décisions.

Un dernier exemple, et non des moindres, pour illustrer notre propos : lors de sa récente visite au Japon, le président égyptien s'est intéressé de près à l'expérience de ce pays en matière d'éducation et d'enseignement. Il a exprimé le souhait d'en explorer la pertinence pour la formation des nouvelles générations en Égypte. Sa visite prolongée d'une école élémentaire illustre la double dimension symbolique et technique du pouvoir présidentiel. Mais comment se prononcer, avant toute décision, sinon par une réflexion préalable comparative et interdisciplinaire? Technocrate, charismatique ou révolutionnaire, nous en avons tous besoin.

...

Retour au SOMMAIRE EUROMED-AFRIQUE

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 03/05/2016 à 19:18
Signaler
Pour être allé en Égypte plusieurs fois, on est loin de l'eldorado vendu par cet article ... Opportunité de quoi : misère galopante , montée des extrémismes , division de la société civile entre pro et anti Sissi etc... Celui qui réussi un business s...

à écrit le 03/05/2016 à 15:12
Signaler
Les opportunités sont immenses dans ce pays de 90 millions de consommateurs et qui rayonne dans la zone méditerranéenne et l'Afrique. Il se réveillera, certainement, dans les années qui viennent. L'Europe peut-elle aider l’Égypte à surmonter ses dif...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.