L'Estonie, l'autre pays du numérique

E-citoyenneté, e-administration, open data, e-santé, formation des écoliers au code et des fonctionnaires aux techniques d'innovation ... l'Estonie, petit pays par sa taille, mais grand par sa capacité à se transformer grâce au numérique, s'affiche comme un pays modèle.
Philippe Boyer

Soixante ans après le Traité de Rome, l'Union européenne se cherche un nouveau souffle dans un contexte de morosité et de défiance à l'égard de l'Union européenne (UE) abîmée par ses divisions internes, le futur Brexit, la Russie menaçante et l'imprévisibilité des États-Unis. Dans cette Europe "à plusieurs vitesses", l'un des plus petits pays de l'UE, l'Estonie, prendra la tête des 27 le 1er juillet prochain. Un sacré défi pour cet État, membre de l'UE depuis 2004, et qui a su se reconstruire en grande partie grâce au numérique au point de figurer, 26 ans après l'effondrement de l'URSS, comme une référence mondiale en matière de digitalisation et d'entrepreneuriat [1]. C'est en repartant de zéro que l'Estonie a su mener son « e-révolution » et se transformer de fond en comble par et grâce au numérique. On objectera bien sûr qu'il est bien plus facile de faire bouger 1,3 million d'habitants que les 510 millions de citoyens de l'UE, mais il n'empêche qu'il a fallu faire acte de détermination pour transformer ce « jeune » pays qui n'existait pas il y a un siècle [2] en une démocratie numérique. Petit retour sur cette politique de numérisation à marche forcée qui porte aujourd'hui ses fruits et qui fait de l'Estonie une référence numérique mondiale.

 Saut du tigre

Tout commence en 1991 quand l'Estonie recouvre son indépendance. Puisqu'il s'agit de repenser l'intégralité de son administration, le gouvernement décide de profiter de cette opportunité historique pour innover et passer à une administration numérique envoyant aux oubliettes les lourdeurs administratives de l'ère soviétique. Grâce à ses ingénieurs hautement qualifiés, les premiers chantiers portent sur la citoyenneté et l'éducation. Création d'infrastructures techniques, programmes « d'évangélisation » au numérique dans les écoles et auprès de tous les fonctionnaires... le programme « Tiigrihüp » (« Saut du tigre ») permet au pays de basculer dans le numérique naissant tout en proposant à l'ensemble des Estoniens de nouveaux services financiers grâce à un secteur bancaire innovant en appui à ce mouvement de transformation du pays. WiFi, fibre optique, projet pilote en matière de déploiement de la 5G [3], apprentissage du codage informatique pour les élèves de 7 à 19 ans [4]... depuis près de 30 ans, la politique numérique de l'Estonie ne faiblit pas

 Intégré à la vie quotidienne

Pour l'ensemble des Estoniens, le numérique fait intégralement partie de leur vie quotidienne. Outre que l'utilisation d'un mobile pour se garer ou régler ses achats est désormais banal, 95% des Estoniens payent leurs impôts en ligne, 100% des médecins recourent à l'ordonnance numérique et 30% des électeurs votent en ligne La quasi-intégralité de ces actions pouvant se faire grâce à une carte d'identité à puce, véritable « sésame » numérique, qui intègre données personnelles, permis de conduire, informations médicales et divers autres services publics (transports en commun)... Évidemment, un tel degré de dématérialisation administrative étant contrebalancé par un cadre constitutionnel et législatif rigoureux (loi sur la protection des données individuelles, loi sur l'accès à l'information et à l'accès à internet, médiateur (Ombudsman) [5], agence publique indépendante dédiée à la protection des données[6]) qui garantit la protection des libertés individuelles et partant consolide la confiance des citoyens dans ce système numérique très abouti.

E-citoyenneté

Poussant sa logique de citoyenneté numérique, l'Estonie décida, fin 2014, de proposer une « e-citoyenneté » à destination des non-résidents et investisseurs étrangers. Depuis lors, toute personne, qu'elle que soit sa nationalité, peut postuler (par internet [7], cela va s'en dire) pour obtenir ce statut original d'e-citoyen qui n'ouvre pas de droits civiques, mais qui facilite grandement la création d'entreprises. Plus d'un an après le lancement de ce passeport numérique, près de 17.000 personnes dans le monde (dont 400 en France), y compris la chancelière Merkel, le Prince Andrew ou encore Shinzo Abe, Premier ministre Japonais, ont acquis leur « digital identity card ».

Interrogé sur les raisons ayant poussé son pays à créer ce statut d'e-résidence M. Alar Streimann, Ambassadeur d'Estonie en France, m'expliqua que cette « e-citoyenneté » a été imaginée en tant que vitrine numérique, mais surtout pour encourager le dynamisme commercial et favoriser l'implantation de nouvelles société, à commencer par les startups (l'Estonie accueille le plus grand nombre de startups par habitant en Europe : 1 pour 3.700 habitants).Pari réussi puisque 2.500 nouvelles startups ont ainsi été créées par ces e-residents attirés par une fiscalité attrayante et le fait d'être partie prenante d'un ecosystème d'innovation très actif ; notamment encouragé par le programme gouvernemental « startup visa [8] » qui permet à de jeunes entrepreneurs de demander un permis de résidence d'une durée de 5 ans renouvelable. Un véritable atout pour ce pays où 7% du PIB provient du secteur des nouvelles technologies.

Réalisations concrètes

 A l'heure où le projet européen est en panne et que les scenarii pour le relancer[9] oscillent entre plusieurs options, il faut sans doute en revenir aux paroles de Robert Schuman, l'un des pères historiques de l'Europe, qui prophétisait en 1950 que «L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble.... Mais par des réalisations concrètes».  Soixante après la déclaration de Rome, le numérique sera-t-il cette nouvelle « réalisation concrète » permettant aux 27 de l'UE de donner un nouveau souffle à la construction européenne ? La tâche est immense vu le désarroi à l'égard de Bruxelles mais gageons que dès le 1er juillet 2017, et pour les 6 mois qui suivront, l'Estonie fera valoir son pragmatisme numérique pour tenter de faire bouger les lignes.

[1] https://www.weforum.org/agenda/2017/03/europes-most-entrepreneurial-country/

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27Estonie

[3] https://www.metering.com/news/sweden-and-estonia-get-5g-networks/

[4] https://www.neonroots.com/blog/estonia-is-teaching-kids-to-code-all-of-them/

[5] https://www.oiguskantsler.ee/en

[6] https://www.aki.ee/en/inspectorate

[7] https://e-estonia.com/e-residents/about/

[8] https://www.startupestonia.ee/visa

[9] https://ec.europa.eu/commission/white-paper-future-europe-reflections-and-scenarios-eu27_fr

Philippe Boyer

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Commentaire 1
à écrit le 13/05/2017 à 9:44
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C'est formidable de savoir que l'Estonie, qui donne l'exemple à la communauté mondiale de la façon dont les technologies numériques peuvent être améliorées pour rendre les choses plus faciles pour les citoyens et aussi pour les organismes gouvernemen...

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