Un hiérarque français sur la sellette

Les affaires de l'Office européen des brevets tournent mieux que jamais. Mais, la grogne monte contre son président. Critiqué pour sa gestion autoritaire, accusé de népotisme, Benoît Battistelli tenterait de négocier son départ, selon la presse néerlandaise. Jeudi, lors d’une conférence de presse à Bruxelles, il a démenti et dénoncé « une campagne de calomnie ».
Selon le quotidien néerlandais De Telegraaf du 26 février, Benoît Battistelli aurait demandé à monnayer son départ anticipé (il a été reconduit en 2015) contre... 18 millions d'euros qui correspondraient à dix ans de traitement.

Article publié le jeudi 3 mars 2016 à 7:00 , mis à jour à 18:00

Le 3 mars, cet énarque de 65 ans est venu présenter à Bruxelles les résultats impeccables de l'organisation qu'il dirige depuis six  ans : les demandes de brevets ont été l'an dernier en hausse de 4,8% par rapport à 2014. L'Office européen des brevets, installé depuis 1973 à Munich, encaisse 1,5 milliard d'euros par an au titre de l'enregistrement des brevets. Ses plus gros clients sont aux États-Unis (27% des demandes), en Allemagne (17%), au Japon (13%). Et la Chine gagne du terrain avec 22 % de demandes de plus qu'en 2014.

« C'est le reflet de l'internationalisation de ses entreprises et un signe de rattrapage », remarque Benoît Battistelli.

L'an dernier le groupe chinois Huawei s'est hissé en quatrième position derrière le Néerlandais Philips et deux Coréens (Samsung et LG), et devant l'Allemand Siemens. « L'Europe reste un marché attractif pour les technologies », note son président. En somme, les affaires tournent.

Mais à Munich, rien ne va plus !

Les relations du président avec son personnel n'ont jamais été très bonnes. Le Français est accusé de népotisme pour avoir appelé auprès de lui, comme chef de cabinet, un ancien collègue de l'Institut national de la propriété intellectuelle (Inpi), et dont l'épouse a été nommée directrice des ressources humaines. Le malaise au sein de cette organisation de 7.000 personnes n'est plus confiné aux conversations autour de la machine à café. Les faits sont têtus : burn-outs, suicides sur le lieu de travail, procédures contentieuses multiples contre des représentants du personnel.

En janvier, à la suite du départ de deux délégués syndicaux, des milliers de collaborateurs de l'OEB ont quitté leur bureau pour se masser devant... le Consulat français et demander le départ du « Français ». « C'est de plus en plus lourd », explique Pierre-Yves Le Borgn'. Le député socialiste des Français de l'étranger, qui relaie depuis plus de deux ans les affres que traverse l'OEB, a été reçu fin décembre par Emmanuel Macron, le ministre de l'Économie. À Paris, on lui aurait assuré « ne pas vouloir attendre... un cinquième suicide » pour agir. À Bercy pourtant, on ne fait « pas de commentaire ». Une source syndicale a indiqué jeudi à La Tribune qu'elle décomptait non pas quatre mais cinq suicides dans lesquels il existerait un lien entre le travail et le passage à l'acte et assuré que le personnel, essentiellement constitué d'ingénieurs et de juristes, était soumis à des « contraintes paradoxales » entre un travail très cérébral et les exigences de performances.

En Allemagne, comme aux Pays-Bas, où l'Office emploie 2700 personnes sur le site de Rijswijk près de La Haye, le président Battistelli fait régulièrement la une des médias. Le 2 mars, la télévision bavaroise a diffusé un reportage sur le « cauchemar » d'un des suicidés de Munich.

« Les suicides sont des tragédies personnelles. Il est très difficile d'essayer de donner une raison à une telle décision », a commenté jeudi le président de l'Office. Selon le quotidien néerlandais De Telegraaf du 26 février, Benoît Battistelli aurait demandé à monnayer son départ anticipé (il a été reconduit en 2015) contre... 18 millions d'euros qui correspondraient à dix ans de traitement.

« Nous ne commentons pas les rumeurs », a déclaré mercredi à La Tribune le porte-parole de l'OEB, qui appartient au cercle de plus en plus étroit des organisations qui ne publient pas le salaire de leurs dirigeants... Répondant à une question de La Tribune, son président a assuré que son salaire annuel, qui n'est pas officiellement publié, était de « 300 000 euros » par an. Les informations sur son départ et cette indemnité publiées par De Telegraaf sont « totalement sans fondement », a-t-il assuré. Ces 18 millions correspondraient à la gratification distribuée en 2015 à une partie du personnel, sur la base d'indicateurs de performance. « C'est une campagne politique » et « de calomnie », a expliqué le président Battistelli qui est par ailleurs élu au conseil municipal de Saint-Germain en Laye sur une liste proche des Républicains.

Pour Pierre-Yves Le Borgn', la crise sociale n'est que le reflet d'une crise de la gouvernance. La règle « un pays, une voix » prévaut au sein du conseil d'administration.« Avec cela vous pouvez construire le silence » en réunissant des coalitions de petits pays, explique le député. « Il serait bienvenu que les États membres reprennent la main » en réunissant une conférence ministérielle, ce qui n'a pas été fait depuis quinze ans, dit-il. Un pays une voix : « c'est la règle de base des organisations internationales », réplique le président de l'OEB. « Si les Etats membres veulent les changer, je n'ai rien contre... mais je leur souhaite bonne chance », dit-il. L'OEB, qui réunit 38 pays, n'est effectivement pas une institution de l'Union européenne, où l'influence des Etats est pondérée selon leur taille. Reste qu'à partir de 2017, il est censé délivrer le « brevet unitaire », un titre de propriété industriel créé par le législateur européen.

La prochaine réunion du conseil d'administration, prévue le 16 mars, s'annonce agitée. La fronde a quitté les services pour gagner les représentants des 38 pays membres de l'organisation. Dans un courrier récent à ses confrères membres de l'Union européenne, un de ses membres, le directeur général de l'office danois des brevets, Jesper Kongstad, annonce la présentation d'une motion demandant un audit indépendant de l'organisation, et la suspension des procédures contentieuses contre les représentants du personnel. La direction de l'OEB assure que le langage du document qui sera soumis au conseil d'administration sera « adouci considérablement ». Le président a déjà annoncé la réunion d'une « conférence sociale » à l'automne... et le lancement d'un appel d'offre pour recruter un « expert indépendant » chargé de faire le point sur la situation sociale.  Le 4 mars, il devait rencontrer Martijn Van Dam à La Haye. Le secrétaire d'Etat aux affaires économiques néerlandais s'était ému de la situation sociale sur le site de Rijswijk. « Les Pays-Bas sont un des pays qui bénéficie le plus de l'activité de l'OEB » à la fois comme employeur et pour le nombre de titres déposés par ses entreprises, a répliqué jeudi son président. Les Pays-Bas sont le cinquième pays de l'organisation en termes de dépôts de brevets et Philips le premier, au palmarès des entreprises. À suivre.

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Commentaires 4
à écrit le 09/03/2016 à 10:19
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Encore une immense preuve de l'efficacité de l'énarchie........ et de leur aptitude particulière au management.......et générer le consensus. Il n'y a qu'à regarder l'état de la France.

à écrit le 04/03/2016 à 11:41
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Il ferait mieux d'expliquer à ces pays râleurs, sous-compétitifs, coupés de la réalité et de la modernité que si il pouvait virer tous ses opposants sans problèmes et sans indemnités, l'OEB irait mieux.....

le 04/03/2016 à 14:11
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Oui, oui, vous avez raison, le problème de l'European Patent Office (EPO) vient sans aucuns doute aucun uniquement de ces râleurs. Pour suivre la saga de l'EPO, quelques sources :) http://techrights.org/wiki/index.php/EPO

à écrit le 04/03/2016 à 11:02
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Ayant résidé en Suisse, je passe tous mes brevets directement par la WIPO/OMPI (World Intellectual Property Organization / Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle), agence de l'ONU à Genève.

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