Ce désordre gouvernemental bien français

Quelle institution change d'organigramme du jour au lendemain, sans aucune réflexion préalable? Le gouvernement, en France, bien sûr. Il est peut être temps de mettre fin à ce désordre organisé. par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Connaissez- vous une institution qui change d'organigramme du jour au lendemain, sans étude préalable, et gonfle son comité de direction en créant des postes sans contenu réel ? Cherchez. Ne serait- ce pas la pratique habituelle de la République française, dont le nouveau gouvernement Valls-ou plutôt Sarkozy- est le dernier avatar.

Dans ce gouvernement, trois secrétariats d'Etat, au moins, ne disposeront pas de services propres, donc de moyens d'action. Un secrétariat d'état « à l'égalité réelle » a vocation à intervenir dans les domaines de l'Education, de l'Emploi, du Logement et de la Santé et bien évidemment aucun de ces ministères ne va transférer de services à Ericka Bareigts. Elle devra se contenter de faire appel aux services de ses collègues et dépendra de leur bonne volonté. Il en sera de même de Juliette Méadel chargée de « l'aide aux victimes » qui par nature a un caractère horizontal et se trouve elle aussi rattachée au Premier Ministre. Le sort de Barbara Pompili, ayant pour mission la biodiversité n'est guère plus enviable, saut si Ségolène Royal, la ministre à laquelle elle est rattachée, lui octroie quelque espace.

 Trois femmes qui rejoindront les poubelles de l'histoire

Remarquons que dans les trois cas il s'agit de femmes. Leur échec est programmé et elles rejoindront dans les poubelles de l'histoire les « jupette » et autres laissées pour compte. Peu importe, le principe de parité est respecté. Le chiffre a tué l'esprit. Des pourcentages rigides ne sont guère compatibles à la souplesse nécessaire au fonctionnement des institutions humaines. Et si un jour- que l'on peut souhaiter proche- un président et un premier ministre aboutissent à un gouvernement composé à 55% de femmes compte tenu de leur compétence et de leur représentativité, faudra t'il créer des secrétariats d'Etat fictifs pour que le pourcentage masculin atteigne 50% ?

Hors des règles s'imposant à la société civile

Un gouvernement serait-il d'une autre nature et échapperait-il à toutes les règles s'imposant aux organisations de la société civile ? Ce serait une sorte d'affiche, de menu, qui stimule, met en appétit nos concitoyens et fait apparaître des nouveautés. Je n'en crois rien, s'il doit y avoir du nouveau, c'est dans l'assiette, c'est-à-dire dans les politiques, et non dans le menu.
S'il peut être opportun qu'une politique nouvelle soit incarnée par un homme, des précautions sont possibles. Ce fut le cas sous la présidence de Nicolas Sarkozy avec le RSA (revenu de solidarité active) Martin Hirsch avait sagement refusé le titre de secrétaire d'état pour prendre celui de Haut- Commissaire et le poste fut supprimé une fois la loi adoptée.

Compromis boiteux

Ces pratiques sont source de dysfonctionnements. Les décrets fixant les attributions et les moyens accordés à chaque ministre donnent lieu à des débats interminables et aboutissent à des compromis boiteux. L'existence de secrétariats d'état sans moyens propres alourdit le fonctionnement interministériel. Pour exister, les sous-ministres doivent faire appel au Premier Ministre et demander des arbitrages, ce qui veut dire de nombreuses réunions tenues à Matignon, regroupant une brochette de ministères sous la houlette du Secrétariat Général du Gouvernement, pas nécessairement outillé pour trancher et encore moins pour faire respecter ses arbitrages. La multiplication des procédures et des ministères conduit au gonflement des cabinets ministériels, qui ont en charge l'interministériel pour le compte de leurs ministres.

Rejet de la politique

Plus grave que ces dysfonctionnements, l'indifférence ou le rejet de la politique qui en résulte. Certes beaucoup de citoyens ignoreront l'existence de ces nouvelles structures. Cela vaut mieux car ceux qui s'adresseront à ces entités nouvelles pour résoudre leurs problèmes quotidiens devront constater leur impuissance.

La conséquence ultime est le gonflement du gouvernement, 38 excellences au lieu de 33. Certes, l'on a vu pire : un gouvernement d'Edgar Faure sous la Quatrième République : 40 ministres pour 40 jours.

Comment manager une équipe de direction aussi lourde, à moins de la caporaliser ?
Regardons autour de nous, une telle inflation est une exception. Visitant il y a longtemps le Palais Royal à la Haye, le guide indiqua qu'il n'y avait jamais plus de vingt ministres dans le gouvernement. A la question « pourquoi » il répondit qu'il n'y avait pas de place pour mettre un vingt et unième fauteuil. On peut discuter de la rationalité de cette règle mais la règle a le mérite d'exister.

Pour une clarté des structures

Aucune règle n'existe en France. Tout est permis. Or aucun président ou premier ministre ne peut ou ne sait résister aux pressions de toute sorte, surtout en fin de mandat, qui l'obligent à créer des ministères ou à les transformer.
Seule une loi organique peut fixer des limites durables et rationnelles. Il ne semble pas qu'un tel changement soit inscrit dans les grandes réformes annoncées. Or une telle réforme ne s'improvise pas. Elle implique une réflexion préalable et approfondie sur les missions de l'Etat et leur mise en œuvre. La Recherche doit-elle indépendante de l'Enseignement supérieur ? Où faut-il mettre l'Energie, du côté de l'environnement ou de l'économie ? Où situer l'Aménagement du territoire ? Ces questions ne sont nullement limitatives.

Aucune réponse n'est évidente et aucun organigramme n'est parfait. Mais la clarté des structures et la continuité sont des gages d'efficacité. Une stabilité, le temps d'un quinquennat, est plus satisfaisante que l'improvisation actuelle. Détail, les intitulés des ministères, nécessairement plats, n'auraient pas à changer, comme leur papier à lettres, ce qui ne peut que simplifier la vie des administrés.
Il reste quelques mois pour que les nombreux think- tanks qui préparent notre avenir après 2017 fassent des propositions.

Pierre-Yves Cossé
Février 2016

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Commentaires 11
à écrit le 17/02/2016 à 21:16
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C'est un non événement. Peu importe qu'ils soient cinquante ou vingt, qu'ils aient les moyens de mener une action ou pas, qu'ils soient des béquilles pour tenter de souder tous les partis de gauche autour du chef de l'état, ou même le nom du ministre...

à écrit le 15/02/2016 à 20:13
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Quand on n'a plus la main, que "le programme" se construit en dehors de nos frontières, que l'on n'a pas de pouvoir sur le fond on s'arrange sur la forme!

à écrit le 15/02/2016 à 15:12
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" une réflexion préalable et approfondie sur ..." Quel que soit l'ojjet, on ne sait plus faire !

le 15/02/2016 à 21:57
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Vous avez hélas mille fois raison.

à écrit le 15/02/2016 à 14:39
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Il est vrai que donner des étiquettes modernistes à des antiquités antiques est en soi un très grand changement lexical.

à écrit le 15/02/2016 à 14:19
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Des combines politiciennes , un président en perdition et un pays de plus en plus mal gouverné. Le cas de Madame Pellerin est significatif de la légèreté voir de la mauvaise éducation de Hollande. Une femme qui s’investit et qui a droit à un coup de ...

à écrit le 15/02/2016 à 14:12
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Dans les grandes structures en général (pas uniquement le gouvernement), l'organisation au sommet peut changer souvent selon l'humeur du chef. Mais il ne vous a pas échappé non plus que le reste de la pyramide, lui, change peu et agit assez indépenda...

le 19/02/2016 à 6:31
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Qu'appelez- vous "grandes catastrophes" ? RSA, 35hrs, capitalisme financier tueur d'emploi ... Qu'ont-ils fait, certains de ces hauts fonctionnaires d'état ? Ont-ils œuvré pour le bien des plus nombreux ou pour préserver les avantages et positions d...

à écrit le 15/02/2016 à 14:09
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Cet article oublie le côté cirque de ce "gouvernement"! Un cirque avec des clowns en pagaille, quelques fauves à usage interne, un équilibriste au centre et aucun monsieur Loyal.

à écrit le 15/02/2016 à 13:55
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"Trois femmes qui rejoindront les poubelles de l'histoire" Ce soir , je serai la poubelle pour aller danser

à écrit le 15/02/2016 à 13:16
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En particulier, la réunion dans un même ministère du travail, du capital (l'économie) et de l'énergie était une nécessité, même sans la présence de son instigateur. Il s'agit d'une faute très grave.

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