Libre échange : le syndrome du village d'Astérix

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La France a peur, comme dirait ce bon vieux Roger Gicquel. De tous les peuples du monde, nous serions, selon une étude fameuse de l?Université du Maryland, l?un des plus rétifs à l?économie de marché et au libre commerce. Avec 41% d?opinion favorable, contre 36% en 2005, nous remontons néanmoins la pente, alors que la cote d?amour du marché baisse dans les autres pays. Le débat sur le TTIP, dont le mandat de négociation européen vient d?être validé permet de revisiter ce vieux poncif qui a la vie dure.

En anglais, TTIP, ou Transatlantic Trade and Investment Partnership, ça fait chic ; en français, traité de libre échange bilatéral Etats-Unis/Europe, cela fait peur, parce que, de ce côté-ci de l?Atlantique, on se méfie du libre échange.

 

La France a donc peur, mais qui a peur, de quoi et de qui ? De l?invasion de la malbouffe yankee nourrie aux hormones et aux OGM? Oui, certes. Mais a-t-on avec la crise de la viande de cheval dans les surgelés beaucoup de leçons à donner à ce sujet, tandis que la PAC favorise aussi en Europe une agriculture intensive à hauts rendements. Peur pour le respect de la vie privée (on l?a vu avec l?affaire PRISM sur l'espionnage par le gouvernement américain des citoyens du monde entier) de la domination inquiétante des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon)? C?est clair. Mais c'est un sujet de régulation, pas un sujet de commerce. D?ailleurs, nous ne sommes pas seuls à nous méfier de l?Oncle Sam, qui pousse son avantage pour tenter, avec ce traité de libre échange, de s?imposer, entre le Pacifique à l?Ouest et l?Atlantique à l?Est, au c?ur du commerce mondial.

 

La France affaiblie par la récession a peur, mais comme le dit un célèbre dicton, « la peur n?évite pas le danger »? Les négociations qui vont commencer en juillet sur le commerce entre les Etats-Unis et l?Europe ont mis plus de cinquante ans à s?ouvrir. Il faudra au moins deux ans pour espérer des décisions concrètes. Pendant ce temps-là, on peut prédire que la Chine et les pays émergents vont continuer de nous prendre des parts de marché. On a donc raison d?être prudents, car un accord de libre échange est rarement gagnant-gagnant pour tous, mais on aurait tort de se priver de cette opportunité d?augmenter la taille du gâteau, même si c?est pour n?en prendre que quelques miettes.

 

L?Occident, en perte de vitesse dans la mondialisation n?a rien à perdre à un accord équilibré en son sein qui le renforcera dans les secteurs où il bénéficie encore d?avantages comparatifs face aux pays à bas coûts, c'est-à-dire les secteurs à haute valeur ajoutée et les services. Créer le plus grand marché du monde, celui où malgré la crise, le PIB par habitant demeure le plus élevé, c?est une louable ambition. D?ailleurs, s?il reste ferme sur l?exception culturelle dans l?audiovisuel, François Hollande ne refuse pas, loin s?en faut, cette négociation contre laquelle s?unissent tous les souverainistes, de droite et de gauche.

 

On l'a bien compris cette semaine avec la polémique entre la France et José Manuel Barroso : le président très libéral et atlantiste se trompe de combat quand il juge la France « réactionnaire » parce qu?elle défend les secteurs où elle conserve des positions fortes. Les Etats-Unis le font aussi, pour leurs agriculteurs, leur aéronautique et leur finance, qui a décidé unilatéralement de ne pas appliquer les accords de Bâle 3 (alors que les banques européennes s'y sont soumises). Qui traite l'Amérique de « réactionnaire » ?  Pourtant, il y aurait de quoi saisir l'OMC, si le sujet de la finance y était éligible.

Ce qu'aurait vraiment voulu dire Barroso, du moins c'est ce qu'il a expliqué dans un grand mouvement de rétropédalage sur sa déclaration maladroite, c'est que le combat des extrèmes (droite et gauche) en France contre la mondialisation est rétrograde. Ce n'est pas faux. La France, du moins une partie de la France, a vraiment du mal avec la mondialisation, comme d'ailleurs avec l'euro, accusés de tous les maux et en particulier de détruire l'emploi. Cette position existe, elle a ses arguments, mais elle est loin d'être majoritaire. Et on voit bien que dans la réalité, les entreprises françaises, les grandes du CAC 40 comme les PME, cherchent à s'ouvrir de nouveaux marchés à l'extérieur, dans les pays émergents. Pour ces entreprises, une plus grande ouverture commerciale de l'Amérique, l'autre plus grand marché de consommation du monde, serait à l'évidence une bonne choses. Même s'il ne faut pas en exagérer les effets réels.

Le grand problème de l?Europe, c?est que la notion d?intérêt général européen n?y existe pas vraiment. Il n?y a que la juxtaposition d?intérêt nationaux. En France, cela s?appelle le syndrome du village d?Astérix. Si la France, ou une partie de la France, craint d?avoir plus à perdre qu?à gagner à un accord transatlantique, c?est qu?elle devine bien que le libre échange profitera plus aux pays forts et compétitifs. Et que ce n?est pas le cas, loin s?en faut, de la France de 2013. Plutôt que d?accuser la commission de Bruxelles - qui s?est néanmoins parfois montrée bien trop naïve en matière de commerce (on en voit l?effet retour sur les panneaux solaires chinois?)-, ou bien l?impérialisme américain, chaque pays doit avoir le courage de balayer devant sa porte.

 

En matière de concurrence, force est de constater que la France cultive encore trop souvent les archaïsmes, retardant le moment, inévitable où la réalité s?impose. C?est cela, le bienfait du libre commerce, que d?accélérer les mutations nécessaires. Si pour cela, il faut supprimer quelques rentes, qui feront hurler quelques chiens de garde, ce n?est pas un prix si élevé à payer pour redonner de l?espoir aux millions de jeunes qui recherchent désespérément du travail. Et savent bien bien qu?il ne trouveront pas tous leur futur emploi dans l?agriculture, dans l?industrie métallurgique ou dans l?audiovisuel, mais bien plutôt dans la nouvelle i-conomie, de l?innovation et des services immatériels de demain.

 

Evitons donc les faux-semblants. Si la France profitera moins que le Royaume-Uni ou l?Allemagne, en terme de croissance et l?emploi, d?un présumé "boom transatlantique", elle en profitera un peu quand même : 122.000 emplois selon un récent rapport de la fondation Bertelsmann. Par les temps qui courent, à raison de 30.000 chômeurs supplémentaire en moyenne par mois, a-t-on les moyens d?en faire l?économie ? D?autant qu?il ne tient qu?à nous, par un effort accru de productivité et de recherche-développement, que d?espérer prendre une part encore plus grande au festin. Mais, pour cela, il faudra accepter de prendre des risques, c?est-à-dire, cesser d?avoir peur?

Retrouvez notre dossier sur le libre échange transatlantique dans La Tribune Hebdomadaire du 28 juin 2013 : "Qui a peur de l'oncle Sam".
 

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Commentaires 43
à écrit le 01/11/2013 à 0:13
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Libre échange : le syndrome du village d'Astérix reduce weight丨burning fat丨lose weight http://zxtweightt.myblog.de/zxtweightt/art/7061559/in-order-to-trim-down-and-keep-it-off

à écrit le 01/07/2013 à 19:48
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Le danger est aussi de perdre notre système d'autosuffisance agro-alimentaire.

à écrit le 30/06/2013 à 17:53
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je veux bien y croire mais comment porter un tel message quand on objecte le plus simplement que depuis 1973 date inaugurale de libéralisation qui s'est accentuée depuis que ce soit au niveau mondial ou européen, et bien la croissance NETTE DE l' END...

à écrit le 30/06/2013 à 1:50
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Encore une idée des élites qui pensent au grand groupe et a la finance Vous pouvez rêver encore un peu le peuple va tous envoyer promener et vous finirez a l echaffaut.

à écrit le 30/06/2013 à 1:48
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On nous déjà fait le coup avec l euro et l Europe souvenez vous les énarques étaient sur que le grand marche nous donnerait croissance et pleine emploi. Résultat 15 ans après plus d industrie plus que des dettes énormes et 9 millions de chômeurs ...

à écrit le 29/06/2013 à 18:55
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Libre-échange : l?entêtement A mesure que le monde s?enfonce dans la crise économique et financière, ses dirigeants semblent de plus en plus arc-boutés sur des certitudes d?un autre temps. La question de la régulation des échanges mondiaux traduit ...

le 30/06/2013 à 9:45
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Très bonne analyse Voilà pourquoi les français on vote non a Maastricht il sente bien que la word compagnie va nous appauvrir Quand on voit la naïveté des européens avec les chinois on se demande si ça vaut le coût de garder l Europe Les chi...

à écrit le 29/06/2013 à 18:42
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L?histoire du monde donne, en fait, une image négative du libre-échange. L?historien Paul Bairoch a montré que l?ouverture des frontières fonctionna toujours de manière dissymétrique. Les pays les plus avancés, comme l?Angleterre, imposèrent l?entré...

à écrit le 29/06/2013 à 17:07
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Amusant et faux. La France est le plus petit des très grands pays. Il faut croire que les français n'ont pas eu peur plus que les autres pour un tel résultat. La peur est de sage conseil le contraire se nomme un imbécile heureux... un peu comme ceux ...

à écrit le 29/06/2013 à 14:55
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C'est évident non? Les accords de libre échange sont des chevaux de Troie qui potentiellement peuvent permettre aux USA d'investir le marché et éventuellement de nous imposer des produits dont nous ne voulons pas. En 2001 la chine adhéré à l'OMC, 5...

le 29/06/2013 à 17:12
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Faux, @JM57, il faut se documenter un peu avant de réagir. Le premier importateur de vêtements en France est l'Italie et la fabrication française existe bel et bien y compris pour les tissus spéciaux, elle est même considérée comme la meilleure du mo...

à écrit le 29/06/2013 à 14:21
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Ca fait la 2ème fois que je poste sur cet article. L'auteur n'apprécie pas mes propos ? Pourtant, je n'insulte personne. Je dis que non, nous n'avons pas peur de la mondialisation, car c'est un phénomène naturel d'échange commercial qui est pratiqué ...

à écrit le 29/06/2013 à 12:51
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L'Europe est naïve sur les panneaux solaires chinois et sur le reste aussi. Mais est-ce bien de la naïveté quand on voit le poids des lobbys qui normalement n'ont rien à faire dans les couloirs de la commission? En Chine on doit faire un partenariat ...

le 29/06/2013 à 17:22
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Pour 2 raisons, @réel86, les partenariats chinois sont légitimes. La première est qu'ils sont recherchés pour pouvoir pénétrer ce marché qui n'est pas comme les notres, c'est une démarche volontaire de JV ainsi il en existe partout. Lorsqu'elle est i...

à écrit le 29/06/2013 à 12:05
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Non mais vous roulez pour qui, les journaleux ? Si le libre échange amenait la prospérité généralisée à long terme, ça se saurait, et il n'y aurait pas de "syndrome Astérix" ! Le principe de réalité sera toujours plus fort que la propagande de pseudo...

à écrit le 29/06/2013 à 10:34
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Ça signifierai la fin de l Europe plus aucun intérêt d avoir l Europe si on fait la word compagnie

à écrit le 29/06/2013 à 10:10
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Une question toute bête Mr Mabille: si ce traité ne doit pas nous faire peur, quelle raison peut donc justifier que lui, comme ses homologues, soit négocié en secret? Que devons nous comprendre de l'exemple américain, quand les parlementaires en char...

le 29/06/2013 à 17:27
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Je n'en suis pas d'accord mais les parlementaires, @simple citoyen, en ont voté les termes et la manière. Il seront saisis sur le résultat qu'il leur appartiendra d'amender... nous verrons alors les baudruches se dégonfler. Seul un changement politiq...

à écrit le 29/06/2013 à 9:54
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Il faut maitriser sa monaie et sortir de l'euro : AIRBUS l'a fait depuis longtemps : les contrats d'AIRBUS FRANCE vers ses fournisseurs français sont en $

à écrit le 29/06/2013 à 9:42
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jetons nous tous dans cet océan de subprimes régulé par feu maitres nageurs Maddoff et autres consorts puis voyons l'avenir de cette escroquerie en rose. Salut Bisounours

à écrit le 29/06/2013 à 9:17
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Personne ne peut être contre la mondialisation, à condition qu'elle soit équitable et bénéfique pour tous. Le libre échange ne doit pas être une "foire d'empoigne" où les plus forts pousseraient leurs avantages pour assujettir les plus faibles. La mo...

à écrit le 29/06/2013 à 9:08
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L'auteur a tout à fait raison : au lieu de craindre la mondialisation qui est un phénomène logique et inévitable, il vaut mieux plutôt prendre à bras le corps les problèmes de compétitivité de la France, pour revenir sur les devants de la scène en ma...

à écrit le 29/06/2013 à 8:28
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Il est assez rigolo de voir, parmi les sociétés citées dans cet article dont les cours figurent en marge, un certain titre "Sam", qui baisse de 0,03%. Serait-ce l'oncle Sam ?

à écrit le 29/06/2013 à 5:57
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Vous passez complètement à côté du sujet, au point de se demander si vous ne le faites sciemment. Les français on t peur parce qu'ils ne font pas confiance aux gens à qui on a donné un blanc seing pour négocier en leur nom. Cette même bureaucratie et...

le 29/06/2013 à 8:25
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Largement d'accord

le 29/06/2013 à 12:25
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OK mais il existe encore un instrument qui permet à la France de reprendre la main : le bulletin de vote de ses citoyens...car on n'a jamais donné de blanc seing à personne. Si le non l'avait emporté au référendum de Maastricht (il suffisait de 2%), ...

le 29/06/2013 à 23:47
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@ Théophile Bizarre que vous citiez le vote en faveur du référendum de Maastricht. Le vote contre la Constitution Européenne, devenu traité de Lisbonne, en 2005, vous avez oublié? Je peux vous garantir que cela ne sera JAMAIS oublié par ceux qui on ...

à écrit le 29/06/2013 à 5:32
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la notion de libre échange est une notion bien plus vaste que l'on tend à démontrer à travers des exemples bien limités de produits manufacturés. Le lien politique de structures sociales influe bien plus largement le devenir du libre échange.Doit-on ...

à écrit le 29/06/2013 à 2:12
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C'est kaskouye de ne pas pouvor zoomer sir un ipad sur la tribune

à écrit le 29/06/2013 à 1:46
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Oui on as peur, car à la différence des anglo-saxons, on as su garder une qualité de vie. W Bush disait que le mode de vie Américan était non négociable (tant pis pour le réchauffement climatique), et bien les Français affirment qu'il en vas de même ...

le 29/06/2013 à 11:52
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Et c'est sans doute pour cette raison que la France est le premier pays consommateur de Mc Do hors USA... Que le Bagel, starbucks, burger King font une arrivée en force dans notre pays. La France est un marché méga important pour les cigarettiers ric...

le 30/06/2013 à 0:10
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Belle tentative de TROLL

à écrit le 29/06/2013 à 0:54
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Si ils font leur sondage,ils ont peur de la mondialisation et le plus fameux Montebourg. En France, c'est la faute à l'Europe,l'Allemagne et la mondialisation. C'est jamais notre faute. Comment font des pays comme la Corée du Sud pour être si perform...

le 29/06/2013 à 12:06
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Justement, posez vous la question. Avez vous la moindre idée du rythme scolaire d'un enfant coréen de 10 ans ? Cours "classique" de 8h à 17h puis dès la sortie des cours direction les cours privés qui sont légions là bas. Les cours se passent en géné...

à écrit le 29/06/2013 à 0:27
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La peur est légitime, il est normal d'avoir peur quand on sait qu'on va se faire bouffer (ou plutot gaver de boeuf aux hormones...) la peur est une condition nécéssaire à la survie d'un être vivant, si l'on a pas peur alors on se jete dans le vide en...

à écrit le 28/06/2013 à 22:06
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le syndrome du village d'Astérix ... contre celui du collabo ..

à écrit le 28/06/2013 à 21:33
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La France n'a aucune raison d'avoir peur mais elle ne partage pas forcément non plus les mêmes intérêts que tous ses voisins européens. Elle doit donc pouvoir négocier librement des accords mondiaux avec ou sans ses voisins selon les cas.

à écrit le 28/06/2013 à 21:06
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A qui profite un marché ouvert avec les US ? Il faut demander aux Mexicains qui ont vu depuis la mise en place de l'ALENA dans le cadre du marché ouvert avec les US, la faillite de 2,5 millions de petits paysans, ruinés par les exportation agricole...

à écrit le 28/06/2013 à 21:06
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A qui profite un marché ouvert avec les US ? Il faut demander aux Mexicains qui ont vu depuis la mise en place de l'ALENA dans le cadre du marché ouvert avec les US, la faillite de 2,5 millions de petits paysans, ruinés par les exportation agricole...

à écrit le 28/06/2013 à 20:57
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Tout le monde ne partage pas le point de vue exprimé dans cet article: voir http://www.jennar.fr ! Comment ne pas penser non plus a J. Delor, en 1992 à propos du Traité. de Maastricht: "Signons le ! Ensuite, on pourra faire l'Europe sociale !" 2...

à écrit le 28/06/2013 à 20:34
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Manger du cheval, soit, en croyant que c'est du b?uf (mais ça reste comestible). Manger du b?uf aux hormones (celui qui donne le gros c... caractéristique des nords américains obèses qu'on ne voit quasiment pas en Europe), non merci d'autant qu'on tr...

le 01/07/2013 à 6:39
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bah ça éliminera un bon paquet , les consommateurs sont en surpopulation, le boeuf vous remerciera

à écrit le 28/06/2013 à 20:31
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L'expérience des problèmes que cause l'Europe et sa libre circulation ne peut que refroidir les "plus favorables" à l'abolition des frontières! Mais quel sont les échanges qui mérite de signer un traité avec les U.S. sans que l'on ait réglé les probl...

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