Le Brésil, en route vers la superpuissance industrielle ?

Alexandre Kateb est économiste et directeur du cabinet Compétence Finance. Il est l'auteur de "Les nouvelles puissances mondiales. Pourquoi les BRIC changent le monde" (Ellipses, 2011).
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Lorsque Dilma Rousseff a succédé à Luiz Inacio Lula Da Silva - dit Lula - à la tête du Brésil, fin 2010, elle n'était encore pour la majorité des commentateurs et des analystes qu'une technocrate méritante, auréolée d'un passé vaguement romantique de militante contre la dictature militaire dans les années 1970. Ses premiers mois à la présidence du Brésil tendaient à confirmer cette image de compétence matinée de rigueur, qui tenait difficilement la comparaison avec le style flamboyant et le charisme de son prédécesseur. Dilma Rousseff elle-même semblait fuir la lumière et préférer les longues réunions de cabinet, ainsi que le travail patient mais ingrat de conciliation sur de multiples dossiers - allant de la réforme des retraites à la réforme foncière - avec les intérêts puissants des oligarchies et des corporations représentées au sein du Congrès brésilien.

Mais les conséquences sur le Brésil de l'accentuation de la crise économique et financière dans la zone euro et du ralentissement observé en Chine dans le courant de l'année 2011, ont obligé l'impassible fille d'immigré bulgare, qui s'est hissée au sommet de l'Etat à force de courage et de volonté, de sortir enfin de sa réserve. Après avoir connu plus de 7,5% de croissance en 2010, le géant sud-américain a en effet vu sa croissance fondre de moitié en 2011. Au point que certains, au Brésil comme ailleurs, se demandaient déjà si le "super-cycle" de croissance des années 2000, coïncidant avec les deux présidences de Lula, n'était pas en train de toucher à sa fin. Et ce alors même que le sommet Rio+20 de juin 2012, l'organisation de la Coupe du monde de football en 2014 et des Jeux olympiques d'été en 2016 se traduisaient par une augmentation considérable des dépenses publiques ! Sans parler des défis colossaux que représentaient la lutte contre les inégalités sociales et contre le faible niveau de formation d'une partie importante de la population. Ces deux fléaux, fortement intriqués, empêchent depuis des décennies le Brésil de rejoindre le club des économies les plus avancées de la planète.

Mais c'était sans compter le mélange de pragmatisme et d'audace dont a fait preuve Dilma Rousseff. Face à la crise et à l'appréciation de la monnaie brésilienne qui menaçait d'handicaper sérieusement la compétitivité à l'export de l'industrie brésilienne, le gouvernement a déployé, sous l'égide de la présidence, une panoplie de mesures destinée à protéger son économie. Ce furent d'abord les mises en garde répétées du ministre des Finances brésilien, Guido Mantega, contre la "guerre des monnaies" à laquelle se livraient selon lui les Etats-Unis à travers leur politique monétaire expansionniste,se traduisant par un déversement sans précédent de liquidités - "un tsunami monétaire", dira Dilma Rousseff - sur les économies émergentes. Ces discours furent suivis de mesures fiscales pour ralentir l'afflux de capitaux spéculatifs étrangers. Ce fut ensuite l'accord négocié avec le Mexique pour limiter les importations de véhicules automobiles afin de préserver le potentiel productif brésilien. Ce fut enfin l'engagement du gouvernement brésilien à acheter en priorité des produits "made in Brazil", même s'ils étaient de 25% plus chers aux produits étrangers.

Aujourd'hui, les mesures annoncées vont encore plus loin. Pour lutter contre le coût prohibitif du crédit, le Brésil ayant pour des raisons historiques l'un des taux d'intérêt les plus élevés au monde, les autorités viennent de débloquer l'équivalent de 20 milliards de dollars de crédits à taux préférentiel accordés aux grandes entreprises nationales par le bras financier de l'Etat, la BNDES. Cette manne financière s'accompagne d'une réduction significative des charges sociales sur les entreprises qui affichent une forte masse salariale, afin d'accélérer la création d'emplois fortement rémunérés. Au final, c'est un stimulus fiscal et monétaire de près de 33 milliards de dollars que le gouvernement brésilien met en ?uvre pour soutenir son industrie. A cela s'ajoutent diverses mesures pour diminuer le poids de la bureaucratie - le fameux CustoBrasil décrié par les industriels - tel que le remplacement par un guichet unique de l'ensemble des organismes publics fiscaux et sociaux auparavant en relation avec les entreprises.

En définitive, face à une Europe qui n'en finit pas de s'enfoncer dans la crise, à coups de plans d'austérité et de rigueur, et à une Amérique du Nord qui doute d'elle-même, le Brésil fait ainsi résolument le pari de la croissance, et affiche par cette politique de soutien au secteur privé, à laquelle s'ajoute un investissement massif dans le logement social et les infrastructures, une confiance résolue en l'avenir qui pourrait bien en faire une superpuissance industrielle majeure au XXIe siècle.

Visionner sur la chaîne France 24 l'analyse d'Alexandre Kateb sur le 4e Sommet des BRICS, qui s'est tenu le 29 mars à New Delhi (Inde),

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Commentaires 11
à écrit le 07/04/2012 à 10:47
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Pourquoi on ne ferait pas comme eux non? On privilégie les produits français même plus cher de 25 % !Je vais voter pour Bayrou.

à écrit le 05/04/2012 à 23:05
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On reproche aux français de vouloir au protectionnisme "collectiviste" et contraire à la morale libérale divine mais quand on lit : "Ce fut enfin l'engagement du gouvernement brésilien à acheter en priorité des produits "made in Brazil", même s'ils é...

le 06/04/2012 à 20:49
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Aucun, ils ne sont pas fous. Ah si les Anglais. Je ne sais jamais dire s'ils sont en Europe ou pas!

à écrit le 05/04/2012 à 18:36
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D'ailleurs selon EasyVista, on ressent déjà les besoins en IT ... Les LATAM seront le relais de croissance de l'ITSM. Cloud, SaaS pour qui saura s'implanter rapidement fera sa place au soleil.

à écrit le 05/04/2012 à 18:21
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pour ceux qui n'ont jamais mis les pieds au Bresil , il faut quand même rappeler que c'est un pays sans structures : pas de chemin de fer , pas d'autoroutes , tout est transporté par des vieux camions qui roulent à 60 à l'heure ; la route qui relie S...

le 06/04/2012 à 19:05
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votre analyse n'est pas exacte. vos chiffres non plus. l'agglomération de São Paulo compte 20 millions de personnes. La ville de São Paulo seule compte environ 11 millions. (l'état de Sao Paulo de la taille de L'italie environ comporte 42 millions...

à écrit le 05/04/2012 à 16:09
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Toutes le mesures énumérées ci-dessus sont des mesures défensives . "Nos vaillantes troupes continuent à progresser sans céder un seul pouce de terrain" C'est un passage d'un communiqué du gouvernement républicain pendant la guerre d'Espagne, que c...

à écrit le 05/04/2012 à 14:19
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Quelle analyse! Les émergents ont un immense retard et donc un potentiel indiscutable de croissance à plus ou moins long terme. Ils ne vont quand même pas faire dans l'austérité... C'est une fois que le retard aura été comblé (ou en partie) que ça ...

le 05/04/2012 à 15:32
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Les PIIGS et la FRANCE risquent de descendre plus vite que les émergents montent...

le 07/04/2012 à 15:39
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Tout est relatif si nous descendons ils montent. Si on ajoute leur vitesse absolue ils "montent" donc plus vite que nous descendons. Et inversement!

à écrit le 05/04/2012 à 14:07
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Oui tout comme le Portugal et on voit les résultats.... Les superpuissances de demain c'est l'Inde et l'Iran quand celui ci se sera débarrassé de ses mollahs.

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