L'électorat américain est-il "polarisé" ?

Pierre Lemieux est professeur associé à l'université du Québec en Outaouais etauteur de "Une crise peut en cacher une autre" (Les Belles Lettres, 2010).
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On a beaucoup parlé de polarisation de la politique américaine. Les blocages du Congrès, où les Démocrates refusent les réductions de dépenses et les Républicains rejettent les hausses d'impôt, ont empêché les compromis et mené à deux doigts d'une cessation de paiement de l'État américain. Le phénomène du Tea Party, apparu il y a deux ans, a poussé le Parti républicain à se distinguer davantage du Parti démocrate avec une combinaison de libéralisme économique et de conservatisme social. Des recherches montrent que les représentants et sénateurs du Congrès votent davantage en fonction de leur étiquette politique. Même la Cour suprême est divisée entre juges républicains et juges démocrates. Quelle sera l'impact de la polarisation sur l'élection du 6 novembre ?

Pour répondre à cette question, il faut savoir dans quelle mesure l'électorat est lui-même polarisé. Au cours du dernier demi-siècle, les économistes de l'école des choix publics ont donné une définition rigoureuse de la polarisation. Celle-ci existe quand l'électorat est partagé en groupes dont chaque membre préfère un candidat qui représente mieux ses opinions, mais a moins de chances d'être élu, à un candidat qui les représente moins bien, mais court plus de chances d'être élu.

Dans cette perspective, on détermine si la politique est polarisée ou non en observant si les politiciens se rapprochent du centre. Constatons premièrement que l'objectif des politiciens est de gagner l'élection. Si l'électorat n'est pas polarisé, les politiciens en compétition - disons Barack Obama et Mitt Romney - se rapprocheront du centre puisque c'est de ce point central que l'on peut attirer le plus grand nombre d'électeurs. Si, au contraire, l'électorat est polarisé, le centre perd son attrait et les candidats divergeront, chacun tentant de rallier les inconditionnels de son camp. Après que Lyndon B. Johnson eut écrasé Barry Goldwater en 1964, les candidats à la présidence républicaine se sont constamment retrouvés près du centre, l'électorat américain se montrant peu polarisé. La question est de savoir si cela a récemment changé.

L'absence de polarisation n'est pas forcément un avantage. Les minorités deviennent alors invisibles et c'est l'électeur médian (c'est-à-dire la classe la plus ordinaire des électeurs) qui règne sans partage, attirant tous les candidats vers lui. Quant aux inconvénients de la polarisation, ils résident surtout dans l'éventualité de cycles électoraux et d'instabilité politique, un phénomène que le Marquis de Condorcet fut, au 18e siècle, le premier à identifier mathématiquement. La majorité vote à droite, puis vote à gauche, et retourne à droite. Cette instabilité est toutefois médiatisée par les institutions politiques qui, en Amérique comme ailleurs, atténuent les extrêmes.

Quel est l'état de la polarisation politique en Amérique ? Commençons par voir ce qu'il en est à l'intérieur du Parti républicain. Les partisans de la droite religieuse et traditionnelle (anti-immigration, militariste, etc.) se regroupent autour de Mitt Romney, alors que les libertariens favorisent Ron Paul (en même temps que les deux camps prônent différents degrés de libéralisme économique). Le fait que Ron Paul refuse de concéder la victoire et que ses partisans lui restent loyaux suggère une certaine polarisation à l'intérieur du parti. Polarisation, bien sûr, ne signifie pas division égale de l'électorat : Mitt Romney demeure assuré de la victoire.

Que se passera-t-il lors de l'élection du 6 novembre ?Le vrai test sera là. MM. Romney et Obama pourraient se rapprocher du centre et l'électorat se retrouverait, comme depuis 1964, avec deux candidats portant des cravates différentes mais aux programmes peu différenciés. On devrait alors en conclure que la politique américaine n'est pas vraiment polarisée. Au contraire, les deux candidats pourraient camper sur leurs positions et offrir deux options différentes à l'électorat. Bien sûr, un seul des deux l'emportera, mais on saurait alors qu'il y a au moins deux blocs d'électeurs peu enclins au compromis.

Et ce n'est pas tout. Le Parti libertarien a choisi Gary Johnson, ex-gouverneur du Nouveau-Mexique, pour porter ses couleurs le 6 novembre. Les partisans de Ron Paul reporteront leur vote sur ce candidat.

Un autre phénomène est susceptible d'exagérer la polarisation.Comme des chercheurs l'ont récemment découvert (voir l'article James Adams et al. dans la revue universitaire Public Choice de 2010), même une faible polarisation peut amener deux candidats à camper sur des positions différentes s'ils croient pouvoir ainsi motiver un plus grand nombre de leurs partisans à se rendre aux urnes. L'objectif est important quand on sait que moins de 60% des électeurs américains votent lors des scrutins présidentiels.
 

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Commentaire 1
à écrit le 29/05/2012 à 23:39
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L'oligarchie a mis en place deux partis, un de gauche et un de droite et ils font semblant de vouloir faire quelque chose pour leur peuple, au final c'est bonnet blanc, blanc bonnet, un match truqué, une partie pipée, vu la conjoncture on se demande ...

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