Du ciel bleu pour nos enfants…

L’agence A.Bechu, dirigée par Anthony Bechu, a signé un certain nombre de réalisations marquantes comme la rénovation de l’Hôtel-Dieu à Marseille, de la Cité Bergère, de l’Hôtel d’Evreux, du Cirque d’Hiver et de l’Olympia à Paris. Elle a aussi construit la tour D2 à la Défense, un bâtiment d’un genre nouveau. Anthony Bechu est un militant de la biodiversité dans la ville et des concepts puisés dans l’observation de la vie de la nature et appliqués aux bâtiments.
Anthony Bechu et Clémence Bechu

Le monde de demain sera celui des villes. Or, aujourd'hui, elles sont plutôt objets de questionnements quant à leur empreinte environnementale, aux difficultés de transports, au manque de nature et de biodiversité. Les villes de demain seront-elles différentes ?

Anthony Bechu : J'en ai la conviction. Nous entrons dans un monde nouveau. L'Homme a d'abord construit pour se protéger de la nature. Puis, au cours de ces vingt dernières années, on a commencé à construire pour protéger la nature de l'Homme. Demain, un nouveau paradigme va s'imposer : la réconciliation entre l'Homme et la nature au travers de nouvelles solutions qui prônent l'osmose entre l'humain et le naturel. Il s'agit bien d'un changement de monde. On ne raisonne plus à l'échelle de la ville, du village ou de l'individu, mais par rapport à tous les autres qui partagent la planète avec nous. Et il faut s'inscrire dans un retour à la culture originelle de chaque pays ou région. La sagesse populaire, le bon sens paysan, les religions et croyances ancestrales ne prônaient-ils pas un art de vivre respectueux de l'Homme et de la nature ?

Nous avons été un peu paralysés par notre univers cartésien. C'est un monde d'intelligence certes, mais étranger à la nature, qui emprisonne l'Homme dans un carcan. Je crois beaucoup plus à l'univers fractal, qui décrypte le fonctionnement de la plupart des formes de vie sur terre, qu'elles soient humaines, végétales, minérales. Il fait de la vie un miroir de la création et une source de références infinies.

Comment cette conviction s'exprimet- elle concrètement dans l'acte de concevoir et de construire des bâtiments ou un ville entière ?

Anthony Bechu : Lorsque nous abordons un projet, nous nous référons d'abord à nos maîtres-mots : partager, échanger, mutualiser, innover, transmettre et, à la fin, construire. Il ne s'agit plus de produire des bâtiments pour produire des bâtiments, mais d'intégrer de manière simple et claire le développement durable et le développement humain. Le projet de la ville de Shenyang, dans la province du Liaoning, dans le nord de la Chine, sur lequel nous travaillons, en est un exemple intéressant. Cela représente environ 10 kilomètres carrés à construire et nous concevons une véritable éco-cité. En créant dans le centre de la cité un grand espace de biodiversité, nous réintégrons l'agriculture dans la ville.

C'est autour de cette espace que prendront place des logements, des entreprises, des universités, afin que la ville soit un lieu d'échanges et de mixité. Et nous puisons dans la culture chinoise, le Feng Shui, le Confucianisme, le Taoïsme, des éléments nous permettant d'adapter les normes de développement durable à la tradition et à l'histoire de la Chine. Mixité, culture, agriculture, me semblent des notions clés de la ville de demain. Le paysan a été exclu des villes, il doit y revenir, car il apporte avec lui une culture profonde de la nature et une connaissance intime des cycles, qui sont la base de la vie de la nature.

Vous insistez beaucoup sur la mixité. Quel sens donnez-vous à ce mot, s'agissant d'architecture ?

Anthony Bechu : D'abord, la mixité des activités. Si l'on veut réduire l'empreinte écologique, et d'abord celle des transports, il faut rapprocher les différentes activités au sein du même espace. Dans la ville de demain, on travaille, on vit, on étudie, on cultive et on se cultive dans le même grand espace. C'est l'inverse absolu des conceptions anciennes de la « cité dortoir » qui génère du stress chez ceux qui y vivent, nécessitent des infrastructures de transport coûteuses et polluantes ou rendent quasi obligatoire l'usage d'un véhicule personnel.

La ville de demain est une véritable cité, dont les rues, en partie débarrassées des automobiles, et les espaces de biodiversité deviennent des lieux de rencontre, des agoras, des espaces de palabre. Mais pour nous, la mixité s'applique aussi aux bâtiments eux-mêmes. Regardons la composition du coût d'un bâtiment : la structure en représente 30 %, tout comme les technologies et les façades. Les aménagements intérieurs, c'est 10 %. Si l'on veut réaliser des économies d'énergie, de matériaux, il faut que les bâtiments soient flexibles dans leurs usages et qu'ils puissent, au cours de leur vie, changer de vocation, passer des logements aux bureaux, de bureaux en écoles ou universités. Les nouvelles technologies, notamment dans la composition des bétons, nous donnent beaucoup plus de liberté dans les structures, on peut donc imaginer plusieurs fonctions. Dans la tour D2 que nous avons construite à La Défense, et qui ressemble à une nasse de pêcheur, il n'y a pratiquement pas de piliers intérieurs. Et pour les investisseurs, c'est une plus-value latente, dans la mesure où le bâtiment qu'ils ont acquis peut être reconverti plutôt que détruit. Ce qui m'amène à une autre de nos convictions : j'aimerais que dans les années qui viennent, le mot déchet soit banni de notre vocabulaire. MÉTROPOLES

Que voulez-vous dire ?

Anthony Bechu : Nous avons devant nous une immense bibliothèque, la nature. Pour l'instant, nous n'avons encore ouvert que très peu de ses livres. Or ils contiennent des ressources considérables. La nature, ce sont des cycles et donc du recyclage permanent. Jusqu'à maintenant, seul l'Homme produit du déchet. Et le déchet est un cancer pour la nature. Il faut donc apprendre d'elle cette logique du recyclage et l'appliquer à l'ensemble des activités humaines, dont la construction. Les objectifs de résilience et de réversibilité inhérents à tout projet durable, mènent l'architecte à construire le présent à partir du futur, et non plus construire l'avenir à partir du présent. Notre rôle consiste à penser un bâtiment dans sa vie d'après pour construire son présent, en concevant de nouvelles structures flexibles, dont les peaux deviennent les témoins de la fonction du moment (bureaux, logement, écoles).

Plus qu'un médecin de l'espace, l'architecte est instigateur de développement durable. Il se doit d'être à l'écoute permanente de l'innovation pour être l'intégrateur des nouvelles technologies et processus environnementaux qui feront de ses projets, quelle que soit leur échelle (bâtiment, quartier, campus, ville), des « organismes » capables de mutualisation, de partage et de résilience.

La ville de demain pourrait donc être une contribution majeure à la lutte contre le dérèglement climatique ?

Clémence Bechu : C'est un enjeu considérable, en effet. Regardez l'Afrique : en 2050, elle comptera 2,5 milliards d'habitants, dont 60 % vivront dans des villes qui n'existeront pas encore. Il faut donc réfléchir sur les façons d'aider les Africains à construire des villes durables. Bien sûr, l'architecte n'est qu'un rouage dans le système, une goutte d'eau dans l'océan. Mais grâce aux nouvelles technologies, en alliant nos compétences avec celles des chercheurs et des scientifiques, nous pouvons contribuer de façon significative à ce mouvement. Nous venons de remporter le projet de construction de l'université de Laayoune, dans le sud du Maroc. Ce sera un ensemble entièrement dédié au développement durable et à la biodiversité, avec des technologies tout à fait révolutionnaires en matière de recyclage de l'eau ou de gestion de l'énergie, sur 50 000 mètres carrés de construction. Nous travaillons aussi sur le projet de Climate City à Chambley, en Lorraine, un concept tout à fait nouveau, qui rassemblera dans un même espace des climatologues et des ingénieurs aéronautiques, afin de développer des outils aéroportés qui aideront à mesurer de façon beaucoup plus précise les phénomènes climatiques. Ce projet cristallise tout ce que nous voulons apporter en matière de construction.

Anthony Bechu : Comme vous le savez, nous travaillons beaucoup en Chine, qui est en train d'accomplir une mutation considérable, qu'il s'agisse de la protection de l'environnement ou de l'intégration de la culture, de la tradition et de l'histoire de la Chine dans la modernité, et je fais mienne une revendication que j'ai entendue là-bas, et qui vaut pour le monde entier : « Du ciel bleu pour nos enfants »...

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