Le Brexit vu d'Ecosse, une autre approche de l'Europe

Opposés à Londres, les Ecossais ne veulent pas, a priori d'un Brexit qui leur enlèverait la protection de l'Europe. Celle-ci défend un certain "welfare state", que les Anglais pourraient vouloir réduire encore, et protège les minorités. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Les Ecossais, dans une proportion des deux tiers, sont opposés au Brexit, si l'on se fie aux sondages, souvent infirmés dans le passé. Indépendantistes écossais, conservateurs, travaillistes et libéraux-démocrates font campagne pour le oui à l'Europe. La presse abonde en chiffres généralement catastrophiques sur les conséquences économiques du Brexit, dizaines de milliers de chômeurs en plus, baisse de la valeur du patrimoine immobilier, recul de la croissance. Sur cet aspect, les « leavers » sont sur la défensive tout en contestant le sérieux des évaluations des « remainers »

Cela ne veut pas dire que les Ecossais soient de fervents européens. Ils sont partisans du statu quo, bref d'une Union Européenne fonctionnant ...à l'anglaise. Pour les indépendantistes, l'ennemi ce n'est pas Bruxelles mais Westminster et les Tories.

Le Scottish National Party sait que la minorité écossaise (5 millions d'habitants) n'est pas suffisante pour bloquer une poussée des « leavers » au sein de l'électorat travailliste. Un de ses leaders, le premier ministre de l'Ecosse, mène une campagne vigoureuse. A la télévision, il interpelle l'ancien maire de Londres, Boris Johnson, dont la seule préoccupation serait d'occuper le « 10, Downing Street » bref de remplacer Cameron. Afin d'accroître sa pression sur l'électorat anglais, il annonce qu'en cas de Brexit, il réclamera un second référendum sur l'indépendance.

 Faut-il prendre au sérieux cette annonce ? On peut en douter tellement la situation parait incertaine et la question complexe.

 Détérioration de l'économie

L'environnement économique s'est détérioré depuis le premier référendum. L'effondrement du prix du pétrole, première richesse de l'Ecosse, rend obsolète le scénario économique des indépendantistes défini au moment du premier référendum, au point de rendre plausible le succès du non, et un troisième référendum est exclu pour longtemps.

 L'environnement politique a aussi changé. Lors des élections, en Mai, le SNP a perdu la majorité. Il devra constituer un gouvernement minoritaire. L'opposition a également changé, elle n'est plus travailliste mais conservatrice et elle sera plus offensive. Cet effacement du travaillisme, lié à la désindustrialisation, semble durable.

A une politique marquée par une idéologie nationaliste, voire sectaire, en particulier dans le domaine de l'éducation et des langues, les conservateurs opposeront une politique libérale et ouverte. Le Premier Ministre a également changé après l'échec du oui au référendum. Nicola Sturgeon, qui a pris la suite d'Alex Salmond (également nationaliste), est entourée d'une équipe, composé à 50% de femmes et veut prouver l'efficacité d'une gouvernance écossaise. Elle pourrait rechercher une évolution moins conflictuelle, comme un droit de regard sur la politique européenne de Londres concernant plus directement l'Écosse, comme l'agriculture ou la pêche.

Une indépendance problématique

Quant à la politique européenne d'une Écosse indépendante, elle est à inventer et se présente comme un impossible dilemme. Il serait logique qu'une Écosse indépendante suite au rejet du Brexit reste dans l'Union Européenne. Une négociation complexe avec Bruxelles serait nécessaire. Qui a réfléchi à un tel scénario au sein de l'Union Européenne? Les effets d'une double rupture sur les relations économiques entre l'Écosse et l'Angleterre seraient considérables. Des frontières douanières et règlementaires devraient être mises en place. Il faudrait choisir une monnaie. Lors du référendum, les nationalistes voulaient conserver la Livre Sterling, en dépit de l'opposition de Londres. Beaucoup des indépendantistes ne sont pas prêts pour une aventure économique.

Si la préférence va à la sécurité et à l'intégration économique entre les deux composantes principales du Royaume Uni, l'Écosse indépendante devrait accompagner l'Angleterre dans sa rupture avec l'Union Européenne, sans être directement associée à la négociation de sortie, puisqu'avant un second référendum victorieux elle n'a aucun titre pour y prendre part. Le calendrier n'est pas favorable et l'option difficilement vendable sur le plan politique. Une Ecosse indépendante dont l'intégration économique avec son puissant voisin serait renforcée, n'est pas de nature à mobiliser ceux qui veulent une Ecosse plus écossaise.

 Les conséquences politiques en chaîne d'un Brexit

Pour l'instant, de tels sujets sont tus. Au lendemain d'un Brexit, le « wait and see » est probable. Il y aura un temps pour observer les conséquences de ce choc considérable à Londres et Bruxelles mais aussi à Belfast et à Dublin. L'Ecosse regardera avec attention ce qui se passe chez son voisin également celte. Les effets économiques sur l'Ulster et sur l'Eire peuvent être rapprochés de ce qui pourrait se passer entre l'Ecosse et l'Irlande : réapparitions des frontières et mise en place de contrôles. Le mécontentement des Irlandais serait tel que la revendication d'une Irlande réunifiée pourrait redevenir actuelle, mettant en cause les accords passés entre Londres et Dublin. C'est ce que craignent de nombreux dirigeants britanniques, dont l'ancien Premier Ministre Tony Blair.

Les incertitudes portent également sur l'Angleterre et le Pays de Galles. La loi sur la Dévolution de Tony Blair ne serait-elle pas remise en cause, l'Angleterre réclamant des institutions spécifiques et le Pays de Galles, qui n'a pas exactement le même statut que l'Ecosse, demandant des pouvoirs accrus ? Certes, l'on n'en est pas à un Royaume Uni fédéral se dotant d'une constitution. Mais des questions, qui soigneusement avaient été mises sous le boisseau, pourraient resurgir.

Une telle décantation prendrait du temps et serait tumultueuse. Elle pourrait être l'occasion de nouveaux clivages politiques, les partisans du repli sur soi et d'une identité nationale étroite s'opposant aux tenants de l'ouverture et d'une société multiculturelle et pluraliste ?

 L'échec du Brexit, plus rassurant

L'échec du Brexit est une hypothèse plus rassurante. Certes, les problèmes ne seraient pas clos pour autant. Des interrogations demeureront sur les institutions britanniques mais leur adaptation pourrait être progressive.

L'Ecosse continuerait à pleurer sur le royaume perdu et à pratiquer le culte de la nation écossaise dans les hauts lieux de son histoire, notamment au château- forteresse de Stirling et sur le champ de bataille de Bannockburn où les Anglais furent battus à plat de couture. La statue, de Robert Bruce, le roi d'Écosse dont le règne a été particulièrement long (1306/29) , a été dévoilée en 1964 ...par Elisabeth II, reine d'Angleterre, digne successeur de la première Elisabeth qui avait fait exécuter une reine d'Écosse. La majorité des Écossais, indépendantistes ou non, restent attachés à la famille royale, très présente en Ecosse, qui réside chaque année dans son palais de Holyrood à Édimbourg, celui que préférait Marie Stuart. Un bon nombre d'Ecossais serait indépendantiste et royaliste. Une indépendantiste s'inquiétait dans son journal sur le cadeau de son Premier Ministre à la Reine pour ses quatre-vingt dixième anniversaires. N'avait-elle pas oublié ?

 Un échec des "leavers"?

Ce n'est pas la seule contradiction. L'identité écossaise, si manifeste par sa religion, sa culture, ses fêtes, ses tenues vestimentaires (kilts et tartans), est une réalité changeante et diverse. Beaucoup d'Écossais ne vivent pas en Écosse et beaucoup de ceux qui vivent en Écosse ne sont pas visiblement les descendants de Robert Bruce. Il suffit de se promener dans les rues d'Édimbourg ou de Glasgow pour s'en rendre compte. De cette Écosse diverse et changeante, doit-on retenir seulement quelques siècles ? Qui aujourd'hui se reconnaît dans John Knox, le Réformateur plus intransigeant que Calvin, qui a fait détruire tous les vitraux des églises écossaises et dont la statue trône au centre de Saint Giles, la plus grande église presbytérienne d'Édimbourg ?

 Cette analyse résulte d'échanges oraux, avec des Français vivant en Écosse bien informés et aimant ce pays. Ils sont nombreux dans les multiples universités écossaises. Elle n'a pas été confrontée avec des points de vue écossais, les responsables refusant de débattre avec des étrangers dans cette période pré-référendaire. Prudence explicable ou consigne officielle ? Je ne sais. Le résultat est une information tronquée.

A Édimbourg, les Français souhaitent l'échec du Brexit. Ils m'ont demandé un avis. Ma réponse a été que me fiant à un bon connaisseur de ce grand peuple, Napoléon,  pour qui les Anglais étaient un peuple de boutiquiers allant toujours dans le sens de leurs intérêts, je prédisais l'échec des « leavers ».

 Pierre-Yves Cossé

Juin 2016

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