Pour une décentralisation raisonnée

L'action territoriale a permis à la France de se transformer en profondeur depuis près de trente ans. Evitons de faire des collectivités territoriales les bouc-émissaires de notre endettement mais plutôt des acteurs essentiels de la refondation de l'action publique. La crise financière doit être vue comme moteur de refondation de l'action territoriale.
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Les 16 milliards d'euros d'emprunts nouveaux contractés par les collectivités territoriales en 2010 (- 19 % par rapport à 2009) sont-ils trop en ce qu'ils creusent la dette française, ou pas assez dans la mesure où ils ne permettent pas de porter l'investissement public à un niveau satisfaisant ? C'est dans ce dilemme que le débat sur l'action publique locale semble aujourd'hui placé. La crise financière, aujourd'hui devenue crise des dettes souveraines, transforme radicalement les termes du débat qui entoure la décentralisation.

Celle-ci s'est fondée sur une construction juridique dite de transfert de compétences de l'Etat central vers les collectivités territoriales. Elle incarnait, dans un monde globalisé échappant de plus en plus à l'influence du pouvoir politique, un domaine sur lequel celui-ci pouvait imprimer pleinement sa marque. La décentralisation est, à son tour, saisie par les contraintes extérieures d'une économie mondialisée et d'un financement de l'économie assurée de plus en plus par les marchés financiers.
La crise entraîne un changement de paradigme pour l'action publique dans son ensemble. Les collectivités vont être entraînées dans cette modification profonde. La crise tend alors à devenir le levier essentiel d'une refondation de l'action publique territoriale. Cependant on voit apparaître une stigmatisation des collectivités territoriales, accusées plus que d'autres, d'avoir creusé la dette française. Si l'on y prend garde, ce type de raisonnement aboutira à un démantèlement de certains pans de l'action territoriale des collectivités mais aussi de l'Etat sans discernement et de façon mécanique. Au contraire la crise doit nous inciter à imaginer les cadres d'une action territoriale renouvelée, marquée parl'impératif deconsidérer que les territoires sont les supports de la croissance, à rebours d'une vision trop souvent déterritorialisée du développement économique.
Trois enjeux ont vocation à structurer la manière d'imaginer la décentralisation de demain dans le but de rendre conciliables trois objectifs qui ne le sont que difficilement a priori (autonomie, déconcentration et cohésion).
1. Quelle dynamique pour les finances locales ?
Depuis 1983, la dépense publique locale a cru de manière plus rapide que la richesse nationale (3 % contre 1,9 %) et que la dépense publique totale (2 %). Cette augmentation représente une dépense supplémentaire de 117 milliards d'euros dont 73 % (85 milliards) correspond à un accroissement hors transfert de compétences.
Toutefois, cette appréciation de la dépense publique locale doit être tempérée :
- l'essentiel de l'accroissement de la dépense publique depuis 30 ans est imputable au développement des prestations sociales, principalement maladie et vieillesse,ainsi qu'à la charge de la dette.
- le poids des dépenses publiques locales hors transferts de compétences s'est stabilisé depuis 1994 autour de 9,5 % du PIB.
- sur la période récente (2007-2010), la contribution des collectivités territoriales à l'accroissement de la dépense publique est inférieure à celle de l'Etat (0,3 % contre 0,4 %) et à celle des organismes de sécurité sociale (1,1 %).
Au-delà, c'est la structure des dépenses locales qu'il importe d'apprécier encore plus que les recettes sur lesquelles le regard s'est beaucoup porté avec les réformes successives de la fiscalité locale. Depuis les années 1980, les dépenses d'investissement se réduisent au profit des dépenses de fonctionnement et des prestations sociales. En 2010, l'investissement public ne représente que 5,6 % des dépenses publiques contre 45,3 % pour les prestations sociales et 34,7 % pour les dépenses de fonctionnement.
Les collectivités ont contribué très largement à maintenir un certain niveau d'investissement public : plus d'un quart de leur budget soit 52 milliards y est consacré. Depuis 1998, cet effort d'investissement est continu mais connaît une décélération assez brutale en 2010 (-6,9 %) qui ne s'explique pas que par les effets d'anticipation du plan de relance dans la mesure où cette baisse tend à se maintenir en 2011.
Aussi dans le contexte de rigueur budgétaire, comment freiner le rythme de dépenses locales et, dans le même temps, promouvoir les dépenses qui contribuent à augmenter la croissance potentielle ? D'abord, à l'instar du Parlement, en faisant présider la commission des finances de chaque grande collectivité par un membre de l'opposition. En rendant obligatoire une étude d'impact sur les effets sur l'économie des projets supérieurs à un seuil pouvant être fixé à 10 millions d'euros.
2. Quelle gouvernance ?
A la lumière des comparaisons réalisées par l'OCDE en matière de décentralisation, deux questions émergent :
- L'association des collectivités est très fortement appréhendée aujourd'hui en France sous l'angle organisationnel. L'intercommunalité, depuis sa relance en 1999, se traduit par la création de communautés associant les communes sur la base de compétences assez larges. Cette formule connaît aujourd'hui des limitations liées aux réticences manifestées par les communes pour rentrer dans ces EPCI.
Ne faudrait-il pas plutôt encourager une association par projets c'est-à-dire une association des collectivités autour de grands projets structurants et mutualisables (restaurants scolaires communs à plusieurs écoles, collèges et lycées ; réalisation de zones d'activité dotées de services permettant d'accueillir des entreprises...). Dans ce cadre, au-delà des délégations de service public ou contrats de partenariat, il apparaît essentiel de développer des formules mixtes. Ainsi l'économie mixte en France pourrait être relancée au travers du développement d'opérateurs locaux associant capital issu des collectivités et d'opérateurs privés ou para-publics. Cette formule permettrait de développer des activités dont le modèle économique induit un retour sur investissement plus long tout en amenant le savoir-faire d'un opérateur. Cette formule pourrait s'avérer bien adaptée pour des champs en développement qui permettraient, par ailleurs, aux collectivités de bénéficier de recettes :par exemple, production d'énergie renouvelable photovoltaïque, la logistique des centre-villes ou soutien à la recherche.

- L'autre question a trait à la prise en compte du temps long et de la cohérence des actions. L'action publique locale a besoin de temps pour réaliser des projets et avoir des effets mais également de cohérence entre les initiatives prises. L'élaboration d'un projet économique et social de territoire unique par les principales collectivités et associant le monde économique et celui de l'enseignement supérieur permettrait de garantir cette cohérence. Ce projet serait élaboré d'abord par les collectivités et intégrerait les politiques d'investissement de l'Etat en particulier les investissements d'avenir.
La concomitance de l'ensemble des élections locales en 2014 plaide en faveur de l'élaboration à cette échéance et de la mise en ?uvre de ce projet de territoire partagé dans la continuité.

3. Quelle répartition des compétences ?
La réforme des collectivités territoriales est trop souvent associée au « serpent de mer » de la clarification des compétences. Cette vision juridique de l'action n'a jamais réussi dans la mesure où elle postule que les compétences des collectivités sont exercées indépendamment des autres acteurs publics ou parapublics (Etat, sécurité sociale, entreprises publiques, agences...). Ainsi, à titre d'illustration, les transferts financiers de l'Etat vers les autres administrations ont représenté 157,7 milliards en 2010 soit près de 35% de la dépense totale de l'Etat.
L'autre écueil est celui de la proposition de suppression d'un niveau de collectivité qui aboutit trop souvent à des crispations bloquant toute véritable réflexion. On confond ainsi les fins et les moyens. La suppression d'une entité ne doit être envisagée que comme une conséquence éventuelle des choix plus globaux d'organisation des différents domaines de l'action publique.
Il est, dès lors, plus opérant de raisonner par grands champs de l'action publique et d'apprécier de quelle manière réorganiser le pilotage global de ces domaines (santé, action sociale...) ou l'association des acteurs (présence des services publics sur le territoire...). Ainsi le débat sur la dépendance met en valeur l'absence de pilote d'ensemble, capable de mener des politiques préventives. De la même manière, l'accès aux services publics sur le territoire, à l'heure du numérique, doit être appréhendé dans une logique de coopérations entre services publics locaux et nationaux, mais aussi en associant de plus en plus le secteur marchand.

L'action territoriale a permis à la France de se transformer en profondeur depuis près de trente ans. Evitons de faire des collectivités territoriales les bouc-émissaires de notre endettement mais plutôt des acteurs essentiels de la refondation de l'action publique.
 

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Commentaire 1
à écrit le 11/05/2012 à 14:02
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Soyez honnêtes jusqu'au bout alors ;-) Oui les collectivités locales sont un bien pour la nation et ont fait et feront de belles choses. Il reste cependant à les accompagner sur les financements (ou les contraindre à emprunter à taux fixes !?). Et su...

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