Cauchemar américain, rêve chinois et vice versa

Chassé-croisé sur la question de l'emploi et de l'innovation de part et d'autre du Pacifique, à l'occasion du Nouvel An chinois...
Philippe Mabille

« Dans la Silicon Valley, l'unité de mesure est passée du million au milliard de dollars. » Cette confidence à Davos de l'entrepreneur français du Web, Loïc Le Meur, traduit bien la folie spéculative qui saisit l'économie numérique américaine. Nest - thermostats intelligents, société créée en 2011 par Tony Fadell et Matt Rogers - vient d'être rachetée par Google pour 3 milliards de dollars... Dropbox (service de stockage en ligne fondé en 2007 par Drew Houston et Arash Ferdowsi), qui avait refusé 800 millions d'Apple, vient de lever 250 millions sur une valorisation de 10 milliards. Evan Spiegel (SnapChat, application qui permet d'envoyer des photos et vidéos éphémères) a refusé 3 milliards de Facebook ! Zuckerberg, justement, fête le dixième anniversaire du réseau social qui pèse 135 milliards, alors même qu'une étude, controversée de deux chercheurs de Princeton, prédit la fuite de 80 % de son milliard d'utilisateurs d'ici à 2017. Enfin, Twitter, créé le 21 mars 2006 par Jack Dorsey, flirte avec les 40 milliards de dollars, deux mois après son entrée en Bourse...

Présent à Davos, Eric Schmidt, le patron de Google (le géant fondé par Larry Page et Sergueï Brin, qui sera peut-être la première entreprise américaine à dépasser les 1000 milliards de capitalisation pour près de 400 actuellement), estime que le monde actuel se résume à « une course de vitesse entre l'homme et l'ordinateur ». Et « il faut absolument que ce soit l'homme qui gagne ». Sinon, prévient-il, on fabriquera une société de classes, laissant sur le bord du chemin ceux qui n'auront pas les qualifications nécessaires pour survivre dans cette nouvelle civilisation. Un monde de mini-jobs et d'emplois déqualifiés et mal payés.

On le voit, la mondialisation entre dans une phase nouvelle, avec la robotisation et les nouvelles technologies. Quelle place aura le travail ? Voilà la question. Le débat ne porte pas seulement sur la quantité, mais sur la qualité des emplois du futur. Bonne nouvelle, ce creusement des inégalités, qui appauvrit les classes moyennes, inquiète enfin les dirigeants politiques et économiques. À Davos, le patron de Google a appelé à une relance par la hausse des salaires des ouvriers et des employés ! Appel entendu par Barack Obama qui veut augmenter de 40 % le salaire minimum des contractuels de l'État fédéral, et conjure le Congrès d'étendre cette mesure à tous les employés. Coïncidence ? Certainement pas. Les élites se rendent compte que la course effrénée à la compétitivité ne marche plus. Et le monde redevient un peu plus keynésien, afin d'empêcher que le capitalisme n'implose par embolie.

En Chine aussi, la question de l'emploi est au coeur de la transition en cours. Obligé d'augmenter les salaires de 10 % par an, l'empire du Milieu est condamné à produire un effort massif de qualification de sa population et de soutenir l'innovation. L'enjeu : passer d'une stratégie low cost d'atelier du monde à une économie high-tech. En Chine aussi, les robots font leur apparition et la grande peur est celle d'un chômage de masse à l'occidentale. Menacé par sa finance de l'ombre, le pays s'engage dans cette « nouvelle voie » à la chinoise : de façon ferme et déterminée. Un tournant aussi crucial que celui de Deng XiaoPing à la fin des années 1970 est à l'oeuvre. Dans l'intervalle, le risque est que la Chine soit à la source de la prochaine crise mondiale. Mais, si le président Xi Jinping parvient à l'éviter, la Chine des années 2020, celle des ingénieurs et des financiers, pourrait bien devenir pour les entreprises occidentales un redoutable compétiteur dans tous leurs domaines d'excellence, de l'aéronautique à l'automobile en passant par les télécoms et l'Internet. Dans un couloir de Davos, cette inscription de Lao Tseu - « Un voyage de 1000 kilomètres commence par un premier pas » - en est le présage.

Philippe Mabille

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Commentaires 2
à écrit le 02/02/2014 à 11:21
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On est exactement comme dans la folie Messier de l'ère internet, dès qu'il se dit qu'un truc est intéressant et a de l'avenir, il achète cash à grand frais par peur de se le voir piqué. Mais il y a aussi du bon dans cette folie, c'est que cela rédui...

le 02/02/2014 à 12:23
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Analyse intéressante. Sauf que cette économie numérique basée sur la pub et non sur la production réelle peut très bien s'écrouler. L'Europe convalescente résisterait-elle à une crise de plus ? Sans ça elle a déjà dû mal à se dépatouiller des crises ...

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