Souveraineté en matière de défense : choisir ou se soumettre (9a/10)

Dans le but de permettre à la base industrielle et technologique de défense de contribuer à la sortie de crise et aux plans de relance français et européen, le groupe de réflexions Mars* souhaite partager, dans une série de tribunes, les réflexions qu'il mène notamment autour des sujets de la souveraineté et de l'autonomie, du sens donné à l'Europe de la défense et la place réservée à la défense dans un "plan Marshall" européen, des enjeux macroéconomiques et des enjeux industriels et d'innovation dans la défense. L'objectif du groupe de réflexions Mars est de trouver des solutions pour sécuriser les budgets de défense à court et à moyen terme.
L'émergence de technologies de rupture telles que l'impression 3D, les biotechnologies de synthèse, les technologies du numérique (de l'internet des objets à la gestion du big data et à la 5G), la course mondiale au quantique (Qbit), le développement de l'intelligence artificielle ou la « démocratisation » des technologies spatiales (accès privé, constellation, moteurs ioniques...) sont autant de défis qui pèsent sur la préservation de la souveraineté nationale (Le groupe de réflexions Mars).
"L'émergence de technologies de rupture telles que l'impression 3D, les biotechnologies de synthèse, les technologies du numérique (de l'internet des objets à la gestion du big data et à la 5G), la course mondiale au quantique (Qbit), le développement de l'intelligence artificielle ou la « démocratisation » des technologies spatiales (accès privé, constellation, moteurs ioniques...) sont autant de défis qui pèsent sur la préservation de la souveraineté nationale" (Le groupe de réflexions Mars). (Crédits : Pixabay)

"La défense ! C'est la première raison d'être de l'État. Il n'y peut manquer sans se détruire lui-même". Charles de Gaulle deuxième discours de Bayeux, 1952.

Sommes-nous en déréliction ? La pandémie mondiale n'est pas encore éteinte, la crise économique à venir n'a pas encore précisé sa magnitude et pourtant, déjà, les acteurs de la société civile de tous bords annoncent l'avènement d'un "monde d'après" reposant, selon les uns sur un souverainisme ignorant les réalités du monde, pour d'autres sur un grand green-washing et un "retour à la terre", qui tient tout du marketing. Et enfin, pour certains il y a sans doute la lubie du réveil d'un peuple fanatisé contre nos institutions démocratiques.

Le monde de demain ne serait, à bien les écouter, rien de plus que le retour des espoirs déçus du passé et des idéologies balayées par le cours de l'Histoire. Dans la fin du monde westphalien, des congrès, des traités et des conférences, ne pas mettre sac à terre !

550 millions d'Européens défendus par 330 millions d'Américains

S'il est impossible de dessiner avec exactitude le monde de demain, il existe des dynamiques que la pandémie mondiale n'aura pas su infléchir. Les stratégies des grandes puissances continueront à se déployer, la compétition mondiale s'accroitra autour des États continents (États-Unis, Chine, Russie) au détriment des États-nations. Si le rapport de force entre Washington et Pékin peut s'intensifier et structurer un nouvel ordre bipolaire, la Russie restera fondamentalement la principale menace militaire pour l'Europe. Europe où plus de 550 millions d'Européens, refusant de prendre leur destin stratégique en main, continueront à solliciter la protection de 330 millions d'Américains afin d'être protégés de 150 millions de Russes (sic).

Dans ce contexte, les attributs de la puissance prévaudront durablement. La préservation de la souveraineté nationale en matière de défense restera la norme, conformément à la ligne directrice de l'action publique française depuis 1956, afin de doter l'État des moyens nécessaires à son action et de faire face aux nouveaux enjeux. En France, le monde de demain passera - comme celui d'hier - par la conduite d'une politique d'autonomie stratégique raisonnée afin de répondre à une exigence majeure : la préservation de la souveraineté nationale en matière de défense. Notre crédibilité et notre survie passent par le respect des fondements de la souveraineté nationale

Souveraineté nationale + autonomie stratégique

La traduction concrète de la compréhension française de la souveraineté repose, d'une part sur les cinq fonctions stratégiques mises en œuvre par nos forces et rappelées dans la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale publiée en 2017 : connaissance, anticipation, dissuasion, surveillance et protection du territoire national. Pour être réalisée, la souveraineté nationale repose sur quatre grandes orientations : la garantie de nos approvisionnements stratégiques, notre liberté d'action dans les espaces communs, la préservation de notre souveraineté dans l'espace numérique et une politique dynamique d'innovation.

Corollaire incontournable de la souveraineté nationale, l'autonomie stratégique repose sur un lien indéfectible entre un haut degré d'autonomie industrielle et technologique et les moyens garantissant une autonomie opérationnelle. Cela implique de développer un écosystème souverain et résilient : la base industrielle et technologique de défense (BITD) dont l'objectif est de garantir l'approvisionnement des armées en systèmes d'armes critiques et leur maintien en condition opérationnelle.

Le droit, nouvel outil de confrontation

Face à un entre-deux stratégique, de guerres ambigües et d'ouverture du champ de toutes les conflictualités, comment ne pas subir, comment réduire l'incertitude ? L'analyse des stratégies des États, en évolution permanente, a toujours été partielle, partiale, incertaine et d'une durée de validité limitée. Au cours des dernières décennies, nous pouvons constater une transformation régulière des formes de la conflictualité. S'il est devenu courant de voir de grandes puissances se cacher derrière des proxies pour conduire des actions variées, la décennie qui s'achève a confirmé que la dialectique de la conflictualité s'est étendue à des domaines particuliers (cyber, désinformation, opérations psychologiques, etc.).

Il serait surprenant que la décennie qui s'ouvre ne voie pas la mise en œuvre de nouveaux outils de confrontation et, le premier d'entre eux : le droit. Nous avons su peser le poids des sanctions internationales et l'impact de l'extraterritorialité du droit américain sur nos entreprises ; le développement d'une politique similaire par la Chine placera les entreprises européennes au cœur d'une tempête qui pourrait modifier la donne stratégique. Les tensions entre Washington et Pékin sur l'accès aux semi-conducteurs de Taiwan SemiconductorManufacturingCompany (embargo contre les technologies Huawei) et sur l'accès aux terres rares ne sont qu'un signal précurseur de cette nouvelle donne stratégique.

Recherche de la supériorité de l'information

La construction et l'adaptation permanentes des stratégies imposent de réduire l'incertitude. La réduction de l'incertitude passe par la recherche de la supériorité de l'information ; celle-ci doit permettre une réaction rapide à la survenance d'un événement. Si l'émergence des systèmes technologiques de type C4ISR a apporté des résultats substantiels sur les théâtres, il manque une capacité similaire au plan stratégique afin de percevoir et de classifier les différents signaux faibles (intensification des opérations cyber, de l'activité électromagnétique, de la surveillance spatiale, des opérations psychologiques, actions économiques ou financières, etc.).

La préservation de la souveraineté nationale passe donc par un renforcement sensible des capacités françaises et par l'élargissement des prérogatives des ministères intéressés en matière de recueil d'informations et de fusion des renseignements. A ce titre, il manque aujourd'hui une structure interministérielle, hors silo, multiculturelle en charge de l'analyse multi-domaines et de la fusion des données issues du renseignement mais également d'autres sources ouvertes et restreintes.

Dissuasion : consentir des investissements majeurs

"Il faut d'abord savoir ce que l'on veut, il faut ensuite avoir le courage de le dire, il faut ensuite l'énergie de le faire", Georges Clémenceau. S'il est une lapalissade de présenter la dissuasion nucléaire comme la pointe de diamant de la souveraineté nationale, il est fondamental de souligner le risque de remise en cause de l'efficience de la dissuasion face aux investissements majeurs consentis par nos compétiteurs stratégiques dans les domaines de l'hyper vélocité, des armes à énergie dirigée, de la guerre électronique et des moyens de déni d'accès et d'interdictions de zone (A2/AD).

La préservation de la souveraineté nationale passe donc par des efforts financiers importants et réguliers de la Nation afin de garantir l'effectivité de la dissuasion. Au-delà, la préservation de la supériorité des armées françaises impose de répondre à la compétition stratégique en permettant aux forces d'exercer une prévention et une action conventionnelle crédible et, si nécessaire, de répondre à des menaces symétriques de haute intensité.

Investir dans les potentielles ruptures technologiques

Pour faire face à ces besoins croissants, la BITD française, soutenue activement par la Direction générale de l'armement (DGA), œuvre au renforcement des capacités industrielles nationales. Outre sa nécessité stratégique, le choix d'investir dans la défense repose sur une cohérence de l'action publique en faveur d'emplois non délocalisables à forte valeur ajoutée pour les entreprises et pour l'économie française. L'an dernier, le 18 avril, dans l'émission l'invité de l'économie sur Radio classique en réponse à la question sur la réinjection du budget des armées dans l'économie française, la ministre des Armées confirmait un coefficient structurant pour notre souveraineté : "un euro investi dans les industries de défense, c'est, in fine, au bout de dix ans, 2 euros de croissance économique, et donc du PIB".

Pour autant, l'émergence de technologies de rupture telles que l'impression 3D, les biotechnologies de synthèse, les technologies du numérique (de l'internet des objets à la gestion du big data et à la 5G), la course mondiale au quantique (Qbit), le développement de l'intelligence artificielle ou la « démocratisation » des technologies spatiales (accès privé, constellation, moteurs ioniques...) sont autant de défis qui pèsent sur la préservation de la souveraineté nationale. Nul ne sait si l'une de ces technologies conduira à une rupture stratégique, face à cette incertitude, il convient d'investir ces différents champs pour ne pas manquer les prochains virages technologiques (à l'image de nos échecs retentissants sur l'émergence de l'internet et la robotique).

Pour une France moins naïve, l'heure des choix est arrivée ; la relance en est le catalyseur. Pour la France, comme pour tous les États européens, la multiplicité des domaines imposant des investissements (matériels et humains, attractivité des métiers industriels et formation professionnelle) pour se maintenir à la frontière technologique impose une stratégie de dépendances rationalisées afin de préserver la souveraineté nationale. C'est une stratégie commune d'autonomie industrielle et économique.

"Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité", Victor Hugo.

(A suivre, les enjeux de souveraineté en Europe).

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* Le groupe Mars, constitué d'une trentaine de personnalités françaises issues d'horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l'industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

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Retrouver les neuf premières tribunes du groupe de réflexions Mars :

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Cinq propositions pour l'Europe de la défense

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Commentaires 7
à écrit le 28/05/2020 à 21:10
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Encore cet intox contre la Russie. Sans la Russie nous aurions un etat Daech en Damascus - et c'etaient les Etats Unis qui ont cree et finance ces fous. Ces eux qui ont cree le jihadisme dans les annees 70 pour provoquer l'Union Sovietique d'envahir ...

à écrit le 28/05/2020 à 17:31
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Concernant la France, c'est déjà décidé : se soumettre. Ce n'est pas encore complètement abouti (notamment parce que nous sommes un ancien empire), ce n'est pas l'image ni le discours qu'on nous vend, et pourtant, les Allemands (ceux la même qui ve...

à écrit le 28/05/2020 à 15:37
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Miser sur une intervention américaine pour sauver des pays à l'est, comme la Pologne par exemple me semble un pari pour le moins hasardeux. L' Europe le ferait elle aussi ? Rien n'est moins sûr. La certitude est que les Américains ne se déplaceront ...

à écrit le 28/05/2020 à 12:01
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On commence avec 550 millions d europeens (d ou sort ce chiffre d ailleurs, l UE, c est environ 440 millions) et on finit avec les 67 millions de francais. et oui, contrairement a la russie ou aux USa, l UE n ets pas un etat. Il n y a pas de presiden...

à écrit le 28/05/2020 à 11:10
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Ce texte, fort pertinent, repose néanmoins sur un a priori, ou sur une vieille habitude : la Défense de la Nation repose sur des investissements technologiques. Sauf que la France, malgré sa haute considération d'elle même, reste petite face aux Etat...

à écrit le 28/05/2020 à 9:47
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Seul un pays souverain peut avoir une défense souveraine, tout le reste n'est que "bouillon de culture" qui ne mène qu'a des dissensions et discussions en n'en plus finir!

à écrit le 28/05/2020 à 9:31
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Vous avez vu nos hurluberlus ? Vous pensez franchement que même s'ils le voulaient ils seraient en mesure, en capacité, de prendre une quelconque décision ? Ils sont paramétrés à se soumettre et soigner les apparences et c'est tout.

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