Véhicules électriques : menaces ou opportunités pour le réseau électrique ?

La montée en puissance des véhicules électriques va-telle mettre le réseau sous tension? Un pilotage de la recharge des voitures est nécessaire; il est possible d'en faire une opportunité pour les propriétaires. Par Paul Codani (Chaire Armand Peugeot, CentraleSupélec)

Le salon de Francfort, grand rendez-vous bi-annuel des constructeurs automobiles, a fermé ses portes le 27 Septembre. Comme à chaque édition, de nombreux concepts-cars innovants resteront dans les esprits. Parmi eux, nous pouvons citer l'Audi e-tron Quattro, la Nissan Gripz, la Peugeot Fractal, ou encore la Porsche Mission E, véritable coqueluche du salon. Le point commun entre ces modèles ? Ils disposent tous d'une motorisation électrique (la Nissan Gripz propose un prolongateur d'autonomie, les 3 autres sont 100% électriques).

Hormis ces modèles d'exception, près de 30 nouveautés hybrides et électriques ont été présentées lors de l'évènement. Cela confirme l'intérêt récent de tous les constructeurs pour les motorisations à carburants alternatifs. Hybrides, hybrides-rechargeables, tout-électriques, piles à combustible... les constructeurs américains, asiatiques, allemands et français se lancent sans exception à la conquête de ces nouveaux marchés, mouvement récemment accéléré par le scandale du diesel que l'on connait.

Une réponse technologique à des normes toujours plus contraignantes

Cette tendance constitue la réponse technologique des constructeurs aux normes de plus en plus contraignantes visant à réduire les émissions (de CO2, de polluants...) des véhicules. A partir de 2021, les voitures vendues en Union Européenne ne devront pas dépasser 95 grammes de CO2 au kilomètre (gCO2/km) sous peine de sanctions économiques. De son côté, la Chine envisage de restreindre à 116 gCO2/km les émissions des véhicules d'ici à 2020. Les États-Unis ne sont pas en reste : l'état de Californie s'est fixé l'objectif de voir circuler 1,5 million de véhicules électriques sur ses routes d'ici à 2025, et héberge le symbole de l'innovation dans ce domaine, la société Tesla Motors.

Bien entendu, les freins au développement de ces nouvelles technologies sont connus : autonomie limitée, manque d'infrastructures de recharge, coûts prohibitifs... Néanmoins, l'évolution des technologies - on s'attend à ce que le prix des batteries chute de manière substantielle à environ 200€/kWh en 2020, contre 300€/kWh aujourd'hui - et la volonté des pouvoirs publics de plus en plus pressante laissent présager une augmentation importante du nombre de véhicules rechargeables en circulation dans les prochaines années.

Impacts sur les réseaux électriques

Dans ce contexte, s'il est acquis que la demande énergétique annuelle des véhicules rechargeables restera marginale, se pose tout de même la question de l'impact de la recharge simultanée d'un nombre important de ces véhicules sur les réseaux électriques, déjà surchargés en heure de pointe en hiver. Le problème se situe aussi bien à l'échelle nationale (équilibre production - consommation globale) qu'à l'échelle plus locale du poste source. En France, l'objectif annoncé est désormais d'avoir 450.000 véhicules rechargeables en circulation en 2020. Selon ERDF, une recharge simultanée de tous ces véhicules en charge lente (3kW) représenterait 3.7% de la puissance disponible sur le territoire. Ainsi, il va s'avérer nécessaire, à partir d'un certain seuil, de piloter la recharge de ces véhicules afin d'assurer le bon fonctionnement du réseau électrique.

Piloter la recharge des véhicules, une opportunité pour leurs propriétaires

Néanmoins, il est également possible de considérer l'intégration des véhicules rechargeables dans les réseaux électriques comme une réelle opportunité pour ces derniers, et non comme une menace. En effet les véhicules électriques, lorsqu'ils sont raccordés au réseau, peuvent s'apparenter à des batteries de stockage électrique. Ces batteries pourraient être mises à profit par les gestionnaires de réseau électrique ou par des entités tierces pour optimiser l'utilisation du réseau. Par exemple : (i) en écrêtant les pics de consommation en déchargeant partiellement les véhicules à 19h ; (ii) en favorisant l'intégration des énergies renouvelables en rechargeant les véhicules aux moments de forte production renouvelable ; ou (iii) en utilisant l'énergie stockée dans les véhicules pour assurer la stabilité de la fréquence du réseau - stabilité aujourd'hui assurée par des centrales dites « de pointes » polluantes.

Ces solutions pourraient bénéficier aux systèmes électriques, mais également aux propriétaires des véhicules qui seraient récompensés de mettre leurs véhicules à disposition pour les besoins du réseau.

Une utilisation moyenne de six heures par semaine

Il ne s'agit bien sûr pas de restreindre les possibilités de déplacement des utilisateurs des véhicules. Cependant, cette crainte doit être mise en perspective : un véhicule n'est utilisé en moyenne que 6 heures par semaine en France, pour un déplacement quotidien d'une trentaine de kilomètres. Cela laisse aux véhicules une certaine flexibilité temporelle et énergétique dans leurs programmes de charge. Il faudra aussi s'assurer que ces stratégies n'impactent pas la durée de vie de la batterie - mais cette crainte semble écartée par la plupart des constructeurs - et que le cadre réglementaire se prête à ces solutions.

Ceci posé, un tel procédé repose nécessairement sur un système de communication et de contrôle avancé. Les véhicules doivent être capables d'exprimer leurs besoins, de recevoir et d'interpréter des messages du réseau. Des algorithmes complexes d'aide à la décision doivent être développés. De nombreux travaux de recherche sont en cours, à CentraleSupelec et ailleurs, sur la modélisation du fonctionnement de ce réseau d'un nouveau type.

Une extrême diversité de solutions

Notons enfin l'extrême diversité des solutions : plusieurs applications commencent à voir le jour. Nissan et Mitsubishi proposent, au Japon et depuis la catastrophe de Fukushima, des systèmes qui permettent de décharger leurs véhicules électriques et d'assurer la sécurité énergétique d'une maison japonaise pour 48h. Des solutions commerciales offertes par des gestionnaires énergétiques permettent déjà de recharger son véhicule en priorité à partir de l'énergie solaire produite sur le toit de sa maison. La Poste a mis en place une gestion active de la recharge de ses véhicules électriques avec l'aide de G2Mobility, une PME spécialisée dans ces applications. L'Université du Delaware assure que les véhicules électriques de son projet de démonstration lui rapportent jusqu'à $1500/an/véhicule en participant au réglage de la fréquence (avec toutefois des niveaux de puissance et de disponibilité élevés, ainsi qu'un cadre réglementaire favorable).

La question n'est plus de savoir si ces solutions parviendront à franchir le premier palier de la voiture individuelle ou de la petite flotte d'entreprise, mais quand elles y arriveront et mèneront alors à une intégration intelligente et contrôlée de tous les véhicules, afin que ces derniers représentent une brique non négligeable des réseaux intelligents de demain.

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Commentaires 3
à écrit le 26/01/2016 à 16:55
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Pour répondre à Idéfix, je pense qu'à l'horizon, les voitures seront toujours d'actualité, notamment dans les pays à forte population tels que la Chine ou l'Inde. Pour ces populations, les voitures représentent un signe extérieur de richesse. Chaque ...

à écrit le 25/11/2015 à 12:00
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Pour ma part je fait le pari que dans les années à venir, à l'horizon 2030 la circulation automobile tout comme celle du train ..et même de l'avion commencera à baisser du fait de la montée en puissance du télétravail mais également aussi de la génér...

le 26/11/2015 à 10:11
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La question de la diminution du trafic, fortement liée à celle de l'aménagement du territoire (plus qu'au développement du télétravail à mon avis), est en effet primordiale et complémentaire des solutions évoquées dans l'article. Néanmoins, la voitu...

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