L'UE muette contre le Brexit, pourquoi ?

Par Florence Autret, correspondante à Bruxelles pour La Tribune

La retenue de la Commission européenne dans le débat sur le Brexit n'est pas l'expression du respect de la souveraineté britannique. Il souligne l'indigence de la souveraineté européenne.

« Je préfère t'avertir maintenant :il ne dira rien sur le Brexit, pas avant le référendum », explique le porte-parole d'un membre éminent de la Commission européenne, à la suite d'une demande d'interview.

À Bruxelles, jusqu'au 23 juin, évoquer la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne est tabou, ou quasiment. Un comble, vu les conséquences dévastatrices qu'elle pourrait avoir.

Après avoir longtemps déclaré qu'elle n'était pas une hypothèse de travail, Jean-Claude Juncker s'est tout juste autorisé à hausser le ton à un mois du vote fatidique. « Les "déserteurs" ne seront pas accueillis à bras ouverts », a déclaré le président de la « Commission de la dernière chance » au quotidien Le Monde, le 20 mai. Mais la palme de l'audace et de l'humour revient... au commissaire britannique. Trois jours après la sortie de Juncker, Lord Hill traversait la Manche pour lancer un avertissement à ses compatriotes.

Devant le public de la prestigieuse London School of Economics, il avertit :

« Il n'y a absolument aucune raison de croire que les discussions seront rapides et faciles. La négociation entre le Groenland et l'Union européenne a pris trois ans, en dépit du fait qu'il n'y avait en réalité qu'un seul sujet à discuter : le poisson ».

Le traité européen prévoit deux ans pour négocier un nouveau deal avec un pays qui a quitté l'Union. Ce sera plus. Finis - et pour un moment -les « passeports » qui permettent aux sociétés financières britanniques d'opérer librement sur les marchés français, allemand, italien... Bonjour les paperasses, les tracasseries administratives et les droits de douane. Bref, tout ce que les Britanniques honnissent et qui alimente leur tentation de larguer les amarres. Ce « n'imaginez pas qu'on va continuer comme avant » constitue le sommet de la menace proférée par les responsables européens à l'adresse d'un peuple britannique en instance de divorce.

« Pas de Plan B », expliquait encore récemment le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, pourtant natif d'un pays, les Pays-Bas, allié naturel du Royaume-Uni dans l'Union. C'est la ligne.

Au Berlaymont, le siège de la Commission, on se contente de répondre aux demandes des journalistes britanniques plus consciencieux que les autres, qui cherchent à vérifier les allégations souvent inexactes des partisans du Brexit. Et ce n'est pas une mince affaire quand ces derniers déterrent de vagues projets d'harmonisation fiscale vieux de dix ans.

« On ne publie pas de communiqué de démenti, mais il faut bien répondre aux demandes de la presse. »

De contre-campagne, il n'est pas question

Est-ce bien raisonnable ? Non, car il y aurait quand même plus à dire sur l'intérêt des Britanniques à rester dans l'Union. Est-ce à dire qu'il faudrait multiplier les analyses rationnelles des risques d'un Brexit ?

Pas forcément, non plus. Le G7, le FMI, la Banque d'Angleterre, tout le monde y est allé de ses anticipations dramatiques sur le « coût » d'une sortie. Mais ces arguments sont contestables - et contestés - au-delà du camp des « outs ». Récemment, l'économiste Ashoka Mody expliquait : « La science économique est neutre sur la question de savoir s'il faut rester ou partir.

La bataille pour le Brexit doit être menée sur d'autres terrains », disait-il. Lesquels ? Celui que labourent les populistes prêts, de l'autre côté de la Manche, mais aussi en Allemagne, en Hongrie, en France et ailleurs, à saborder six décennies d'intégration européenne pour gagner leur place au centre du paysage politique : l'identité. Ce que cache la « non-campagne » de Bruxelles, c'est moins le respect de la souveraineté du peuple britannique qu'encore et toujours la sidération devant la propre difficulté de l'Europe à se voir comme un tout. Jean-Claude Juncker l'a bien compris, qui appelait récemment la France à prendre une initiative au lieu de laisser encore et toujours la place au leadership imprévisible de la grande coalition d'Angela Merkel. Jusqu'à présent, il n'a pas reçu de réponse. On dit que quelque chose se prépare pour une politique commune d'immigration et de défense. Il serait temps.

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