Michel Rocard, à l'Elysée

La remise des insignes de Grand Croix de la légion d'honneur à Michel Rocard a été l'occasion pour François Hollande de se présenter en continuateur légitime d'une gauche en mouvement. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

 La rue du Faubourg Saint-honoré était barrée, les grilles de l'Elysée ouvertes. En ce vendredi soir, le chef d'un grand état était-il attendu ? Non, c'était Michel Rocard qui recevait les insignes de Grand Croix de la Légion d'Honneur, et François Hollande faisait bien les choses.

Je tentai d'entrer à vélo dans la cour de l'Elysée, plaidant que la présidence devait donner un exemple d'ouverture aux transports non-polluants. Rien n'y fit, les policiers courtois m'indiquèrent une petite rue transversale où je pourrai remiser mon véhicule. Connaissant la prolixité des intervenants, j'avais placé dans mon petit sac à dos une cane-siège pliante anglaise. Les huissiers me disant que tout avait été prévu pour des personnes d'un âge certain, je laissai le sac au vestiaire.

Rocardiens de la 25ème heure...

En-effet, plusieurs centaines de sièges dorés étaient alignées dans le grand salon « troisième république » où se tiennent les cérémonies des vœux. Près de la tribune, plusieurs membres de l'actuel gouvernement, Marisol Touraine, Emmanuel Macron, Bernard Cazeneuve et le Premier Ministre, le Secrétaire Général de la Présidence, des anciens ministres du gouvernement Rocard (Henri Nallet, Alain Richard, Bernard Kouchner...) et d'illustres grands témoins (Jean Daniel). Assis au premier rang, les quinze petits- enfants et leurs parents. Dispersés dans la salle, quelques centaines de rocardiens de tous les horizons (de l'inspection générale des finances aux milieux du spectacle) et de toutes les époques, y compris ceux de la vingt cinquième heure : un ancien Premier Ministre, Lionel Jospin qui au vingt et unième siècle entretient des relations excellentes avec Michel Rocard et Jean-Louis Borloo souriant qui semble avoir retrouvé toute sa santé.

Quand Hollande récupère le rocardisme

François Hollande se fait attendre à peine un quart d'heure. C'est rien pour un Président de la République et en tout cas beaucoup moins que François Mitterrand dans des occasions comparables. Son discours, préparé par plusieurs collaborateurs qui ont consulté des rocardiens historiques, est excellent, sur le fond et dans la forme. Les formules font mouche « un rêveur réaliste » « l'envie d'être en avance » le goût pour le neuf » « le citoyen du monde ». Les principales réformes du gouvernement Rocard sont rappelées. Après avoir précisé qu'il n'a pas été un « rocardien » préférant sans hésitation François Mitterrand, il récupère habilement le « rocardisme » au profit du « réformisme hollandais » sauce 2015 : « Nul besoin de rupture pour réformer. C'est l'apaisement qui produit la réforme et la réforme qui produit l'apaisement » La méthode rocardienne, dialogue et compromis, est honorée.

 Représenter tous les courants de gauche

Le président de la République, ce soir là, fait de la politique comme à toute heure du jour. Il ne s'agit pas tant de mobiliser autour de son étendard les « rocardiens » dont la grande majorité est hors service, que de montrer sa capacité à représenter tous les courants de la gauche, à être le continuateur légitime d'une gauche en mouvement. A sa façon, il plaide pour l'unité d'une candidature de gauche en 2017, rappelant que Michel Rocard avait retiré la sienne en 1981. L'actuel occupant de l'Elysée, qui donne l'impression d'être fort heureux dans l'exercice de ses fonctions, n'est pas économe de son temps, après un discours préparé et soupesé, il restera, échangera et à serrera les mains. Il sera même présent un peu plus tard à la réception donnée chez une amie de Michel et Sylvie Rocard. Il aura consacré près de trois heures à une remise de Grand Croix de Légion d'honneur.

Le droit à la paresse

Le rituel républicain a été assoupli et le promu a le droit de parler après le Président de la République. Heureuse initiative de François Hollande. Avec les ans, l'ancien Premier Ministre donne une impression de fragilité mais la voix est parfaitement reconnaissable et le propos ferme. Rappelant quelques souvenirs familiaux et la forte personnalité de sa mère, il confesse qu'il a quelque peu abusé du deuxième sexe et s'en excuse. Plutôt que de retracer son histoire, il évoque son socialisme de liberté ouvert sur le monde. Il insiste sur les aspects qualitatifs, rappelant (une fois de plus) le « Droit à la paresse » un ouvrage écrit par le gendre de Marx, Paul Lafargue, l'importance de l'épanouissement personnel, des activités culturelles et sportives, des relations humaines. L'évocation des « forces de l'Esprit » lui permet de prononcer le nom de François Mitterrand. L'éducation protestante ressort. François Hollande l'écoute sagement.

Macron reçoit de conseils de prudence

A la fin du discours, l'assistance se lève et ovationne longtemps Michel Rocard. Beaucoup ont l'impression d'avoir vécu un moment historique. Tous sont heureux d'être là et n'ont aucune envie de partir. C'est « le temps retrouvé » murmure Jacques Julliard. Beaucoup de souvenirs sont échangés. D'autres, toujours en activité, traitent de leurs affaires avec des ministres, qu'ils ont cherché en vain depuis plusieurs jours à joindre par téléphone ; c'est un des intérêts des remises de décorations à des personnalités, elles sont l'occasion de régler quelques urgences.

Emmanuel Macron, très entouré, écoute avec gentillesse quelques conseils de ses aînés : sois audacieux mais précis dans tes propositions, évoquer le statut de la fonction publique ou de la durée du travail, sans autres détails, en quoi cela fait-il avancer les choses ?

Jospin droit dans ses bottes

Lionel Jospin, droit dans ses bottes et rigoureux dans son propos, explicite son travail au Conseil Constitutionnel, où il se rend tous les jours. Jacques Julliard évalue les chances du président sortant en 2017, elles sont faibles.

Un haut fonctionnaire, encore en activité, me rappelle des propos tenus en 1978 : Mitterrand n'a pas d'avenir, c'est un homme du passé. Ma mémoire est défaillante mais le propos est vraisemblable ; je devais chercher à convaincre un jeune inspecteur des finances talentueux de se joindre aux « rocardiens » avec la conviction que l'ancien ministre de la quatrième République, qui avait contribué activement à la répression en Algérie, l'homme de l'attentat de l'Observatoire ne pourrait assurer le renouveau de la gauche. Et le fonctionnaire d'ajouter : si j'avais suivi tes conseils, j'aurais fait une carrière différente (peut-être comme la mienne, c'est-à-dire... beaucoup moins brillante)

Peu à peu, les invités, nostalgiques, quittent le palais, conscients qu'il n'y aura pas de cérémonie bis, la Grand Croix étant l'ordre le plus élevé dans la Légion d'Honneur. Je sottis également et retrouvai mon vélo, qui avait été bien gardé.

Pierre- Yves Cossé

Octobre 2015

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Commentaire 1
à écrit le 13/10/2015 à 15:10
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Pendant que le pays ploie sous la crise, le gouvernement fête les ruines du passé et se goberge aux frais de la Nation...

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