Croissance : les enjeux de la prochaine décennie

A quoi ressembleront l'économie et la société française à moyen terme? France Stratégie fait œuvre utile en tentant d'éclairer les enjeux de la prochaine décennie, même si la prudence de l'ex-Plan nuit à la transparence. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

France Stratégie - l'ex-Commissariat Général du Plan - a pris la bonne habitude de situer ses travaux prévisionnels dans une perspective décennale. Rupture salutaire avec l'horizon quinquennal, celui de la planification impérative de type soviétique, trop court pour faire apparaitre les changements structurels en cours et trop long pour une programmation des finances publiques. Prudence explicable d'un organisme public qui veut dissocier l'échéance politique du quinquennat et les orientations à moyen terme.

Le document introductif, « la « Croissance mondiale d'une décennie à l'autre, de 2007/2016 à 2017/ 2027 » vient de lancer un débat qui doit déboucher avant l'élection présidentielle de l'an prochain.

Le faible intérêt des responsables politiques pour le moyen terme

Les sceptiques seront nombreux. L'intérêt des politiques, de tout bord, pour la macroéconomie et le moyen terme est faible-le qualificatif est poli- quelle que soit la couleur politique. Les exercices précédents n'ont-ils pas été sans suite ? Qui se souvient du séminaire gouvernemental d'août 2013 sur la France dans dix ans et les choix collectifs annoncés par le Premier ministre? La suite devait être une stratégie à dix ans, effectivement proposée par Jean Pisani, « France 2025 » document ambitieux débordant la politique économique, gardé plusieurs mois sous le manteau, jamais mis en œuvre. Entretemps, le Premier ministre avait changé.

Quel rôle pour France Stratégie?

Certes, le moyen et long terme n'ont pas été complètement absents des politiques gouvernementales mais le rôle tenu par « France- Stratégie » a été marginal. La loi sur l'environnement propose une vision longue, dans le domaine de l'énergie notamment, même si sa mise en œuvre se révèle laborieuse (la place de l'énergie nucléaire). Il est paradoxal que l'organisme chargé de proposer aux pouvoirs publics une vision d'ensemble de notre développement ne soit pas un acteur engagé directement dans la définition de la politique de l'environnement. Son apport eut été nécessaire pour introduire une cohérence économique et financière nullement assurée aujourd'hui.

Quelques programmes pluriannuels et sectoriels existent. Le plus significatif et fécond est celui des investissements d'avenir, remontant au précédent quinquennat et heureusement prolongé, dont l'évaluation a été confiée à France-Stratégie.

Suite aux pôles de compétitivité, Arnaud Montebourg a proposé 34 plans de reconquête industrielle, devenus les « dix solutions de la Nouvelle France Industrielle » d'Emmanuel Macron, aux moyens financiers limités, cogérés avec les professions, toujours en dehors du champ d'intervention de France-Stratégie. Enfin subsistent les contrats Etat- Régions, redevenus contrats de plan avec la nouvelle génération 2014/ 2020 où France -Stratégie n'est pas plus présent.

 La fragilité de la science économique

Une autre source de scepticisme est la fragilité de la science économique. Ceux qui n'avaient pas prévu l'effondrement des prix du pétrole ont-ils quelque chose d'utile à dire sur son prix en 2025 ? Ceux qui se disputent sur la croissance chinoise -3% ou 6%-ont-ils une vision sur son avenir ? Ceux qui ne disposent pas d'une théorie opérationnelle de la monnaie peuvent-ils se prononcer sur le taux d'endettement supportable et l'évolution de l'inflation ?

En dépit de ces lacunes considérables, s'interroger sur l'avenir est possible et salubre. Certains phénomènes, de toute nature, dotés d'inertie, seront déterminants et mesurables: la démographie sous ses différents aspects (vieillissement, prestations, territoires...), les mutations techniques (la numérisation) la repondération du monde, l'urbanisation, la pauvreté et les inégalités, le réchauffement climatique...

Plus que des certitudes chiffrées et certaines, la démarche et les débats qui l'accompagnent a des effets qualitatifs positifs : meilleure prise de conscience de la situation présente, évaluation des forces et faiblesses, des risques et des virtualités, délimitation du possible et l'impossible. D'ailleurs, la plupart des firmes multinationales élaborent des plans stratégiques que les dirigeants adaptent en fonction des aléas.

 Jouer la société civile

L'habileté de Jean Pisani-Ferry est de changer d'interlocuteur, non pas un gouvernement en fin de course mais la société civile, ou tout au moins la partie de cette société qui s'implique dans la politique. Et la concertation change de nature. Autrefois, le Commissariat Général du Plan réunissait les grandes organisations syndicales et professionnelles, en vue d'un d'accord sur un constat et de la recherche de convergences. Ces organisations sont devenues trop nombreuses et trop faibles et les commissions tripartites ont disparu. Il leur reste le Conseil économique, social et environnemental pour confronter les points de vue. Une fois la concertation achevée, la cible du Commissariat était le gouvernement.

La concertation s'ouvre à la société civile au moyen du web. Les intermédiaires dans les coulisses de la rue de Martignac ne sont plus des syndicalistes ou des personnalités dites qualifiées mais des webmasters experts qui mettent au point le produit sur lequel le maximum d'internautes pourra réagir. Les internautes sont appelés à réagir sur douze thèmes. Ainsi , ils contribueraient à l'élaboration des futurs programmes présidentiels et feraient pression sur les candidats pour que leurs orientations se situent dans la marge du possible. « Ils formuleront des propositions...avec d'autant plus de clarté, de précision et de franchise qu'auront été réunis...des faits incontestables, des évaluations objectives, des éléments de diagnostic prospectif », dixit France-Stratégie.

Il est vrai que si nos programmes présidentiels sortaient du domaine du rêve et de l'impossible où ils se confinent traditionnellement, notre démocratie se porterait sensiblement mieux. Vœu naïf ou optimisme raisonné ?

 Quelle croissance mondiale?

Les perspectives décennales sont, à ce stade, esquissées et elliptiques. Le point central est le «maintien de la croissance mondiale aux alentours de 3,5% comme dans la décennie 2007-20163 ». Un rebond significatif est exclu. Aucun chiffre précis n'est donné pour l'Europe, alors que pour parvenir à un taux mondial, il a bien fallu faire un calcul pour l'Europe. Une hypothèse analogue de continuité conduit à une croissance de l'ordre de 1,5%. Et pour la France ?

Le taux de croissance mondiale résulte de « travaux empiriques » sans recours à un modèle formalisé. Les arguments avancés sont ceux que l'on trouve dans la littérature économique à propos des économies avancées : vieillissement accéléré, déclin de la productivité, poids de l'endettement, niveau élevé des inégalités.

Aucun chiffre non plus n'est donné pour l'emploi et le chômage. On n'est pas loin de l'autocensure, puisque, toutes choses égales par ailleurs, cette croissance faible implique un chômage élevé. La démarche se veut « transparente ». Il ne faudrait pas qu'elle soit étouffée par un excès de prudence. Même prudence sur la transition écologique et l'avenir de l'Union Européenne (dont la zone euro) considérés certes comme des « points clefs » à qui cinq lignes sont consacrées....

L'approche implicite de croissance est traditionnelle : aucune interrogation sur les limites de la croissance dans un monde menacé d'auto destruction et numérisé. Le taux de croissance a-t-il le même sens, alors que des services aux particuliers apparemment gratuits se multiplient, influant fortement sur la qualité de vie  et que le pouvoir d'achat monétaire perd pour une part de sa signification? En période de croissance faible et d'augmentation de la population active, le problème de la durée du travail ne doit-il pas être reposé ?

Ne pas croire à un retour aux taux de croissance de l'avant-crise

Le message de Jean Pisani aux politiques est délibérément simple : ne croyez pas à un retour à la croissance comparable à l'avant-crise, ne misez pas sur des ressources publiques abondantes, redéfinissez en conséquences les priorités et les politiques publiques, innovez. Le reste est billevesées.

Il est probable et souhaitable que les contributions attendues élargiront et compliqueront le débat. Du fait des aléas et des désaccords profonds entre spécialistes, l'incertitude relative à la croissance mondiale ne sera pas réduite. En revanche, le débat sur la transition écologique et l'avenir de la construction européenne devrait faire progresser la réflexion. Il en sera de même pour la révolution numérique qui conduit à une nouvelle hiérarchisation des priorités et à une réorientation des politiques éducatives et sociales.

 Le travail de synthèse qui incombera à France- Stratégie est complexe. Il lui faudra rendre compte de la diversité des points de vue, expliciter les options sans démobiliser l'opinion et faire œuvre de vulgarisation sans caricaturer.

Si Jean Pisani y parvient, il aura fait œuvre utile. Peut-être même que les politiques le liront et s'abstiendront de proposer un « impossible » qui à terme provoque une déception amère des électeurs.

Pierre-Yves Cossé

Avril 2016

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Commentaires 3
à écrit le 03/05/2016 à 8:06
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Ce qui compte, ce n'est pas le prix de l'énergie, mais sa comparaison avec le cout du travail; un prix faible de l'énergie favorise le chomage; il faut financer le chomage par une contribution de l'énergie (une taxe sur l'énergie pour réduire le cout...

à écrit le 02/05/2016 à 13:18
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Le problème de la croissance c'est quand elle est faible, tout agit dessus. Par exemple 1er trimestre 2106, 1 jour en + par rapport à 2015 (années bissextile). C'est à dire 1,3% de jours en + !!! (donc le 0.5% est une mauvaise performance)

à écrit le 02/05/2016 à 11:59
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Le problème c'est que "les programmations" qui se veulent pragmatiques sont confrontés a un dogme qui veut faire entrer des cubes dans des trous circulaires de plus faible dimension, et , détruit tout sur son passage sans ménager l'avenir, sure de n'...

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