Halte à la dérive de la lutte anti-tabac : à quand la nationalisation de l'industrie ?

Valentin Petkantchin est chercheur associé à l'Institut économique Molinari (http://www.institutmolinari.org).
Copyright DR

Alors que le 31 mai marque la Journée mondiale sans tabac, force est de constater que la lutte contre le tabagisme s'est considérablement durcie. Au-delà d'une fiscalité très lourde, tout un « arsenal » réglementaire vise désormais à « dénormaliser » l'industrie du tabac, en rendant cette dernière non-rentable.

Or, une industrie ainsi « dénormalisée » serait une « proie » facile à la nationalisation, un sujet qui pourrait bien se retrouver dans les débats, si les pouvoirs publics s'obstinent dans cette voie. L'idée d'une nationalisation paraîtra d'ailleurs d'autant moins saugrenue que c'est une vieille tradition en France (la Société d'exploitation industrielle des tabacs et des allumettes ou SEITA n'a été privatisée qu'en 1995).

L'imposition d'un paquet « générique », en vigueur en Australie et ayant fait l'objet de propositions de loi en France, correspond déjà ni plus ni moins à une nationalisation - qui cache son nom - de l'emballage des cigarettes. Avec la disparition du droit d'utiliser un logo, des couleurs, des images, un graphisme, etc., faisant référence à l'existence d'une marque de cigarettes, il n'est plus possible pour les fabricants privés de se différencier, ce qui rendra aussi leur nationalisation à terme plus aisée.

D'autres mesures envisagées pénaliseront directement la rentabilité de l'industrie du tabac comme l'obligation d'une « vente sous le comptoir » ou une taxe sur son chiffre d'affaires, la fiscalité dépassant pourtant déjà les 80% du prix de détail en France.

C'est d'ailleurs dans cette optique d'élimination des profits des fabricants de cigarettes que des militants anti-tabac, notamment au Canada, ont suggéré de nationaliser purement et simplement l'industrie du tabac, en imposant un monopole public plus ou moins étendu. Selon eux, le principal problème - le fait que des gens consomment du tabac - proviendrait des profits réalisés par les compagnies.

Une telle idée repose sur une méconnaissance de la relation entre profit et consommation. Car la causalité entre les deux va en réalité en sens inverse.

C'est la consommation, déterminée par les préférences des consommateurs, qui explique l'existence, ou non, d'opportunités de profit. Qu'il s'agisse du tabac ou de tout autre produit désiré par des individus, ce sont eux les décideurs ultimes en matière de consommation. La seule solution durable pour faire disparaître ces opportunités de profit serait par conséquent qu'ils décident de leur propre chef de changer de mode de vie et d'arrêter de fumer, ce qu'ils ont la possibilité de faire à tout moment, que l'industrie soit publique ou privée.

Ce choix exercé par les consommateurs explique pourquoi la politique de nationalisation serait une impasse. Car si les pouvoirs publics décident d'imposer une diminution artificielle de l'offre de tabac, le marché noir s'y substituera avec son lot d'effets pervers pour la santé des fumeurs et pour les finances publiques. Si au contraire, la lutte anti tabac se fait moins forte, l'industrie nationalisée aura tout simplement un comportement commercial similaire à celui des fabricants privés de tabac. L'objectif de réduction de la consommation de tabac serait tout aussi compromis.

L'expérience montre que ce 2e cas de figure a largement prévalu dans l'histoire. Par exemple, soulignons que la montée du tabagisme après la 2e guerre mondiale a coïncidé avec l'existence de monopoles d'État dans de nombreux pays. En France, le record absolu des ventes de tabac par adulte, soit 7,1 grammes/jour, a ainsi été atteint en 1975 sous le monopole public de la SEITA.

De même, le marché chinois qui compte 350 millions de fumeurs (soit plus que la population totale des 17 pays de la zone euro) demeure sous contrôle d'un monopole public, la China National Tobacco Corporation (CNTC). Le profit de la CNTC, soit 16 milliards de dollars en 2010, est supérieur à ceux des trois autres plus importantes compagnies privées de tabac réunis (Philip Morris International, British American Tobacco et Altria). Et si en Occident, les politiques risquent de mener à la nationalisation de l'industrie du tabac, un rapport chinois estime que la priorité, au contraire, devrait être de « casser le monopole du tabac » dans leur pays.

Enfin, le marché de l'alcool au Canada fournit une preuve supplémentaire de ce qui se passerait en cas de nationalisation, même quand l'objectif visé est explicitement celui de la santé publique. Le commerce d'alcool a, en effet, été nationalisé dans ce but dans des provinces comme le Québec. Pourtant, l'augmentation de la consommation d'alcool y a été plus importante (+21,7%), entre 1993 et 2011, que dans la province de l'Alberta (+8,3%) où le commerce est pourtant privatisé depuis 1993.

À l'évidence, ce n'est pas parce qu'une industrie est nationalisée que la consommation du bien en question diminue ou y est plus faible qu'ailleurs. Mais ce n'est pas tout.

L'industrie du tabac recouvre un ensemble d'activités diverses et variées où la notion de profits et pertes privés jouent un rôle informationnel et incitatif important, limitant les gaspillages. En leur absence, une industrie nationalisée ne pourra pas être gérée efficacement et représentera un risque opérationnel, d'autant plus important qu'elle se trouve dans un monde concurrentiel.

Le cas de la SEITA - notamment après l'ouverture partielle de son monopole en 1976 - l'illustre bien, avec des pertes de parts de marché de 20% et des déficits atteignant l'équivalent de plus de 220 millions d'euros en 1980. Un tel risque d'exploitation serait indiscutablement malvenu de nos jours alors que les pouvoirs publics affichent leur volonté de stopper le dérapage des finances publiques.

Une nationalisation de l'industrie n'est pas une solution aux problèmes de santé, causés par le tabagisme. Il faut prendre conscience de la dérive dans laquelle nous engage, volontairement ou non, la lutte actuelle anti-tabac, susceptible de mener à terme à une telle nationalisation.

Valentin Petkantchin a publié deux études sur le thème du tabac intitulées Et si on interdisait tout simplement le tabac ? et De la dénormalisation à la nationalisation de l'industrie du tabac ?
 

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 35
à écrit le 05/06/2012 à 22:16
Signaler
Je suis pour une pénalisation à outrance du tabagisme, l'interdiction totale de tabac et de toute substitution médicamenteuse.Lol...les masses laborieuses privées de leur anxiolytique et lobotomiseur quotidien prendraient enfin conscience du monde te...

à écrit le 03/06/2012 à 13:50
Signaler
Je ne suis pas fumeur et ne l'ai jamais été, mais qu'on n'arrête ce harcèlement des fumeurs sous couvert de "bien public"... Que l'on éduque oui, que l'on explique oui, mais arrêtons ces comportements liberticides ! Il y a indéniablement comme l'a di...

le 03/06/2012 à 20:35
Signaler
J'entends vos arguments, et je suis tout comme vous attaché aux libertés publiques. Maintenant, permettez moi, sans polémique ni morgue, de vous conseiller un petit tour dans les hopitaux, en cardiologie ou en cancérologie. Vous y verrez des méfaits ...

à écrit le 02/06/2012 à 14:55
Signaler
La finance dans laquelle vous semblez baigner vous a apparemment fait perdre ce qui caractérise un homme, càd le lien social qui nous rassemble et font de nous des gens civilisés. Evoquer le tabagisme d?un point de vue purement financier frôle la rép...

à écrit le 02/06/2012 à 7:47
Signaler
une bonne tete de lobiste le tabac ne devrait pas etre nationalise mais totalement interdit ou bien que la facture des cander du tabac soit impactée sur les industrie du tabac

à écrit le 01/06/2012 à 17:36
Signaler
Article, au mieux erronné, au pire scandaleux. J'aimerais savoir qui paye notre journaliste. Les dégats en cardiologie, et cancérologie ne sont plus à prouver. Je conseille aux sceptiques un stage d'une journée en rééducation cardiaque histoire de bi...

à écrit le 01/06/2012 à 9:45
Signaler
Liberté? Ou es-tu? Liberté? Vie tu? Liberté? Pourquoi nous avoir laissé? Et si les gens avez simplement envie de fumer? Et si fumer était un simple plaisirs quotidiens ou hebdomadaire ou encore plus passager ? Ah oui bien sur vous criez aux lobbyism...

à écrit le 31/05/2012 à 11:19
Signaler
Normal, Il y a l'aristocratie qui mange bien mais il faut pas oublier la dîme de tout ce petit système périphérique qui n'a pas non plus fait voeux d'anorexie.

à écrit le 31/05/2012 à 10:54
Signaler
augmenter les taxes encore et encore pour les jeter dans un vide idéologique, c'est stupide.

à écrit le 31/05/2012 à 9:33
Signaler
Faites comme moi, arrêtez de fumer. Pour moi ca a été l'hypnose mon moyen d'arrêter. Et c'est vraiment la liberté retrouvée. Sinon pour le prix du tabac, tant qu'il n'y aura pas d'harmonisation euopéenne, la France se mettra une balle dans le pied. D...

à écrit le 30/05/2012 à 22:14
Signaler
Pour info : Cela fait deux ans que je n' achète plus mon tabac en France . Je fais donc partie des statistiques ( érronées ) des fumeurs qui ont arrêtés , suite à l' augmentation du prix des cigarettes ! Pour vous donner une idée : j' achète au Luxem...

le 30/05/2012 à 23:48
Signaler
Mauvais Français, le mieux ce serait de ne pas fumer.

le 31/05/2012 à 8:59
Signaler
Mauvais Français ou non, il a le droit de faire ce qu'il désire, de fumer et d'acheter son tabac ou il veut ! Liberté Egalité Fraternité non ? ce n'est pas celà la vrai devise française ??

le 31/05/2012 à 9:33
Signaler
Mauvais Français ?? Humour ou pas, cette remarque a des relents nauséabonds...

à écrit le 30/05/2012 à 18:43
Signaler
Les prohibitions ont toutes échouées, que ce soit l'alcool ou d'autres produits ! Un jour, est-ce qu'il y aura un esprit censé qui proposera une recherche sur la dépendance tabagique, autre, que celles des fabricants ? On peut raisonnablement supp...

le 01/06/2012 à 8:42
Signaler
Ah je conaissait pas le snuss! ...qui du coup s'avere être aussi adictif que le tabac, mais 10 fois moins mortel > http://fr.wikipedia.org/wiki/Snus

à écrit le 30/05/2012 à 16:35
Signaler
Est ce qu'on peut savoir combien ce monsieur recoit de l'industrie du tabac pour ecrire de tels articles?

le 30/05/2012 à 23:53
Signaler
quel rapport ?

le 31/05/2012 à 1:02
Signaler
c'est tellement évident qu'il est vendu que c'est drôle, il ne faut pas oublier que la Tribune fait de la publi-information maintenant, ça se voit et c'est sympa !

le 31/05/2012 à 9:54
Signaler
C'est clair qu'il y a un parti pris ! ça en fait mal aux yeux ^^

à écrit le 30/05/2012 à 16:15
Signaler
L'industrie du tabac est responsable de plus de mort que les deux guerres mondiales réunies, de plus de morts que le communisme, le fascisme et le nazisme réunis. Ne nous trompons pas d'ennemi : ce ne sont pas les idées, les nationalismes et les inte...

le 31/05/2012 à 1:19
Signaler
et vous n'avez jamais pensé aux 2.000 bombes nucléaires qui ont déjà explosé dans l'atmosphère? j'ai connu 3 personnes qui sont morts d'un cancer des poumons aucune ne fumaient, en revanche , j'ai connu une mamie qui fumait ses deux paquets de gitane...

le 01/06/2012 à 17:33
Signaler
Entièrement d'accord avec Gorrtna, et la réponse de vliuvluq est au mieux à coté de la plaque, sinon débile... Pour avoir passé du temps dans un service cardio vasculaire, je vous confirme l'horreur inimaginable des méfaits du tabac...et le calvaire ...

à écrit le 30/05/2012 à 15:28
Signaler
Très bonne idée! Vite profitons en pour nationaliser l'industrie de l'amiante, injustement attaqué, faisons de même rapidement pour le médiator!

à écrit le 30/05/2012 à 14:59
Signaler
L'article fait comme si le marketing et la communication des cigarettiers ne poussaient pas les consommateurs (surtout les plus jeunes) à devenir fumeurs. Et les produits rajoutés exprès pour augmenter la dépendance ? c'est toujours la volonté des c...

à écrit le 30/05/2012 à 14:41
Signaler
Curieux cet article ou Mr lentin Petkantchin veut parler profit et le libre arbitre du consommateur, mais à aucun moment parle de l'impact sur la santé publique, ni du lobby puissant de cet industrie qui a réussi pendant plus de 40 ans à minimiser le...

le 30/05/2012 à 17:09
Signaler
ces plutot la demande qui fait l offre comme toute les drogues l alcool le sexe

le 31/05/2012 à 9:04
Signaler
L'impact sur la santé publique .. allons allons, parlons en .. Quid des lobbys et industries du pétrole (qualité de l'air, augmentation des cancers en tout genre) Quid de la qualité des produits de supermarché (acides gras poly saturés, huile de pa...

à écrit le 30/05/2012 à 14:39
Signaler
à quand la nationalisation de l'industrie ?... pas dit que ça fasse un tabac !

à écrit le 30/05/2012 à 13:27
Signaler
Les nationalisations permettent aussi de caser des tas de copains du pouvoir en place. On l'a vu en 1981.

le 31/05/2012 à 9:07
Signaler
Les privatisations c'est encore mieux, on donne des marchés juteux pour deux francs six sous à ses amis.

à écrit le 30/05/2012 à 13:11
Signaler
Et si l'Etat faisait fabriquer et vendre, dans les bureaux de tabac un inhalateur de nicotine à un prix inférieur à celui d'un paquet de cigarettes, en interdisant en même temps toute autre substance que le tabac dans la composition des cigarettes ? ...

le 31/05/2012 à 1:04
Signaler
Chut c'est candaleux ce que vous dite Patrice, attention il n'est pas question de lutter contre le tabagisme qui soulage les systèmes de retraite, mais de taper le porte-feuille des clients en faisant mine de se soucier de leur santé.

le 31/05/2012 à 11:50
Signaler
On dit que la nicotine est présente naturellement dans le tabac?

le 01/06/2012 à 9:18
Signaler
La nicotine provoque des effets néfastes cardiovasculaires en augmentant la fréquence cardiaque. La nicotine diminue le diamètre des artères irriguant les mains et les pieds provoquant une baisse de leur température. Et elle est très addictive . Mai...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.