"Likez-vous" les uns les autres

Liker (prononcer « laïquer ») de l'anglais « like » pour « aimer bien ». Ce petit symbole en forme de pouce levé en dit long sur les réseaux sociaux, peuplés de millions « d'amis ». Par Philippe Boyer, directeur de l'innovation, Foncière des Régions
Philippe Boyer

Dans leur Dico des mots qui n'existent pas et qu'on utilise quand même[1], Olivier Talon et Gilles Vervisch précisent que l'on peut « liker » pour plusieurs raisons : pour dire qu'on aime bien et ainsi marquer son approbation (ou sa désapprobation), pour soutenir une cause, pour se rappeler au bon souvenir, pour afficher sa compassion lorsqu'une mauvaise nouvelle est annoncée ou encore pour faire la promotion d'une marque ou d'une œuvre. Bref, le verbe « liker » fait partie de ces néologismes, pas encore référencés par l'Académie Française[2], qui permettent d'exprimer, en un seul mot et en un seul symbole, en l'occurrence celui du pouce levé, de multiples sentiments qui vont du hochement de tête approbateur façon « c'est bien », « j'approuve » jusqu'à l'engouement le plus sincère.

Ce verbe qui figurera peut-être un jour dans nos dictionnaires, conjugué au subjonctif imparfait donnerait quelque chose comme « que tu me likasses », est désormais un signe connu de tous. Représenté le plus souvent sous la forme d'un pouce levé, voire d'un cœur, tous les réseaux sociaux (Facebook, Linkedin, Twitter, Yammer, Instagram...) ont adopté l'un ou l'autre de ces deux symboles pour inciter leurs membres à faire valoir leurs opinions. Le fait que ces dernières se matérialisent au moyen d'un pouce n'est pas innocent. Dans l'imaginaire collectif, ce symbole renvoyant à une image forcement positive ; celle des arènes de Rome où un pouce levé signifiait la clémence accordée aux gladiateurs ou encore, au Moyen-âge, la conclusion d'une transaction équitable entre deux parties.

« I like "LIKE" ! »

De nos jours, on peut se demander si le like ne serait pas devenu le symbole de nos existences numériques. Entre l'époque où un pouce levé signifiait la grâce et un like d'aujourd'hui pour dire que l'on aime quelque chose ou quelqu'un, la force du pouce levé n'a pas changée. Exprimant à la fois reconnaissance, encouragement et approbation, quelle meilleure preuve de ce symbole presque universel pour s'extraire du néant d'internet grâce à cette reconnaissance sociale donnée par ses « followers ». Que cela passe par la mise en ligne d'un selfie, d'un tweet ou d'un post, le nombre de likes reçus sera la preuve que l'on reconnait à l'auteur de ces actions une existence numérique réelle. Le « je pense donc je suis » cartésien ayant été remplacé par un « on m'aime donc je suis » freudien.

 Loin du slogan « I like IKE »[3] de 1952 pour inciter les Américains à voter en faveur du candidat Dwight Eisenhower, il arrive aussi que le like de ce début de 21e siècle, aille au-delà de ce petit signe affectif et amical pour exprimer en fait un engagement de type « pour » ou « contre » un fait divers ou une décision politique. Récemment, la loi de la ministre du Travail, Myriam El Khomri, rassembla des milliers de likes sur les réseaux sociaux, non pour exprimer de quelconques signes d'encouragements positifs mais plus pour exprimer de très nombreux mécontentements. Si le symbole du pouce à l'envers avait existé, nul doute que ces likes se seraient transformés en dislike (je n'aime pas). C'est peut-être pour ne pas céder à cette tentation facile que le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg,[4] a longtemps tergiversé pour savoir si un tel bouton devait ou pas faire son apparition sur le réseau social le plus populaire au monde. À défaut de la mise en ligne d'un bouton Dislike, Facebook s'étant finalement résolu à tester six alternatives sous forme d'émoticônes baptisées «Reactions» pour marquer des sentiments tels que le rire, la joie, la tristesse ou la colère... Façon habile de contourner la question de la mise en ligne d'un pouce dirigé vers le bas.

 Les amis de mes amis

Likez-vous les uns les autres ! tel est l'un des moteurs des réseaux sociaux. Grâce à ces derniers, il n'a jamais été aussi facile de se connecter et de nouer de nouveaux liens « d'amitiés ». Un seul « like » suffit à se retrouver au milieu de milliers de nouveaux « amis numériques ». Sur cette question de ces nouveaux liens d'amitiés qu'il est possible d'accumuler en quelques clics, la Cour de cassation vient de trancher en précisant dans un arrêt[5] que "le terme d'«ami» employé pour désigner les personnes qui acceptent d'entrer en contact par les réseaux sociaux ne renvoie pas à des relations d'amitié au sens traditionnel du terme ". En clair, ce n'est pas parce que l'on aura cliqué sur le bouton «Like » ou « Accepter l'invitation de cet ami » que l'on pourra en déduire un quelconque lien de proximité entre deux personnes.

 En extrapolant, ni Montaigne ni Antoine de la Boétie n'auraient démenti cette décision de justice, eux pour qui l'amitié véridique s'était manifestée sous la forme d'un véritable coup de foudre intellectuel et non un simple « like » de circonstance. Suggérons à Facebook et à Twitter qu'ils retiennent la maxime de Montaigne «Parce que c'était lui, parce que c'était moi », au titre de leurs slogans publicitaires. A cette condition, c'est sûr, je « likerai » sans réserve.

 Retrouvez le blog Homo Numericus sur le site latribune.fr https://www.latribune.fr/blogs/homo-numericus/accueil.htm

 Visitez mon blog https://philippeboyer.strikingly.com/#mes-articles-and-chroniques

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[1] https://www.amazon.fr/dico-mots-nexistent-utilise-quand/dp/284343971X

[2] https://www.academie-francaise.fr/dire-ne-pas-dire/neologismes-anglicismes

[3] https://www.youtube.com/watch?v=YmCDaXeDRI4

[4] https://www.adweek.com/socialtimes/you-want-a-dislike-button-heres-why-facebook-isnt-giving-you-one/634935

[5] https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/deuxieme_chambre_civile_570/1_5_35798.html

Philippe Boyer

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