Sur l'état des prisons en France et leur population

Les prisons françaises sont largement islamisées, comme le montre le livre "Prisons de France" qui vient de paraître. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Saluons l'éditeur Robert Laffont qui  publie un ouvrage de sept cents pages, Prisons de France, au tirage et au succès nécessairement limité.

Rendons hommage à l'auteur, le franco-iranien, Farhad Khosrokhavar. Ce fut un pionnier, allant dans les prisons dès  2000. Entre 2011 et 2013 il a interviewé un ensemble de détenus, de gardiens et autres membres du personnel pénitentiaire dans quatre prisons majeures : Fleury-Mérogis, Fresnes, Lille-Sequedin et Saint-Maur, considérées comme représentatives des 188 établissements et des 70 000 personnes incarcérées. Travail d'autant plus contraignant que le magnétophone est interdit et que la prise de notes est obligatoire.

Toutes ces prisons ne sont pas égales ; d'un côté les maisons d'arrêt qui regroupent la majorité des détenus condamnés à des peines courtes et des prévenus en attente de jugement ; de l'autre des maisons centrales qui hébergent des prisonniers de longue durée. Ces dernières sont mieux loties que les premières qui sont des « lieux de pénurie en tout genre -place, encadrement. Paradoxalement, les détenus « les plus difficiles » sont mieux lotis  que ceux condamnés à des peines courtes et ayant des chances plus grandes de réinsertion.

Une méthode fondée sur la parole

Le sociologue a pris la peine d'expliquer sa méthode, fondée sur des entretiens approfondis avec les acteurs. L'entretien dure une heure ou quelque fois deux et parfois répété. Une vingtaine de pages du livre peut être consacrée au même interlocuteur. Les interviews sont au départ semi- directifs, à partir de thèmes généraux, puis plus directifs, l'enquêteur prenant position pour mieux comprendre l'interlocuteur. Ces points de vue sont croisés avec des thèmes : amour, envie, angoisse, colère, perception de l'autre. Cette approche subjective est exclusivement qualitative. Pour le chercheur, cette sociologie ouverte  appelle au débat, laissant une place au lecteur qui pourra avoir sa propre interprétation.

La nature et le contenu du dialogue est variable selon la capacité  du détenu à analyser sa situation. Seule une minorité appelée « les intellectuels improvisés «  est capable de dépasser sa condition et de « donner une image globale de la prison »

Fahrad Khoroskavar est conscient des risques de son approche. Risque de l'affabulation- anecdotes imaginaires-  et de l'adoption par le sociologue de points de vue tronqués- par exemple sur les relations détenus-surveillants. Et pour le lecteur, risque de se perdre dans la diversité des points de vue, rendant problématique une compréhension unifiée.

Constatons que c'est un peu le cas et que le lecteur devra vaincre une lassitude pour « tout « lire.

 Les prisonniers musulmans, qui représentent entre 40 et 60% des détenus, occupent une place importante dans l'ouvrage. C'est à eux que nous nous intéresserons.

La prison islamisée

Les Français détenus,  de classe moyenne d'origine non immigrée, souffrent d'un complexe de minorité. « La prison est islamisée et une hiérarchie parallèle islamique bénéficie de la complicité d'une administration cherchant avant tout la paix en prison » Les appels à la prière, pratiquement tous les jours, sont mal supportés. « On se croirait partout sauf en France » « On ne sert pas de porc, on se croirait dans une prison marocaine ou algérienne »

Simultanément, quelques membres de cette minorité, à la recherche d'une nouvelle identité, se convertissent à l'Islam. Le recrutement se fait dans la cour de promenade et des victuailles sont proposées. Des convertis se disent heureux d'appartenir à « une grande communauté chaleureuse de gens,  fraternels les uns avec les autres » « Etre français devient une identité peu crédible face à l'identité islamique, parce que plus petite, plus égoïste » « Plus de Gaulois que de Maghrébins au culte musulman, des convertis »

Il est vrai que des musulmans généralement des salafistes, font du prosélytisme, en s'inscrivant par exemple au culte catholique pour y faire éclore des dissensions et des polémiques.

Un Islam diversifié

La prison confirme la diversité des conceptions et des pratiques au sein de l'Islam de France. Il existe un « islam dans l'immoralité » qui considère qu'il n'y a pas incompatibilité entre l'Islam et la délinquance. Il est comparable au catholicisme de la mafia. A côté, « l'islam éthique » comporte un impératif moral induisant la fin de la délinquance. Enfin, « l'islam djihadiste ou militant » fondé sur une division du monde entre l'Islam et la mécréance est fréquemment d'inspiration salafiste. Dans le premier monde, il faut respecter l'éthique. Dans le monde de l'impiété, tous les actes déviants sont permis, ne serait-ce que pour accélérer sa déchéance.

Il en résulte une diversité des pratiques, les salafistes exerçant une pression pour le respect des prières quotidiennes et le jeûne du Ramadan.

La minorité salifiste est visible et repérable par son rigorisme et son comportement d'exclusion à l'égard des non- musulmans mais aussi des musulmans « attiédis » La conformité aux normes islamiques jusque dans les moindres détails de la vie quotidienne peut être analysée comme « une aspiration à la servitude sacrée » Le salafisme est en progrès constant en prison comme dans les cités. Ce fondamentalisme désocialise mais il n'est pas tourné  systématiquement vers le djihadisme. Les « convertis » les Gaulois le plus généralement sont particulièrement bien considérés par leurs coreligionnaires. Après quelques années en prison, ils deviennent progressivement des guides pour les questions religieuses.

Peu nombreux, la plupart des juifs préfèrent dissimuler leur identité religieuse pour échapper aux brimades. Le malaise est présent surtout dans les maisons d'arrêt proches des grandes villes.

Les chiites, considérés comme des hérétiques, recourent aussi à la dissimulation.

Une laïcité à géométrie variable

 L'application des règles laïques diffère selon les prisons, chaque établissement ayant son règlement interne et ses zones de tolérance. Clairvaux est plus « libéral » que Fresnes ou Saint-Maur. Lorsque l'impératif de sécurité prend le dessus, de nombreux  ouvrages sont censurés, ils sont indéchiffrables par les surveillants non arabophones et les arabophones n'ont pas la qualité pour juger du contenu. Un livre sur l'Islam, il ne faut pas le descendre en promenade, c'est du prosélytisme. L'imam officiel a des difficultés pour faire entrer des livres. L'appel à la prière peut être sanctionné par le mitard pour celui qui le lance. Certains surveillants perturbent la prière en parlant au prisonnier. La possession du Coran ou d'un tapis de prière peut être interdite.Ceux qui sont apparemment très religieux- barbe, prosélytes-sont surveillés plus étroitement. L'Islam est considéré comme un contre-pouvoir par l'AP.

Une proportion importante de détenus observe le Ramadan. L'administration pénitentiaire s'adapte en délivrant des plats plus copieux pour le repas de rupture du jeûne. L'atmosphère et les comportements sont modifiés : calme relatif le matin, ralentissement des activités sportives, surveillants plus cool à l'égard de détenus qui se contrôlent moins. Certains trichent quelque peu, ne le respectant que les premiers jours ou buvant du café en cachette.

Les radicalisés en prison

La recherche ne permet pas d'affirmer la responsabilité exclusive de la prison dans la radicalisation. On peut se radicaliser sans passer par la  prison, comme le montrent les milliers de jeunes européens sans casier judiciaire partis faire le djihad en Syrie. Et les radicalisés passés par la prison ne sont qu'une petite minorité. Ils y ont été poussés par des détenus charismatiques déjà radicalisés,  par une volonté de rupture ou par des facteurs extérieurs, comme Internet (accès possible avec une clé USB)

La génération des pères est beaucoup moins impliquée par l'islamisme. Ils ne souffrent pas des problèmes identitaires de leurs fils, qui ne se sentent ni français ni arabes et ont des comportements très variables, y compris le refus de la pratique de l'Islam.

La prison ne doit être considérée que comme une étape dans la démarche de radicalisation. Le voyage dans un pays du Moyen-Orient, où prévaut la guerre, tient une place importante dans le parcours initiatique des futurs djihadistes.

Ce qui se développe en prison, c'est la haine de l'autre dans des rapports quotidiens faits de tension et de rejet. La prison cimente la haine et elle n'assagit qu'une minorité de détenus.

F Khoroskavar  distingué plusieurs catégories. Parmi les radicalisés, la majorité refuse le dialogue, par crainte d'être dénoncés aux autorités carcérales, le chercheur étant identifié comme un complice de l'administration. Certains sont des « radicalisés dissimulateurs » qui tentent d'induire en erreur. Ils nient tout en bloc, incriminent la société et se considèrent comme des « boucs émissaires » Ils haïssent l'Etat et le système judiciaire. D'autres sont des « radicalisés mentalement fragiles » envoûtés par des détenus radicalisateurs  qui les embarquent dans un monde imaginaire où le doute est banni. Le détenu fragile tombe dans un état de dépendance.

A côté des radicalisés, certains détenus, difficiles à distinguer sont susceptibles de radicalisation.

Merah est apprécié plus pour son statut de star que pour ses méfaits. Il aura fait sortir de l'insignifiance les jeunes des quartiers défavorisés et est devenu une sorte de surhomme pour de jeunes délinquants.

Les détenus souffrent d'une absence de vie affective et de relations sexuelles. Néanmoins, de nouveaux amours peuvent naitre en prison, notamment  avec des surveillantes, ils se terminent généralement par des transferts dans une autre prison. Les parloirs, surtout dans les maisons centrales, sont utilisées pour des étreintes furtives.

Le sociologue reconnait in fine que la prison est « un lieu du bourgeonnement  de l'islam fondamentaliste » pouvant conduire au djihadisme, étant précisé que la composition des radicalisés a profondément changé depuis la proclamation de « l'état islamique »  en 2014. Le nombre de détenus poursuivis ou condamnés pour association en vue d'une action terroriste a décuplé -plus de 300 au lieu d'une vingtaine en 2013.

 Une des conclusions générales de l'ouvrage est qu'il est impossible d'avoir une vue unifiée raisonnée sur les prisons : elles sont trop diverses et les différences sont considérables d'une prison à l'autre. Même les comparaisons sont problématiques. On ne peut pas dire, à la lumière du vécu, qu'une vieille prison vétuste est pire qu'une prison moderne. On ne peut pas dire non plus que la « réinsertion » est un mythe en prison, même si les insuffisances sont criantes. Dix pour cent des détenus disent avoir été sauvés de leurs démons intérieurs (drogue) par la prison. Quant à la récidive, il est vrai qu'elle est plus importante chez ceux qui ont été incarcérés que chez ceux qui ont bénéficié de peines alternatives.

Pierre-Yves Cossé

Mars 2017

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Commentaire 1
à écrit le 31/03/2017 à 10:21
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Étrange, alors que hier une directrice de prison refusait de prendre plus de prisonniers, geste fort quand même, afin de protester du fait que sa prison était à 200% de ses capacités donc deux fois plus de prisonniers que le nombre prévu vous nous pa...

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