Pourquoi la fragilité n’est plus une fatalité

Rupture(s). « La fragilité n’est plus une fatalité », c'est cette formule lumineuse que choisit le diplomate et intellectuel sénégalais Abdoul Azize Mbaye pour qualifier la stratégie de riposte au virus de l’Afrique lors de son intervention au Digital Forum organisé par le groupe La Tribune mardi 30 Juin. Cependant, au-delà du raccourci, certes saisissant, la notion de fin des fatalités s’applique à un champ de sujets éminemment plus large que la réponse sanitaire au Coronavirus. En quelque sorte, les faiblesses d’hier peuvent devenir les forces de demain. Voilà pourquoi.
Abdelmalek Alaoui, Editorialiste
Abdelmalek Alaoui, Editorialiste (Crédits : Guepard/LTA)

Comme une chambre noire, la pandémie a révélé au monde la photographie d'une humanité « assoupie au bord d'un volcan », n'apportant depuis l'orée du nouveau siècle que des réponses conjoncturelles à des problèmes structurels. Que ce soit pour la question climatique, l'avenir du travail, les disparités sociales ou encore le sort de la technologie, le coronavirus nous contraint collectivement à changer de logiciel, et de cesser de lui apporter des mises à jour incrémentales qui ne font que retarder la fameuse « guerre civile mondiale » que beaucoup craignent depuis vingt ans.

L'accord de Paris « caduc » ?

Sur la question du climat, le virage extrêmement volontariste - du moins dans le discours- entrepris par l'Europe démontre que l'accord de Paris, qualifié en son temps d'« historique », était en réalité un cache-sexe. Insuffisamment ambitieux et peu contraignant, il n'aura suffi finalement qu'à nous donner collectivement un semblant de bonne conscience en ne traitant pas la question fondamentale du modèle économique à poursuivre et de la transformation des sources d'énergie. Poids des lobbies des industries extractives, craintes de casser la machine productive, ou encore incertitudes scientifiques ont contribué à un accord désormais perçu « à minima » là où certains s'extasiaient encore il ya quelques mois. Les cris d'orfraie lors du désengagement américain de l'accord n'en semblent que plus dérisoires, car en réalité, les américains se désengageaient de presque rien. L'illustration la plus emblématique des limites de la COP21 est le niveau d'émission des gaz à effet de serre durant les 3 mois de confinement de la planète. Bien que réduit de manière drastique du fait du quasi arrêt de la production industrielle et du trafic aérien, celui-ci s'est situé au même niveau que... 2006 . Est-ce pour autant que l'accord de Paris est « caduc » ? La majorité d'experts semblent le penser, appelant à une accélération très importante des investissements écologiques, ce qui implique en parallèle d'imaginer la reconversion des majors pétrolières et des pays dépendants de l'or noir. Sur le plan géopolitique, cela signifierait également un basculement des forces au Moyen-Orient, l'Arabie Saoudite ne pouvant plus se prévaloir de son rôle central d'arbitre des élégances et de fer de lance du « containment » des ambitions expansionnistes iraniennes. En Afrique centrale mais également du nord - Algérie et Libye notamment- l'on pourrait assister à l'effondrement de pays dont l'exportation des hydrocarbures constitue parfois plus de 80% du PIB. En Russie enfin, alors que le Président Poutine vient d'effectuer une réforme constitutionnelle qui pourrait dans les faits le voir tenir les rênes du Kremlin à vie, une situation similaire est à craindre, sauf que Moscou pourrait être tentée par une stratégie de déportation de la tension sur ses voisins, ce qui entraînerait l'ensemble de la région vers l'instabilité. Il s'agit donc pour les pays riches de partager leur formidable accès au capital pour permettre à tous les pays concernés par la dépendance au pétrole de diversifier rapidement leur économie et d'investir tout autant dans le renouvelable.

Les nouveaux « galériens de la mondialisation »

Sur le plan sociétal, bien que souvent caricaturaux, les réseaux sociaux offrent parfois des raccourcis intéressants pour qualifier la situation que nous venons de traverser. Ainsi, un message viral qui a circulé ces dernières semaines offrait le résumé suivant, avec quelques variantes selon les pays : « Durant cette période, les consommateurs surendettés ont cessé d'acheter des choses dont ils n'avaient pas besoin et les travailleurs les plus pauvres sont devenus les plus essentiels ». Les principaux indicateurs de consommation le confirment : même avec force promotion et publicité, le consommateur n'empruntera plus les chemins de la consommation frénétique, que ce soit en biens et services. Un mouvement de fond tendant vers plus de frugalité sera immanquablement constaté dans les mois et années à venir. De l'autre côté, il sera de plus en plus difficile d'ignorer que le livreur indépendant à vélo ou le chauffeur Uber n'a pas de couverture sociale. En cas de résurgence du virus, ou de survenance d'autres épidémies, ces nouveaux « galériens de la mondialisation » devront à nouveau aller au front pour nous permettre de nous alimenter ou de communiquer. Si une rupture de la chaîne de valeur s'opérait à leur niveau, celui du dernier maillon, nous serions tous paralysés.

Ceci signifie en outre que des industries qui jusqu'alors basaient leur modèle sur la surconsommation de masse, à l'instar des champions de la « Fast Fashion », devront réinventer leur manière de faire. Le géant espagnol Zara semble être l'un des premiers à l'avoir compris, en annonçant fermer près de 1200 magasins physiques pour se focaliser sur les ventes digitales.

Mais tout ceci aura un prix social. Avec la baisse de la consommation, des entreprises devront fermer et des employés seront licenciés, entraînant à nouveau une baisse de la consommation. En bref, le monde du salariat tel que nous l'avons connu devra non pas évoluer, mais se transformer complètement.

Maîtres de notre destin ?

Reste la question fondamentale de la place de la technologie dans cette évolution de nos fragilités. Le monde semble être scindé en deux communautés à cet égard. Il y a tout d'abord les « techs-optimistes », ceux qui pensent que tous les maux de la planète, allant d'un ongle cassé à la réduction de la famine, peuvent être résolus par une application. De l'autre côté, les partisans d'un retour à la frugalité et à la « décroissance » estiment au contraire que le trop-plein technologique a modifié l'essence même de ce qui constitue les sociétés humaines en brisant le lien social et en le remplaçant par la dictature de l'apparence. Les deux communautés ont probablement raison. Mais aucune ne raconte l'histoire en entier. La crise de sens engendrée par le confinement va accélérer la quête de sens qui en découle. En ce domaine, la technologie peut être précieuse pour organiser le télétravail ou devenir une source de revenus complémentaires pour des masses dopées au salaire mensuel. Pour trouver la paix intérieure, elle ne servira à presque rien. D'où l'importance de se rappeler que la fragilité n'est plus une fatalité et que nous sommes maîtres de notre destin.

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Commentaires 6
à écrit le 07/07/2020 à 14:58
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Combien de % de personnes dans le monde acceptent de faire ses achats en ligne ? En 2001 36% des FR possédaient un ordinateur chez eux , L’évolution sera plus longue ! La prochaine guerre : Sera le choix «  des valeurs aux seins des sociétés ...

à écrit le 06/07/2020 à 21:40
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Un texte philosophique sur un site économique, c'est bien.

à écrit le 06/07/2020 à 11:26
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La seule chose à comprendre, à propos du climat, c'est qu'il n'y a pas de solution, ni du point de vue technologique, ni du point de la décroissance. Toute ces gesticulations ne servent à rien, sinon à occuper des gens bien payés. Avec 7,5 milliards ...

le 06/07/2020 à 17:28
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Non Max, pas trop tard. Il faut juste l'admettre et prendre les mesures pour faire face, dont les effets ne prendraient que quelques décennies. Mais çà, personne ne veut le faire, et surtout pas nos "dirigeant" qui nous envoeint au mur

à écrit le 06/07/2020 à 11:08
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Fragilité que vous illustrez parfaitement avec votre nouvelle photo de présentation ici-même, depuis quelques mois, exposant un A.A. sensible, qui doute tandis que votre image d'avant montrait un personnage puissant, intelligent et déterminé que tout...

le 06/07/2020 à 17:30
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Pour la fin, oui, c'est bien çà...Tous sur le même radeau en perdition pour quelques ultra friqués qui ne voient pas plus loin que leur tas d'or

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