L'Internet ne se régule pas

Jean-Michel Planche est président-co-fondateur de Witbe, chargé du Lab Réseaux et Techniques de la Hadopi, ex-président-fondateur d'Oléane.
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Il devient comique de voir à quel point l'Internet semble être le parangon maudit du secteur "du divertissement". Cela a commencé en 1994, avec le Web Louvre. Dix-sept ans après, quel chemin ! On aurait pu comprendre, anticiper et aujourd'hui être prêt. Mais non. A grands coups de "lois en i" (Dadvsi, Loppsi, Hadopi), on a tenté de faire entrer l'Internet dans le rang. Ou plutôt, ultime déresponsabilisation, on veut "adapter l'Internet aux besoins de notre société". Ne nous trompons-nous pas ?

La société, tout comme l'Internet, c'est nous, jusqu'à preuve du contraire et "refermement" du modèle au profit de quelques-uns. Ne voulons-nous pas plutôt "adapter l'Internet aux bénéfices de quelques-uns pour la meilleure monétisation à tous" ? L'erreur, lorsque l'on parle d'Internet, outre l'amalgame avec le Web, c'est l'inversion de valeur, difficile à entendre pour une société "network centric". L'Internet est "user centric". L'Internet est un moyen de communiquer, penser, créer au service de tous. L'Internet se "gouverne" mais ne se "régule" pas car il est ni média ni réseau de diffusion. L'Internet est aux machines ce que l'air est à l'homme. Une fois cela compris, on peut penser en termes de "charte de qualité" pour (tenter de) définir ce qu'est ou n'est pas l'Internet et approcher la notion dérégulation des usages : en ne confondant pas "le contenant" et les extrémités - les diffuseurs et les consommateurs.

Quand l'Internet permet de repenser la logique d'intermédiation, de "distribution", on comprend que cela puisse entrer en résonance avec ceux qui ont fait le choix du "stock" : maisons de disques, sociétés de distribution et d'exploitation cinématographique... Malheureusement, rien n'est réglé. Les oeuvres numériques n'ont toujours pas existence dans nos réseaux. Suite de 0 et de 1, assemblés elles forment un texte, une photo, une musique, à quoi on entend associer des droits parce qu'on les reconnaîtrait lorsqu'elles circuleraient. Je n'irai pas plus loin pour éviter le point Godwin. Des solutions pourraient exister, plus libres, plus égalitaires - en un mot, plus fraternelles -, mais il est préféré l'affrontement sclérosant. Résultat : trois ayants droit du cinéma (l'APC, la FNDF et le SEVN) ont assigné en justice Auchan Telecom, Bouygues Telecom, Darty Telecom, France Télécome, Free, Numericable, Orange, SFR mais aussi Google, Microsoft, Yahoo.

Pourquoi ? Tout simplement pour tenter de vider la mer à la petite cuillère. Mais comme cela ne fonctionne pas, on innove en voulant fabriquer tellement de petites cuillères qu'on ne trouvera plus l'eau. Si le but semble louable : empêcher l'accès à des contenus "illégaux", supprimer à la source cette "atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin", c'est le reste qui ne suit pas. L'Internet renouvelle le miracle de la multiplication des pains. Mais plutôt que d'expliquer à Jésus qu'il pose problème à notre économie avec ses miracles, on a préféré s'attaquer aux lieux de stockage des pains et aux chemins qui y mènent. Vous ne voyez pas le rapport ? Lisez l'assignation (https://j.mp/assignation_ad) et voyez le dispositif envisagé (pp. 84-87). Tout y est pour prendre au piège la société. Si le juge entre dans leur logique, c'est perdu. Nous aurons droit soit au filtrage soit au blocage. Cela change juste la façon de rater l'avion. Soit nous ne pourrons pas aller à l'aéroport, soit nous aurons des fouilles au corps systématiques, en tous les lieux, sous prétexte qu'en un seul on aurait aperçu un contrevenant. Étonnant non ?

Surtout quand on voit les efforts qui ont été déployés pour écouter leurs doléances. On a dépensé une énergie folle, des gens importants se sont mouillés et, "over the top", nos amis déboîtent en force, en faisant l'extérieur, en plein virage, à tout un dispositif, péniblement mis en place et dont ils sont à l'origine. Ça sent la sortie de route ! Exit la tentative de responsabilisation et d'éducation du marché, les efforts surhumains pour renouer le dialogue avec la société civile, l'incitation d'une offre légale de qualité et de diversité suffisante. Il semble préféré de bien casser l'Internet ou pour le moins de s'approprier le droit de vie et de mort sur des lieux et sur les chemins qui y mènent. Alors, au siècle des modèles d'Apple et de Google, est-il encore raisonnable de faire l'impasse sur une logique de flux ? Le flux sera-t-il le nomade, que l'on taxe et condamne, d'une société qui préfère rester sédentaire ?

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Commentaires 6
à écrit le 29/12/2011 à 7:07
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Quand certains imbéciles, sans la moindre réflexion stratégique, voulaient détruire WikiLeaks, ils obtinrent le résultat inverse : des sites miroirs se créèrent rapidement légitimant de fait l?existence de WikiLeaks et condamnant de fait ces imbécile...

à écrit le 18/12/2011 à 12:48
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@Om Oui enfin, les "darknets" et compagnie cela reste des overlays n'ayant pas vocation à poser des cables transatlantiques (donc avec serveurs ou sites à adresse IPs), et quoi qu'on en dise la "lutte" anti piratage dirigée vers les centres fonctionn...

à écrit le 18/12/2011 à 11:18
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1) Les contenus illégaux continueront d'exister, comme il le dit, l'internet c'est l'air des machines. Si on ferme une poche d'air, il y aura d'autres poches d'air. Google et Microsoft... sont les contenants actuels, mais pas les seules, et de plus i...

à écrit le 17/12/2011 à 10:33
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@éee Que de blah blah indigeste (et on ne peut plus sur-remaché) ... La vérité est que la bêtise actuelle n'est en rien une fatalité. http://iiscn.wordpress.com/2011/05/15/concepts-economie-numerique-draft/

à écrit le 17/12/2011 à 10:20
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Et si on commençait par réguler la finance, plutôt que l'internet ?

à écrit le 17/12/2011 à 1:26
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les entreprises vendant du contenu se sont habitués depuis un demi siècles à faire des marges toujours plus grande, en flouant les auteurs et les consomateurs et se sont attachés à vérouiller les supports de diffusions physiques ou non. Là ils sont t...

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