Interdire la revente de billets sur Internet serait une erreur

Par Bertrand Dumon et Bastien Moraga, avocats au barreau de Paris (cabinet Arago).
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La loi interdit à ce jour la revente de billets subventionnés par l'Etat, à un prix supérieur à la valeur faciale. Par contre, aucune disposition légale n'interdit pour le moment la revente avec marge de billets d'événements récréatifs non subventionnés.

Sous le prétexte de réglementer la revente à la sauvette autour des stades ou encore d'interdire la revente avec marge sur Internet de billets d'événements caritatifs ou subventionnés par l'État et les collectivités, nos parlementaires s'entêtent actuellement sur des projets de loi pourtant déjà censurés par le Conseil constitutionnel. Ces textes visent de fait à éradiquer l'émergence d'un marché français secondaire de billets d'événements récréatifs. Des mastodontes américains ou anglais se sont pourtant déjà créés sur ce même marché, s'invitant par la même occasion dans le business cartellisé de la production artistique. Notons l'existence de Live Nation, agent d'artistes comme Madonna ou U2, premier producteur mondial d'événements récréatifs, désormais propriétaire de "Get Me In" et "Tickets Now", tous deux revendeurs secondaires sur les marchés anglais et américain.

Nos parlementaires ne souhaitent pas qu'en France des opérateurs s'attardent à vouloir créer de la richesse, des emplois, en travaillant sur la chaîne de valeur de la distribution des événements ou spectacles. Cela pourrait créer un concurrent français aux américains, atteindre des corps constitués ou pire, apporter de nouvelles recettes à l'État. En un mot, la revente de réfrigérateurs avec marge serait bonne pour le consommateur mais pas celle de billets de matchs de football.

Courant 2011, l'article 53 de la loi Loppsi 2, proposé par notre Sénat, tentait ainsi d'introduire une infraction de revente illicite de billets sur Internet. L'objectif poursuivi était d'assurer la protection de l'ordre public, le droit des consommateurs et l'image des organisateurs de manifestations. Le Conseil constitutionnel a heureusement censuré cet article le 10 mars 2011. Depuis, nos parlementaires sont vigoureusement revenus à la charge avec plusieurs propositions de lois similaires.

Certains des objectifs visés par nos parlementaires dans leurs démarches paraissent justifiés comme éviter les émeutes aux abords des stades ou la vente de faux billets sur Internet. Toutefois, l'éradication même du marché secondaire de billets d'événements récréatifs en France semble quant à elle hasardeuse, notamment au regard du principe de liberté de commerce et des intérêts économiques de l'Etat.

Economiquement, le marché secondaire du billet représentait 3,4 milliards de dollars aux Etats-Unis et 172 millions de livres sterling au Royaume-Uni en 2009 (Forrester Research) et serait estimé selon certains opérateurs entre 3,5 et 5 milliards d'euros en Europe. Il semble logique, en application de principes juridiques bien établis, de laisser le droit à chacun de revendre un bien acheté, fût-il un billet de spectacle, quel que soit le prix de revente et d'assumer le cas échéant le risque de sa non-revente, et ce, au bénéfice de la production d'événements.

L'industrie du tourisme serait de même lourdement affectée par le texte à l'étude. Une agence de voyages française ne pourrait ainsi pas organiser un voyage autour d'un match de coupe d'Europe de football puisqu'une telle agence ne serait a priori pas autorisée par l'émetteur primaire de billets et réaliserait de plus une marge sur la revente du billet d'accès au stade.

De même pour un événement subventionné, l'autocariste d'Aurillac ne pourrait pas proposer la vente d'un séjour culturel à Paris incluant des billets pour une exposition au Louvre. Il conviendrait logiquement d'exclure a minima de ces projets de loi la revente avec marge de billets par les titulaires d'une licence d'agence de voyages. Le plus sage serait naturellement d'en rester à la liberté de commerce.

L'État a l'opportunité de contrôler le marché noir secondaire du billet, en traçant et fiscalisant les revendeurs à titre habituel et ce, grâce aux opérateurs Internet. Il pourrait de plus tirer des ressources non négligeables par l'imposition des sociétés Internet en France et éviter que ces dernières ne s'installent à l'étranger pour continuer aisément leur e-commerce en cas d'interdiction.

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Commentaires 11
à écrit le 25/01/2012 à 10:31
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Vos arguments sont naïfs .Essayez d'acheter en masse des places pour les très gros spectacles , bon courage ! En plus il faudra risquer votre argent... si c etait si facile tout le monde le ferait. Le show biz a besoin du 2ieme marché les réseaux ...

le 27/01/2012 à 10:15
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@Bakoo9 : Oui, vous avez raison.

à écrit le 25/01/2012 à 10:13
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La revente individuelle reste une liberté; mais faire commerce de revente doit s'inscrire dans un cadre juridique de professionnel (TVA, charges sociales,...).

le 02/02/2012 à 16:07
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Bien-sur que la revente individuelle doit être fiscalisée. Les sites internets pourraient tenir un livre de police et identifier ceux qui font de la revente à titre habituel au black. Mais au lieu de cela, on va interdire la revente des billets sur l...

à écrit le 25/01/2012 à 0:21
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Tout cela est juridiquement ridicule. Un propriétaire peut vendre son bien (Billet ou autre) c'est un des droits de l Homme. N importe quel site internet hébergé à l'étranger pourrait vendre ces billets. A vouloir TOUT interdire TOUT régenté autour d...

à écrit le 24/01/2012 à 18:38
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"En un mot, la revente de réfrigérateurs avec marge serait bonne pour le consommateur mais pas celle de billets de matchs de football." Lorsqu'un revendeur vend un réfrigérateur il crée de la valeur ajoutée par le service de distribution qu'il fourni...

le 02/02/2012 à 17:08
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S'il était aussi facile de réussir su internet, cela se saurait!! La distribution sur internet, le référencement sur google, les alliances avec les différentes sites marchands, le ciblage d'une clientèle désireuse d'avoir plus services associés, du v...

le 20/03/2012 à 15:27
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Et celui qui revend des réfrigérateurs sur internet, elle est où sa valeur ajoutée? Merci pour cet exemple qui apporte de l'eau au moulin de cette discussion, interdire la revente de billets, ok, mais celle des réfrigérateurs aussi....

à écrit le 24/01/2012 à 16:43
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Bonjour, Vous trouvez donc justifié et justifiable que des individus se soient spécialisés dans l'achat en masse de billets de manifestations à succès (type concert d'un artiste connu), phénomène qui rend "sold out" l'évènement en quelques secondes,...

le 24/01/2012 à 18:13
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Le "marché noir" c'est la revente "sous le manteau" . Le projet de loi vise l interdiction même des société ouvertement déclarées payant taxes et impôts. .L Etat dispose de tous les moyens pour stopper le " marché noir" et faire respecter les règles ...

le 26/01/2012 à 18:48
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@Bakoo9 : Oui, vous avez raison.

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