Euro : et si les Allemands jouaient plus fin qu'on ne croit ?

La baisse de l'euro est assurément une bonne nouvelle pour toute l'économie européenne. Les atermoiements allemands face à la crise peuvent s'expliquer par cette recherche d'un euro moins élevé.
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L'attitude allemande dans les événements monétaires récents est intrigante. L'Allemagne n'a aucun intérêt à l'explosion de l'euro. Le mark ressuscité augmenterait immédiatement par rapport au dollar, donc au yuan, ainsi qu'aux autres devises européennes. Les exportations allemandes, qui représentent 40% du PIB et le quart des emplois allemands, seraient donc gravement atteintes. Même si elles sont moins sensibles que d'autres à la compétitivité prix, disposant d'une marge solide de compétitivité hors prix, elles pâtiraient fortement d'une réévaluation de 20% ou plus du deutsche mark.

Or, ce sont les atermoiements allemands vis-à-vis d'une plus grande intégration qui entretiennent et amplifient le doute sur la monnaie européenne. Car l'hypothèse de sa désintégration, ou forte amputation, n'est pas vide en ce début d'année. Le Conseil des ministres européens eut-il entériné, le 9 décembre, la mutualisation - totale ou partielle - des dettes publiques, ou une modification du statut de la BCE pour qu'elle puisse acheter des titres de dettes des États, ou la création d'euro-obligations pour relancer la croissance à partir d'un "pôle" européen, que la défiance eût sensiblement diminué.

Peut-on penser que c'est uniquement pour des raisons de politique intérieure, pour satisfaire les eurosceptiques qui restent minoritaires en Allemagne, réaliser leur rêve du retour au deutsche mark, que la chancelière renâcle à ce "plus d'Europe" ? Craint-elle que les pays sud-européens n'aient pas encore suffisamment intégré la nécessité de tendre vraiment vers l'équilibre budgétaire et la réduction de l'endettement ? L'installation de gouvernements de techniciens à Athènes et Rome, et d'un gouvernement pour le moins austère en Espagne, offre quand même de sérieuses garanties de retour au sérieux. Au fil des semaines, tous ces motifs de la réticence allemande paraissent de moins en moins crédibles. Peut-on donc suggérer que les Allemands lanternent, au moins en partie, parce que la crise de l'euro entraîne sa baisse ? Lentement, mais sûrement, en effet, la monnaie européenne décline par rapport au dollar. Les deux "pics" successifs de la mi-2008 (1,58 dollar), de la fin 2009 (1,45 dollar) puis du début 2011 (1,40 dollar) ont été de plus en plus bas. La tendance depuis le pic de 2008 est clairement descendante. L'euro vaut, ces jours-ci, 1,30 dollar.

Cette baisse, curieusement, est souvent analysée négativement. L'euro "paierait" ainsi l'aboulie des dirigeants européens. Mais, du point de vue de l'économie européenne, cette baisse est au contraire la bienvenue. C'est même la seule bonne nouvelle en ces temps difficiles. À 1,30 dollar, l'euro est encore à 11 % au-dessus de sa parité de lancement, 1,17 dollar, qu'il n'y a aucune raison de ne pas considérer comme la bonne aujourd'hui, celle qui ne renchérit pas les marchandises européennes au-delà des rapports de coûts. Bien sûr, une baisse de 13 centimes de l'euro, de 1,30 à 1,17 dollar, entraînerait, pour l'Allemagne, un supplément de valeur du pétrole importé de l'ordre de 2 milliards d'euros. Une broutille par rapport à l'excédent commercial allemand !

Plus lucides que nombre de commentateurs, Angela Merkel et le patronat allemand ne peuvent donc manquer de voir dans cette baisse de l'euro par rapport au dollar, un des rares leviers rapides de redressement de l'économie de la zone euro. Les dirigeants allemands peuvent penser que le maintien de l'euro à une parité élevée a résulté d'une volonté tacite de la Fed : l'utilisation de la "planche à billets" aux États-Unis avait certes comme premier motif la relance de l'économie, mais aussi, comme seconde conséquence heureuse pour les Américains, cette parité élevée de l'euro. Or l'absence de toute référence à une politique européenne de change dans le traité de Maastricht interdit une action officielle et volontaire pour ramener l'euro à sa parité raisonnable. De plus, Jean-Claude Trichet, sous pression allemande constante, a été le plus lent de tous les banquiers centraux à baisser le taux de base, en raison de l'inflation importée par la hausse du pétrole et des matières premières agricoles.

Le gouvernement allemand, certain d'avoir encore la situation en main, n'attend-il donc pas qu'une relance de la crise entraîne une baisse plus franche de la monnaie européenne pour "faire les pas" qui manquent à un sauvetage définitif ? La baisse récente du taux de base de la BCE à 1 %, qui laisse quand même celui-ci à 0,75 % au-dessus du taux de la Fed (0,25 %) et à 0,5 % au-dessus de celui de la Banque d'Angleterre (0,5 %), peut être interprétée, non seulement comme un souci de soutenir l'activité économique dans la zone, mais aussi, en complicité tacite avec le gouvernement allemand, comme une pression à la baisse de la monnaie européenne.

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Commentaires 26
à écrit le 09/01/2012 à 4:44
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Les Allemands montrent les premiers signes d'un état de manque. Le besoin d'une correction périodique les rend arrogants et vaniteux. Il faut donc leur administrer un traitement palliatif.

à écrit le 04/01/2012 à 8:55
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sur la photo, il a un air d'hannibal le canibal !! ! c'est pas rassurant. !

à écrit le 03/01/2012 à 19:56
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Les Allemands sont comme les British, ils ne pensent qu'a eux ! L Allemagne privilégie l Euros trop fort pour favoriser ses rentiers et retraités . Il faut "euthanasier les rentiers Allemand " avec l Inflation.Création de masse monétaire pour rem...

le 03/01/2012 à 22:44
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avez-vous lu l'article ?

le 04/01/2012 à 14:57
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Je crois qu'il a oublié ...

à écrit le 03/01/2012 à 19:18
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Il eut fallut, depuis le début (Janvier 2002) que l'euro ait toujours la valeur d'un dollar. Sinon une des deux monnaies créera la zizanie. Les suisses, dans leur intérêt personnel ont décidé d'avoir un franc stable (1,20) par rapport à l'euro. Ils y...

à écrit le 03/01/2012 à 17:16
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Je ne suis pas d'avis que "les allemands jouent" d'une manière concertée. Après tout, nous sommes dans le même panier. Cependant, ce que les allemands ont réalisés, c'est qu'il est téchniquement impossible de revenir aux monnaies nationales (pensez ...

à écrit le 03/01/2012 à 15:38
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merci Mr Matouk pour votre analyse. Tout à fait d'accord.

à écrit le 03/01/2012 à 10:50
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Il faudrait quand même que les allemands fassent attention de ne pas jouer avec le feu : par exemple, l'Italie qui a une économie solide, dont les gens sont relativement sérieux (comparés aux grecs ) a une dette gérable, malgré son niveau élevé, grac...

le 03/01/2012 à 15:31
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Et c'est le cas aussi de l'Espagne. De toute façon, je reste persuadé que l'Allemagne est le seul vrai gagnant de l'euro et que la fin de la zone euro porterait avant tout préjudice à Berlin.

à écrit le 03/01/2012 à 3:03
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Très bonne analyse. Je ne pense toutefois pas que c'est un seul choix allemand que de faire en sorte que l'euro soit plus bas, les autres pays européens y ont également intérêt, y compris généralement hors zone euros pour certains. Même les américain...

à écrit le 02/01/2012 à 17:53
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En resume les Allemands profitent de la crise. Ils veulent garder l'Euro qui leur permet d'avoir une monnaie faible et en plus ils le veulent a un niveau encore plus bas pour profiter encore plus; pour cela il suffit de faire souffrir les autres a...

le 03/01/2012 à 8:36
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en fait, jusqu'à aujourd'hui, ce sont les allemands qui paient les pots cassés des voisins, et non la france, qui sera dégradée dans quelques jours. non seulement ils ne font souffrir personne, mais ils ont sauvé une partie des pays du sud, et ils no...

le 03/01/2012 à 9:29
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Si c'est de ce niveau, gardez pour vous ce que disait votre grand pere. Merci donc aux Allemands d'avoir sauve les grecs, vous avez raison on sent les elans de liesse dans les rues d'Athenes; Quand a la jeunesse Irlandaise qui quitte l'Irland en mass...

à écrit le 02/01/2012 à 16:46
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L'excédent commercial permanent et impressionnant de l'Allemagne, réalisé aux dépens des économies de la Zone Euro mois compétitives et réinvesti en dehors de celle-ci, représente une fuite de capitaux légale et est en train de saigner à blanc la Zon...

à écrit le 02/01/2012 à 14:00
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Les allemands ont un énorme excédent commercial. S'il y a bien un pays qui n'a pas besoin de dévaluer c'est bien les allemands. L'analyse me parait donc très très bizarre. Il y a 2 problèmes en Europe, la dette publique bien sur, mais surtout la diff...

le 02/01/2012 à 16:33
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@ Gab, La compétitivité est fonction de la valeur ajoutée, il ne suffit de travailler plus et pour moins d'argent, il faut pour être compétitif avoir des produits de pointe. C'est le cas de l'Allemagne. En fait un Euro fort favorise les grosses entr...

le 03/01/2012 à 9:29
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@gab: "modération salariale", vous voulez dire un smic à 140 euros, comme en chine? parceque si on paie les français plus de 140 euros, ils ne seront jamais compétitifs face aux chinois. A moins de trouver d'autres solutions, comme taxer plus lourdem...

le 03/01/2012 à 13:24
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je réponds à Gab A aucun moment dans l'article, je n'ai parlé de dévaluer, mais de laisser l'euro revenir à une parité plus correcte par rapport au dollar. N'oublions pas que les allemands exportent quand même déjà 60% hors zone euro, et qu'à l'heure...

le 03/01/2012 à 15:37
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@ L'auteur. Comment déterminez-vous, que savez-vous d'une "parité correcte" ? 0,2, 0,5, 0,8, 1,5, 2 ou 5 euros pour un dollar ? Tant que l'information relative aux prix et aux quantités des monnaies offertes et demandées pour chaque acteur individuel...

à écrit le 02/01/2012 à 13:45
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C?est une très bonne nouvelle que la baisse de l?Euro, elle va permettre de sortir momentanément la tête hors de l?eau les pays de l?Europe du Sud ainsi qu?à la France (car l?Euro est de 35 à 40 % trop cher pour l?économie française). Tout le monde...

à écrit le 02/01/2012 à 12:31
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Je regrette que vous ne parliez que du dollar US car par rapport à de très nombreuses autres devises ( dollars canadien, australien, néo-zélandais, de singapour,) le franc suisse, la livre anglaise et les devises du nord de l'EU, etc... l'euro est en...

à écrit le 02/01/2012 à 12:29
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Excellente analyse. Les allemands ont compris que cette guerre est celle de l'Euro (Ex-Mark en fait) face au Dollar, et donc la suprématie américaine(etaccessoirement anglaise) sur le Monde. Les Allemands mènent la contre-attaque pour l'Europe, le ca...

le 02/01/2012 à 16:52
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@ JB38, des victoires comme celle-la on s'en passerait bien, vous oubliez que plus de la moitié de la dette de la Zone Euro qui arrive à écheance va devoir être renouvellée à des taux d'intérêts prohibitifs. Et ces intétrêts c'est bien la Zone Euro q...

le 02/01/2012 à 21:03
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la plus grande partie de la dette est interne à l'UE. Pour le reste, la meilleure solution sera le défaut. En ruinant les retraités américains, on accentuera la pression sur les US, ainsi que la pagaille chez eux.

à écrit le 02/01/2012 à 11:03
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Excellent papier, très fin, non idéologique, révélant une bonne connaissance des mécanismes ; je renvoie à un de mes Posts précédents qui au delà des apparences tissent une cohérente toile textuelle...dont j'ai fait vérifier, qu'au delà de ses appare...

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