L'Amérique de la colère

L'élection de Donald Trump est le symptôme d'une crise existentielle de l'Amérique contemporaine, divisée par les effets de la mondialisation et la révolte contre les élites.
Philippe Mabille

Jamais lors d'une élection présidentielle américaine, deux candidats ont fait l'objet d'une telle détestation, pour ne pas dire d'une telle haine, de la part du camp adverse. Entre Donald Trump, le candidat anti-establishment, des laissés-pour-compte et de la colère contre les élites, et Hillary Rodham Clinton, la femme de Bill, secrétaire d'État de Barack Obama, il y a beaucoup plus qu'une opposition de styles et de programmes.

Avec la victoire surprise de Donald Trump à l'élection présidentielle du 8 novembre, c'est bien dans une crise existentielle que rentre l'Amérique, ouvrant une grande période d'incertitude, entre tentation du repli sur soi et volonté d'ouverture au monde. L'Amérique de 2016, comme la France de 2017, est à l'heure des choix, de ceux qui modèleront le destin de ses vingt prochaines années.

On dit souvent que l'économie fait l'élection. Cela n'a pas été le cas, cette fois. Pourtant, les deux mandats de Barack Obama ont été plutôt positifs. Huit ans après la crise financière la plus grave depuis les années trente, qui a jeté à la rue des millions de propriétaires, les États-Unis sont presque au plein-emploi, en apparence au moins, et la Réserve fédérale, dirigée par une femme (déjà), Janet Yellen, ne se demande pas si, mais quand, elle devra resserrer sa politique monétaire, la plus accommodante jamais connue. La Silicon Valley domine le monde par des technologies que l'on n'imaginait pas - sinon dans les films de science-fiction - connaître de notre vivant. Et Wall Street va mieux que bien avec des indices boursiers frôlant leurs records historiques. Pour cette Amérique-là, c'est comme si la crise des subprimes avait été effacée.

Mais il y a une autre Amérique, celle des « petits blancs » des classes moyennes en colère qui craignent le déclassement, le leur et celui d'un pays qui ne les fait plus rêver. Avec son slogan Make America great again, Donald Trump leur parle autrement de tout ce qui les inquiète : immigration, terrorisme, emploi. Avec 48,1 % des voix récoltées à l'échelle nationale, contre 47,2 % pour Hillary Clinton, une majorité d'Américains a voté pour lui, sans tenir aucun compte des outrances qui ont marqué sa campagne.

Comme un goût de Brexit

L'expérience du Brexit nous avait prévenu : le « pire » est toujours sous-estimé dans tous les sondages d'opinion. Il faut dire que la victoire annoncée d'Hillary Clinton ne reposait en rien sur un vote d'adhésion massif, mais plutôt sur le rejet suscité par son adversaire. La candidate démocrate, dont l'état de santé interroge, a aussi sa part d'ombre : on l'a accusée de pratiquer le mélange des genres entre affaires publiques et privées. Sous la pression du mouvement « Our revolution » de Bernie Sanders, elle a d'ailleurs sérieusement « gauchi » son programme en promettant d'aller plus loin sur l'Obamacare et de taxer plus les revenus supérieurs à 1 million de dollars par an, à « au moins 30 % » - on est loin des 75 % du candidat Hollande, en 2012 !  -, mais cela n'a pas suffit.

Personne ne sait très bien dire à quoi ressemblera une présidence Trump dont les thématiques identitaires et protectionnistes font froid dans le dos. À coup sûr, l'Amérique deviendrait plus isolationniste sur le commerce et moins interventionniste sur la politique étrangère. Sur l'économie, il a dans sa première allocution de président élu eu des accents "rooseveltiens", appelant à une relance des grands travaux d'infrastructures comme les routes et autoroutes en très mauvais état et promis qu'il aurait avec les autres pays du monde une volonté de dialogue pacifique et de coopération.

Mais c'est surtout sur le plan interne qu'il est attendu dans un pays divisé par une campagne violente qui a montré deux Amériques difficiles à réconcilier, au point que certains Etats envisagent de faire sécession et que nombreux électeurs démocrates disent vouloir émigrer, au Canada, notamment. Donald Trump a tenté de les rassurer en promettant d'être le président de tous les Américains, mais il aura fort à faire pour lever la défiance suscité par le ton donné par sa campagne.

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>> DOSSIER SPECIAL ELECTION ETATS-UNIS

Pour l'élection du 45e président des États-Unis, La Tribune est retournée, soixante ans après Jack Kerouac, « sur la route » pour essayer de comprendre l'Amérique d'aujourd'hui et de demain. En dix étapes, partant de Boston, nous nous sommes arrêtés à Détroit, Chicago, Seattle, Sacramento, Denver, Dallas, Miami, Washington et New York. Dans les plus grandes métropoles de ce pays de 320 millions d'habitants, nous avons cherché à identifier les causes profondes du malaise de la démocratie américaine, qui se traduit par un affrontement politique inédit et inquiétant.

Philippe Mabille

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Commentaires 2
à écrit le 09/11/2016 à 12:14
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Dois-je dire roule ma poule ou rouletabille Mabille ? « tentation du repli sur soi » ou « marre des politiques incompétents » ? « les deux mandats de Barack Obama ont été plutôt positifs ». Ah bon ? Hormis le mariage gay (comme Hollande d’ailleurs), ...

à écrit le 09/11/2016 à 8:14
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On sait ce qu'il va se passer si M.Hollande te M.Sarkosy insistent pour se représenter..

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