L'Afrique verte, de nénuphar en nénuphar...

Alors que la COP22 se tient à Marrakech dans une ambiance refroidie par le climato-scepticisme de Donald Trump, les regards se tournent vers l'Afrique et le potentiel de croissance verte du continent.
Philippe Mabille
Pour bien mesurer les enjeux de la COP22, ouverte depuis le 7 novembre à Marrakech, il suffit de regarder une photo satellite de l'Afrique, de nuit.

Pour bien mesurer les enjeux de la COP22, ouverte depuis le 7 novembre à Marrakech, il suffit de regarder une photo satellite de l'Afrique, de nuit. Ce qui saute aux yeux, c'est bien sûr le contraste entre l'Europe lumineuse et le continent, noir, au sens littéral, c'est-à-dire sans lumière, faute d'électricité. Et surtout, en Afrique même, l'impression de vide en son centre, les principaux points lumineux étant concentrés sur les côtes. Vide, l'Afrique ne l'est bien évidemment pas. Bien au contraire, elle connaît une explosion démographique qui va faire doubler sa population, pour atteindre les 2,4 milliards dès le milieu du siècle, et 4,2 milliards en 2100. Mais, et c'est bien le défi qui l'attend, cette vue du ciel préfigure ce qui va se produire au cours des trente prochaines années : un mouvement de migration massif vers les grands centres urbains et vers les ports, là où seront les activités économiques et les emplois.

D'ici à 2045, il y aura 1 milliard d'Africains dans les grandes métropoles du continent, plus qu'en Chine. Les besoins en infrastructures engendrés par cette urbanisation galopante sont immenses : électricité, mais aussi traitement des eaux et des déchets, aéroports, routes, tout reste à faire. Pour nourrir sa population, l'Afrique devra aussi moderniser son agriculture, car les terres arables seront moins nombreuses et les zones en stress hydrique beaucoup plus. Ces phénomènes accéléreront les migrations : à l'intérieur du continent, vers les villes côtières, même si beaucoup risquent d'être inondées en cas de montée des océans - voire à l'extérieur du continent : vers l'Europe ou ailleurs.

La 22e COP sera celle des pays émergents

L'Afrique, qui accueille la COP22 sur le climat, est un concentré de tous les enjeux abordés par les accords de Paris. Comme nous le déclare Hakima El Haite, la ministre marocaine de l'Environnement, ce devra être la COP de l'action, pour passer à la mise en œuvre des engagements de Paris. Si la COP21 a surtout été un accord mondial, confirmé par la ratification cet automne par une majorité des signataires, la COP22 sera celle des pays émergents, et en particulier de l'Afrique. Il faudra dire comment accélérer la transition énergétique dans les pays les moins développés. On le sait bien, l'objectif de limiter le réchauffement à moins de 2°C ne sera qu'un vœu pieux si on n'aide pas les pays en plein décollage à développer les énergies renouvelables. Sinon, comment les dissuader de brûler du charbon, comme nous l'avons fait pendant nos révolutions industrielles ? Le Maroc fait d'ailleurs figure de pionnier dans ce domaine, notamment dans l'énergie solaire.

La question du financement sera donc au cœur de la conférence de Marrakech avec, outre les fameux 100 milliards de dollars d'investissements verts, la question centrale de la finance climat. Un « Climate Finance Day » se tiendra d'ailleurs en marge de la COP22, afin d'inciter les investisseurs à amplifier leurs efforts pour « verdir » leurs portefeuilles. La croissance verte permettra à l'Afrique de donner de nouveaux emplois à sa jeunesse et de confirmer son rattrapage économique accéléré par les nouvelles technologies, le fameux « saut de grenouille », le « leapfrogging », selon l'expression à la mode inventée en 1983 dans un article cosigné par quatre économistes de renom (Fudenberg, Gilbert, Stiglitz et Tirole, notre récent Prix Nobel).

Selon cette théorie, inspirée des thèses de Schumpeter, à l'époque appliquée aux entreprises, il est possible pour un nouvel entrant de rattraper, voire de dépasser un acteur établi grâce à l'innovation. Appliqué à l'Afrique, le concept du saut de grenouille - voir notre cahier LA TRIBUNE AFRIQUE (*) - permet d'imaginer qu'en accédant d'un seul coup à la 4G et à l'Internet mobile, les Africains vont franchir en une seule fois plusieurs étapes de développement.

Cela saute en effet aux yeux dans de nombreux domaines : le téléphone mobile, qui permet de compenser l'absence d'infrastructures télécoms fixes et dynamise les échanges et l'entrepreneuriat. De même, les technologies de la ville intelligente (smart city) peuvent accélérer le développement urbain, alors que le rythme des infrastructures ne pourra jamais suivre celui de la démographie. Toutes ces innovations reposent sur un élément décisif, celui qui fait le plus défaut, l'électricité. Heureusement, c'est un sujet qui peut être résolu en quelques années, par l'innovation, parce que l'Afrique dispose d'une ressource inépuisable, le soleil.

Ne rêvons pas, tout cela prendra sans doute plus de temps qu'on ne l'imagine. Pourtant, une chose est sûre : l'innovation va permettre l'émergence d'une classe moyenne africaine nombreuse et solvable, dont la consommation enclenchera enfin un cercle vertueux de croissance, moins dépendant des matières premières, ce qui permettra d'autofinancer les investissements, et ainsi de suite... la grenouille sautera de nénuphar en nénuphar...

Par Philippe Mabille, directeur de la rédaction

@phmabille

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(*) A lire dans LA TRIBUNE n°188 (10-16.11.2016) consacrée à "L'Afrique, à l'aube de la croissance verte" avec un supplément LA TRIBUNE AFRIQUE intitulé : "Leapfrog, les raison d'y croire" (version papier en kiosque et numérique sur notre site)

Leapfrog, La Tribune Afrique,

Philippe Mabille

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Commentaire 1
à écrit le 19/11/2016 à 7:43
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L'Afrique a besoin d'énergie. C'est à ce niveau que le problème se pose. Mais personne n'en parle.

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