Jean-François Chianetta, le vendeur augmenté

À 32 ans, le président cofondateur d'Augment met la réalité augmentée au service des commerciaux. Il vise un premier million d'euros de chiffre d'affaires cette année.
Jean-François Chianetta.

Il voit les choses en grand, et l'avenir en rose. Jean-François Chianetta entend réaliser 100 millions d'euros de chiffre d'affaires dans deux ans avec Augment, sa solution de réalité augmentée pour les professionnels.

« Depuis deux mois, nous sommes rentables et notre chiffre d'affaires passera la barre du million d'euros cette année. Et puis, à quoi bon se mettre des objectifs si l'on est certain de les atteindre ? », lance le décontracté président cofondateur d'AugmenteDev.

Nonchalamment, ce Belge de 32 ans prédit que « dès l'an prochain, la technologie de la réalité augmentée deviendra le courant principal. Tous les grands acteurs - Apple, Google, Intel et Microsoft - mènent déjà des projets pour créer des appareils qui facilitent son utilisation. Et nous serons prêts. »

Malgré une allure de geek et un abord très simple, il apprend à se transformer en « requin » pour défendre la viabilité de son entreprise - il a multiplié ses prix par dix cette année - et prendre sa place sur le marché. 150 clients professionnels, « essentiellement aux États-Unis, en Espagne et en Corée », des PME comme des grands groupes, utilisent son application à titre événementiel ou pour simplifier la vie de leurs forces de vente.

« Les commerciaux n'ont plus besoin de rouler en break pour transporter des échantillons et des catalogues, produits volumineux qui deviennent obsolètes sitôt imprimés », illustre Jean-François Chianetta.

Dégainant son smartphone et sa tablette, il montre comment Augment permet d'accéder sans connexion à l'intégralité d'un catalogue en scannant une image aussi petite qu'une carte de visite, puis de visualiser un produit sous toutes ses coutures, et de simuler son intégration dans l'environnement réel. Après L'Oréal, qui a déjà équipé 1.700 vendeurs en France, les commerciaux allemands de Coca-Cola pourront dès cet été simuler l'installation d'un réfrigérateur à canettes dans un bar, à tel endroit et orienté avec tel angle, sans avoir à faire autre chose que de déplacer l'objet virtuel au sein de l'image de l'environnement réel transmise par la caméra de la tablette. Pour accélérer auprès de sa clientèle grands comptes, Jean-François Chianetta a conclu un partenariat avec Salesforce, un des grands noms des solutions CRM, et il recrute quatre développeurs d'affaires qui rejoindront bientôt les 14 salariés d'Augment.

Il était loin d'imaginer ce décollage quand il a commencé à esquisser sa technologie, il y a cinq ans, après... une chute. Un dérapage en VTT qu'il pratiquait alors intensément, en montagne, ainsi que l'escalade.

« Pour m'occuper pendant ma convalescence, j'ai commencé à travailler sur une appli de visualisation 3D pour tester des agrandissements de mes photos », confie ce créatif qui, à défaut de savoir dessiner, avait pris l'habitude de tirer le portrait de ses amis.

À l'époque, il était salarié chez l'éditeur de logiciels américain Coventor, et chargé de créer un système de visualisation 3D dynamique pour simuler des microsystèmes. Un poste décroché à l'issue de ses études d'ingénieur en mécanique à la Faculté polytechnique de Mons, qui l'ont mené dans une usine de moteurs de camions, chez Perkins Engines, à Peterborough (Royaume-Uni), et à l'École polytechnique de Montréal (Canada), où il a découvert les microsystèmes électromécaniques (MEMS).

« J'avais été embauché car j'étais le seul candidat d'Île-de-France à avoir la double compétence en mécanique et en informatique », note humblement celui qui a composé ses premières lignes de code à 8 ans, et qui a posé ses valises à Paris par amour.

« À partir d'une feuille blanche, j'ai monté un moteur 3D et une interface graphique. Je donnais aussi des idées en matière de marketing, mais la direction aux États-Unis me répondait que ce n'était pas mon job. Avec le recul, je crois qu'elle avait raison, mais à l'époque, cela me frustrait. »

Très investi dans son travail, Jean-François Chianetta explore l'univers de la réalité virtuelle au salon Augmented World Expo de Santa Clara.

« En 2012, Augment a terminé deuxième au concours de démonstration, devant Sony », souligne-t-il, encore ému.

Il finit par démissionner en juin 2012, le jour de son entrée au sein de l'incubateur Le Camping, en juin 2012.

Il cofonde AugmenteDev avec Michael Jordan, rencontré six mois plus tôt, et Cyril Champier.

En trois ans, le trio a modélisé en 3D « des valves pour Siemens, des méthaniers sur le port du Havre pour Engie (exGDF Suez), des pierres tombales, des molécules pour un professeur de chimie américain, un modèle de mastication pour l'Université de dentisterie de Strasbourg, un squelette de tyrannosaure pour le zoo de Londres, un Iron Man sortant des linéaires de Carrefour pour Disney... Nous avons également travaillé avec la plasticienne Orlan sur une série de masques qui, une fois scannés, la font apparaître dans votre salon ».

Fils d'immigrés siciliens qui a grandi dans le bassin minier de La Louvière, Jean-François Chianetta se délecte de ces découvertes tous azimuts. Il s'est même offert le rêve américain, avec l'ouverture l'an dernier d'un bureau piloté par Michael Jordan, à Chicago.

« Ce n'était pas fait exprès, c'était un choix personnel de sa part », souligne Jean-François Chianetta, qui énonce ce clin d'oeil aux fans de basket avec un plaisir évident, et un brin de nostalgie puisque son associé vient de déménager à Orlando, en Floride.

Le ton est aujourd'hui badin, mais l'aventure a failli tourner court.

« En février 2013, nous n'avions pas de modèle économique et notre cible - les e-commerçants n'était pas prête. Il nous restait 2.000 euros en banque. »

Une aide de Scientipôle Initiative et une première levée de fonds dénouent la situation in extremis. Le jeune patron se souvient d'avoir quitté la maternité où sa fille était née trois jours plus tôt pour réceptionner ses 200.000 euros et passer les ordres de virement des salaires. Parmi les neuf business angels de ce premier tour, figure Tristan Vyskoc, associé gérant de Blackwell :

« Jean-François est centré sur ses objectifs. Il est attachant, ouvert, gentil, doté d'une autorité naturelle. Il a un côté rêveur mais il va au bout de ses réalisations, avec efficacité et rapidité. »

En quelques mois, il a décroché fin 2013 le contrat avec L'Oréal, « générant un effet levier pour un deuxième tour de table ».

Quatre nouveaux investisseurs participent à cette levée de 1,1 million d'euros en avril2014, dont l'entrepreneur Alain Roubach (Léon de Bruxelles) :

« Jean-François est optimiste et intègre dans sa stratégie. Il écoute les conseils, mais ne dérive guère de son idée première. Ce pourrait être un défaut, mais je crois qu'il a raison. Sa vision stratégique est claire depuis longtemps. »

Rien ne peut entamer le flegme de Jean-François Chianetta, pas même une trésorerie tendue :

« Mes investisseurs trouvent que je ne stresse pas assez. Avec les grands comptes, les discussions sont longues mais un seul contrat signé nous ouvre un boulevard ! »

Lui aussi augmente ses ventes en 3D : décontraction, détermination, disruption.


MODE D'EMPLOI

Où le rencontrer ? Au bureau. « Nous sommes installés dans le 11e arrondissement de Paris, dans de très beaux locaux, de style Eiffel, sous une verrière. Il y a des poutres métalliques, un plancher massif, un canapé Chesterfield, un baby-foot et un carré de pelouse artificielle. »

Comment l'aborder ? Une démonstration. « Parler business m'intéresse, mais si vous avez une démo, quelque chose de cool, futuriste et technologique, c'est encore mieux. Et si c'est un robot, c'est le jackpot : j'en suis fou ! »

À éviter ! Les conversations légères. « La vie personnelle des uns et des autres ne m'intéresse pas. Vos dernières vacances, une dispute dans votre famille... gardez-les pour vous. »

TIMELINE

  • Mars 1983 Naissance à Mons (Belgique).
  • 2001 Débute des études d'ingénieur en mécanique à la faculté polytechnique de Mons.
  • Novembre 2006 Diplôme en poche, entre chez Coventor.
  • 2010 Commence à développer une technologie de réalité augmentée sur son temps libre.
  • Septembre 2011 Cofonde AugmenteDev.
  • Juin-décembre 2012 Incubé au Camping.
  • Mars 2013 Lève 200 000 euros.
  • Avril 2014 Obtient 1,1 million d'euros auprès de business angels et signe un premier contrat grands comptes avec L'Oréal.
  • 2017 Augment est disponible en 12 langues dans 200 pays et vise 100 millions d'euros de chiffre d'affaires.

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