La menace islamiste diluée dans le jeu démocratique

Après la Libye, la Tunisie et le Maroc, voilà que l'Égypte connaît une poussée des mouvements islamistes, en particulier des mouvements radicaux. Alors que les chancelleries occidentales s'inquiètent, l'analyse des forces en présence plaide pour un long processus démocratique.
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La dictature ou l'islamisme : les dictateurs déchus, qui agitaient l'épouvantail islamiste pour se maintenir au pouvoir, auraient-ils donc eu raison ? Après la proclamation, en Libye, que l'islam serait la première source d'inspiration de la Constitution, la victoire en Tunisie du parti Ennahda, pourtant absent des révolutions de janvier, et celle du Parti de la justice et du développement (PJD) au Maroc, d'un islamisme lui aussi modéré, voilà qu'une nouvelle secousse est venue réveiller les capitales occidentales : en Egypte, trois partis salafistes, se réclamant d'un islam intransigeant sur l'application de la charia et qui sont issus de la "Gamaa Islamiya" connue pour ses actions violentes, viennent de remporter 24% des voix au premier tour des législatives, derrière les 36% des Frères musulmans. Si la victoire des islamistes était attendue en Tunisie et au Maroc, la percée du jeune parti Al-Nour en Egypte a pris de court tous les analystes politiques.

Alors, après le printemps arabe, l'hiver islamiste ? Lancée comme une boutade il y a quelques semaines, la question agite aujourd'hui toutes les chancelleries. Partout, les islamistes ont bénéficié de leur forte implantation locale : "interdits sur la scène politique, ils s'étaient fait une spécialité de l'aide sociale locale, largement financée par l'Etat du Qatar", explique Mehdi Lahlou, économiste et professeur à l'Insea à Rabat. Dotés d'une organisation bien rodée, d'une connaissance des populations sans pareil et d'un référenciel politique compréhensible par tous, ils étaient les seuls à être prêts pour ces élections, quand les autres partis furent contraints de construire doctrine politique et relais locaux en quelques mois.

Avec en face des forces totalement émiettées - il y a eu 1.500 listes en Tunisie -, les partis qui se revendiquent de l'islam sont donc mécaniquement arrivés premiers. Pour autant, "on ne peut parler d'un raz de marée islamiste", précise Mehdi Lalhou, qui rappelle qu'au Maroc le PJD a recueilli 29% des votes avec seulement 1,4 million de voix. En vérité, précise l'historien Jean-Pierre Filiu, qui vient de publier chez Fayard "la Révolution arabe, dix leçons sur le soulèvement démocratique", "les islamistes aussi sont à la fois minoritaires et divisés : l'Egypte compte quatre partis des Frères musulmans et trois partis salafistes".

Difficile dans ces conditions d'adopter une posture hégémonique : partout, cet émiettement les contraindra à négocier avec les forces concurrentes pour construire des coalitions de gouvernement. En un mot, résume Jean-Pierre Filiu, "ils devront apprendre le pluralisme dans un univers politique qui s'oriente vers un système parlementaire à scrutin proportionnel ". Et chacun d'espérer qu'en devant nouer des compromis pour participer au pouvoir, l'islamisme radical se diluera progressivement dans le jeu démocratique. D'autant que "le vote islamiste lui-même est fait de plusieurs composantes parfois contradictoires, dit encore Jean-Pierre Filiu : à côté du vote proprement religieux, on trouve un vote révolutionnaire visant à renouveler la classe politique, mais aussi l'aspiration au retour à l'ordre, très présent dans le vote pour les Frères musulmans. Sans oublier peut-être le financement de certaines campagnes électorales par le Qatar".

Mais les vainqueurs de ces premières élections, dont l'objectif est de doter les pays de nouvelles Constitutions, seront-ils amenés à instaurer des régimes résolument islamistes ? "La place imminente de l'islam est déjà consacrée dans les textes constitutionnels en vigueur, affirme Jean-Pierre Filiu. Donc les batailles à venir ne se déclineront pas sur un registre religieux, mais seront partout de nature politique."

Une fois les institutions stabilisées, les islamistes s'installeront-ils au pouvoir ? Pas sûr. Dans ce nouveau jeu politique ouvert, les forces concurrentes vont apprendre à s'organiser, et à se rassembler pour peser. Ensuite, les mouvements islamistes sont très attendus par les populations sur leur capacité à doper la croissance économique, comme le fit l'AKP en Turquie, et à apporter une réponse durable à la crise sociale qui frappe en premier les jeunes, acteurs du printemps arabe. "Or les programmes économiques des partis islamistes n'apportent aucune réponse au chômage des jeunes, à la crise du logement, à la pénurie d'infrastructures", dit Mehdi Lalhou. Le jeu va immanquablement se rouvrir. "Le processus post-révolutionnaire ne fait que commencer, annonce Jean-Pierre Filiu, et il y aura beaucoup de saisons avant que les révolutions arabes donnent tous leurs fruits. Mais l'alternative que présentaient les dictateurs est bien morte, comme l'a montré le caractère non violent des révolutions." Pour lui, "la situation va se complexifier. Ce qui va nous obliger à découvrir un monde arabe dans sa pluralité".

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Commentaire 1
à écrit le 07/12/2011 à 9:09
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" Menace islamiste": vous avez encore dit "menace" ? Quel journaliste peut de nos jours écrire ce genre de mot? On a connu la "menace martienne" , la "menace juive", la "menace communiste", la "menace jaune". On connaît la "menace immigrée". On a eu ...

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