De l'enrichissement de la profession d'avocat

Le 26 janvier 2012, le ministère de la justice a transmis au Conseil national des Barreaux (CNB), organe représentatif des intérêts de la profession, un projet de décret réformant les règles d'accès à la profession d'avocat et instituant une « passerelle professionnelle » en faveur des membres du gouvernement ainsi que des députés et sénateurs et leurs assistants et collaborateurs parlementaires. Le Barreau acceptait déjà d'assez bon gré d'héberger en son sein les politiciens en rupture de ban. Aux côtés de l'actuel chef de l'Etat, toujours inscrit au Barreau de Paris et avocat d'origine, sont ainsi venus confraternellement rejoindre les rangs des « bavards », son bien dévoué confrère Dominique de Villepin et avant lui un autre Dominique (Strauss-Kahn), mais également Hervé de Charrette, Ségolène Royal, Noël Mamère, Jean-François Copé etc.Pourtant peu contraignantes, les conditions fixées par l'Ordre en vue d'intégrer ces « jeunes » confrères issus de la politique demeuraient semble-t-il encore trop exigeantes aux yeux de notre classe politique, brutalement assoiffée de justice.

Un vent de panique à l'UMP

C'est qu'un vent de panique souffle chez les ministres et élus UMP et leurs collaborateurs. Il y aura du monde sur le carreau en cas de victoire (que nombreux jugent probable) de la gauche aux élections et il va falloir héberger et nourrir cette petite cohorte de sans-abri, en attendant des jours meilleurs. Qu'à cela ne tienne, le discret petit projet de décret soumis à l'avis de l'austère Conseil national des Barreaux vient opportunément créer une nouvelle « passerelle professionnelle » (il s'agit en fait plutôt d'un viaduc) vers le Barreau, taillée sur mesure pour les futurs recalés du suffrage universel. Cette proposition de réforme procède, selon le rapport final du CNB d'une « volonté d'enrichissement [sic...] de la profession par des expériences complémentaires et d'appréciation au cas par cas de cette expérience professionnelle par les Ordres ». Il n'est donc plus question comme auparavant d'exiger des futurs défenseurs de la veuve et de l'orphelin qu'ils justifient de l'exercice d'une profession juridique pendant plusieurs années. Désormais, le simple fait d'avoir été parlementaire, membre du gouvernement, attaché parlementaire ou simple collaborateur de parlementaire sera jugé amplement suffisant pour s'inscrire au Barreau.

Libre appréciation laissée aux Ordres

On demandera certes à ces serviteurs de l'Etat de justifier d'une maîtrise en droit ou d'un diplôme équivalent (science-po ou l'ENA faisant bien sûr parfaitement l'affaire) ainsi que de huit ans « d'exercice de responsabilités publiques » et, pour les collaborateurs de députés et les assistants de sénateurs, de justifier d'une « activité juridique effective à titre principal » pendant la même durée et d'avoir un statut de cadres. Les impétrants collaborateurs devront donc constituer un « dossier » pour justifier de leur expérience de la chose juridique, mais, « aucune liste de documents n'étant définie » (et ce comme déjà dit dans un souci « d'enrichissement » de la profession), l'épreuve devrait rester à leur portée, d'autant qu'une « libre apréciation » sera laissée aux Ordres.

Gageons que les autorités de la profession pourraient ne pas être trop regardantes en la matière, il suffit pour s'en convaincre de consulter la liste des activités susceptibles d'entrer dans la catégorie des « activités juridiques » évoquée par le rapporteur de l'assemblée générale du CNB : interventions en séance publique, questions écrites ou orales, recours devant le Conseil constitutionnel, veille juridique, conseils auprès des représentants et services de l'Etat, etc.

Aucune légitimité à devenir avocat

Bref, affrontez-vous un peu sur les bancs de l'assemblée, relisez de temps en temps un ennuyeux projet de loi ou de décret, et vous voilà estampillé bon pour le Barreau. Et si vous n'êtes qu'un sous-fifre d'attaché parlementaire, on ne vous oublie pas, même si vous ne justifiez pas de huit ans de service en tant qu'attaché, vous pourrez cumuler avec toute autre expérience idoine en qualité de fonctionnaire catégorie A ou juriste d'entreprise, de syndicat etc. S'ils participent à l'élaboration de la loi, les ministres, les députés ou les sénateurs n'ont cependant aucune légitimité à « devenir » avocats en raison de leurs mandats ou fonctions passés. Comment a fortiori justifier l'admission des assistants et collaborateurs parlementaires sinon par le souci de récompenser ces fidèles d'une loyauté éprouvée sur une durée longue d'un ou plusieurs mandats ?

Un statut de repli

Il est trop clair que le Barreau est ici désiré comme un statut de repli entre deux élections et aussi comme rémunération de secours après la perte d'un mandat, hypothèse très crédible à 40 jours de l'élection présidentielle qui sera elle-même suivie par une élection législative qui promet de rebattre un peu la donne. La vérité est qu'il est plus que douteux que les politiciens devenus avocats fassent jamais le métier.
Pour un Pierre JOXE qui choisit d'embrasser pour de vrai la profession et se dévouer à l'?uvre de justice des mineurs, combien d'anciens ministres ont-ils une seule fois plaidé devant une juridiction, rempli un bordereau de pièces communiquées, conclu en défense, travaillé une question de droit jusque tard dans la nuit ? Combien ont reçu un client en détresse, éprouvé le stress et la responsabilité de celui qui est choisi comme défenseur ? Combien sont avocats ?
L'intégration des ministres ou des députés ne sert pas l'intérêt du Barreau et le fragilise au contraire en instillant le soupçon.

1,5 million d'euros de bénéfice pour Villepin, dès la première année

Comment garantir en effet que l'honoraire perçu par l'avocat « ancien ministre », « ancien député », « ancien sénateur » ne constituera pas le produit d'une influence auprès de son réseau, son ancienne circonscription, son ancienne administration ou toute autre administration ? On aurait alors une situation potentiellement délictueuse. On s'est ému des honoraires des politiciens-avocats ces dernières années : DSK et la MNEF en 1997, Hervé de Charette facturant 450 000 ? en six mois en 2005 pour une procédure pénale simple sans avoir rédigé un seul acte, un seul courrier au juge, sans avoir assisté à aucune audience selon le journal Le Monde, Dominique de Villepin qui, dès qu'il eut quitté son poste de premier ministre en mai 2007 (gouvernement de Jacques Chirac) et devenu avocat, créa une société « d'exercice libéral par action simplifiée" : "Villepin International" laquelle réalisa un chiffre d'affaires de 2.455.000 ? lors de sa première année d'activité (avril 2008 à avril 2009) et un résultat net (bénéfice net) de 1.529.000 ?, "au profit de son unique actionnaire" (Villepin, donc). Une belle réussite, parmi d'autres. Au moins, Dominique de Villepin fait-il preuve de transparence...

Le PS est d'accord

Au PS comme à l'UMP l'admission par décret des membres du gouvernement, députés et sénateurs et de leurs collaborateurs fait consensus : ce qui pourrait cette fois-ci profiter aux politiciens UMP si le décret est pris, profitera demain aux députés PS. Mais ainsi que nombre de Conseils de l'Ordre le soulignaient dans le cadre de la consultation nationale sur les mérites du projet de décret qui eut lieu à l'été 2011, la profession d'avocat ne doit pas devenir une « planche de salut » pour ceux qui perdent un emploi ou un mandat électoral. Il s'agit bien pour les avocats de résister à ce mouvement. Non pas pour défendre coûte que coûte un pré carré mais pour rester des défenseurs, ce qu'ils sont intimement et depuis toujours.
Il s'agit de refuser l'abaissement d'une profession qui est une vocation au rang d'un privilège pour politiciens déchus.

 


 

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Commentaires 7
à écrit le 21/03/2012 à 6:42
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Quelle ripouxblik !!! Je crois que la cinquième république est arrivée à sonterme non ? Mais que penser de ces soit-disantes vertus républicaines et 200 ans aprés la Révolution Française dont je vous rappelle le mot d'ordre : " ABOLITION des PRIVILEG...

à écrit le 21/03/2012 à 0:03
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Et si on commençait par supprimer tous ces Ordres, vestiges du Pétainisme? Pétain admirateur de l'Allemagne, ça me rappelle quelqu'un.

à écrit le 20/03/2012 à 17:38
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Avocat n'est pas égal à lobbyiste.

le 21/03/2012 à 0:04
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En France, pas tout à fait encore, mais ça viendra. Le modèle Anglo-saxon pousse fort.

à écrit le 20/03/2012 à 16:28
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Ils veulent gratter un maximum avant l'effondrement total du système qui les engraisse... L'obscénité est bien un caractère majeur de notre époque.

à écrit le 20/03/2012 à 9:01
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On vante la méritocratie, l'élite de nos écoles, on refuse de brader le bac, mais, pour nous et nos ouailles, vite un "pantouflage doré"... Décidément, sous ce quinquenat, qu'aurons-nous vu ? de l'abaissement, du nivellement par le bas, c'est tout et...

à écrit le 19/03/2012 à 19:31
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C'est une nouvelle niche pour nos élus. Par exemple, NS qui n'a jamais fait ces preuves au barreau aurait sa place réservée pour défendre la veuve et l'orphelin.

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