Secret des affaires : l'espionnage, c'est le vol !

Dans cette tribune, Me Olivier de Maison-Rouge, avocat, membre du Comité scientifique de l'Institut international d'intelligence économique et stratégique, détaille pourquoi il est important d'inscrire dans la loi le vol de données confidentielles. Il donne des pistes pour améliorer les propositions de texte, dont le "confidentiel entreprise" porté par Bernard Carayon, qui actuellement enlisé dans une ornière parlementaire.
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La proposition de loi de Bernard Carayon relative à la violation du secret des affaires, aussi dénommé par le grand public «confidentiel entreprise», étant engoncée dans une ornière parlementaire en raison des récents changements de majorité, il nous appartient d'énoncer les opportunités qui se présentent désormais au gouvernement actuel, lequel semble vouloir s'intéresser à son tour au sujet.
Notons avec satisfaction que cela démontre que cette matière n'est absolument pas clivante, dès lors que le but recherché est d'intérêt général, se proposant d'offrir un cadre juridique pour la protection des secrets de l'entreprise et indirectement pour la défense des emplois et de l'outil de production.
Par-delà droite et gauche, ce serait la réponse nécessaire au besoin criant des entreprises confrontées à un contexte globalisation et de crise économique.

En premier lieu, rappelons que si de nombreux textes existent en matière pénale afin de réprimer divers comportements susceptibles de porter atteinte au patrimoine informationnel de l'entreprise, il n'en demeure pas moins que le droit français ne définit pas la notion de secret des affaires. Ne serait-ce pour cette raison, il est impératif d'insérer un texte permettant de circonscrire juridiquement le sujet et de servir de maître-étalon dans toutes les branches du droit et devant toutes les juridictions, dont l'appréciation est aujourd'hui à géométrie variable.

En second lieu, il convient de revenir sur l'alternative qui s'offre au gouvernement :

? La première voie consisterait à vouloir créer une nouvelle infraction qui serait la divulgation des secrets d'affaires. C'est précisément la voie qu'avait empruntée le précédent gouvernement.
Si nous avons participé à ces travaux, et sans vouloir trahir ici le secret de la confession, nous n'avons jamais dissimulé notre critique envers cette option, d'autant qu'elle aurait eu pour effet de faire doublon avec l'abus de confiance, désormais largement reconnu par les tribunaux répressifs en pareille manière, et avec la violation des secrets de fabrication, d'appréciation somme toute plus restrictive, comme vu dans l'affaire Michelin.
Et d'ailleurs, c'est désormais un secret de Polichinelle, le Conseil d'Etat, sollicité sur le projet de texte initialement présenté par la Chancellerie, a rendu un avis des plus sévères, estimant qu'il ne fallait pas poursuivre plus avant dans cette entreprise hasardeuse, en regard de l'incompatibilité avec le principe de la légalité des peines et des délits. Suite à ce jugement sans appel, et pour éviter de devoir à nouveau subir la censure du Conseil, Bernard Carayon devait s'emparer du même texte, saupoudré de secret-défense redondant sur le plan administratif et donc totalement inapproprié à la vie des affaires, lequel différait d'ailleurs très largement des propositions sur le sujet qu'il avait précédemment proposées; ce choix de la voie parlementaire fut retenu dans la mesure où une proposition de loi d'un député n'a pas à subir les fourches caudines du Conseil d'Etat.
Ce texte a néanmoins connu le sort funeste que l'on sait, sans même évoquer l'opposition frontale des entreprises à la lourdeur du nouveau dispositif qui les aurait obligées à revoir intégralement leur politique interne de confidentialité.

? Une seconde voie, jusqu'à présent peu exploitée, serait de vouloir rattacher la violation des secrets d'affaires à un texte pénal général déjà existant. En effet, n'étant pas partisan de l'inflation législative dont les dernières années ont été indéniablement très prolifiques, plutôt que de vouloir absolument créer une nouvelle catégorie d'infraction, ne conviendrait-il pas plutôt de s'inspirer de ce qui a été pratiqué auparavant sur un sujet similaire?

Un précédent : le vol d'électricité

En effet, ne peut-on admettre que l'information économique protégée, plus familièrement appelée «secret des affaires», est un bien meuble incorporel? Auquel cas, il faudrait tout autant reconnaître qu'il est susceptible d'appropriation. Pour l'heure, relevons que peu de décisions de Justice ont consacré le vol d'informations confidentielles, même si la tendance semble néanmoins s'affirmer péniblement au fil du temps. Or, s'agissant de soustraction frauduleuse, les tribunaux, et plus largement la communauté des juristes, semblent oublier un précédent dans l'histoire du droit : le vol d'électricité. Cette énergie constitue sans conteste un bien immatériel, au même titre que nos informations économiques secrètes. Les tribunaux ont élaboré dès 1912 une jurisprudence constituée autour de la soustraction frauduleuse d'électricité, et il aura cependant fallu attendre 1992 pour que cette appropriation illicite soit associée au vol par l'insertion d'un article en ce sens dans le Code pénal, créant une sous-catégorie de vol.
S'agissant du secret des affaires, nous ne proposons rien de plus simple que d'insérer de la manière un article 331-2 du Code pénal lequel stipulerait que «l'appropriation frauduleuse des informations économiques protégées est assimilée au vol». Cela permettrait en outre d'évacuer la question relative à la simple copie de données numériques qui avait obligé certains tribunaux à se prêter à des contorsions pour aboutir à une qualification juridique pour le moins téméraire (vol de temps-machine, vol-reproduction).

La violation du secret des affaires par voie de divulgation rate sa cible

Au-delà de ces questions d'options législatives et de méthodes, il convient de souligner qu'en comparaison, les deux infractions différent radicalement et ne visent pas le même objectif.
La divulgation se propose de réprimer exclusivement la diffusion d'informations confidentielles. Outre le fait que cette action est déjà sanctionnée par d'autres textes existants, dans le cadre de la révélation, seul l'auteur de la révélation serait sanctionné. En d'autres termes, on peut imaginer que l'exécutant de la divulgation, qui serait «l'espion» mais également jusqu'au journaliste lui-même, serait condamné pour avoir révélé des données secrètes, tandis que le commanditaire de l'opération clandestine entré en possession des informations tant recherchées ne serait pas inquiété (puisqu'il n'existe pas de recel de divulgation). Ce faisant, on peut affirmer sans détour que la violation du secret des affaires par voie de divulgation rate sa cible, en dépit de bonnes intentions. En outre, dans le même ordre d'idée, partant du postulat que ce texte aurait pour principal objectif de réprimer l'espionnage économique, il faut au préalable admettre que l'espionnage ne réside pas dans la divulgation, au sens de la diffusion au grand public, mais dans l'acquisition et la collecte illicites et la communication au concurrent (ou à un commanditaire), d'autant que la plupart des secrets industriels ou commerciaux n'intéressent qu'un nombre limité d'acteurs économiques.

C'est pourquoi, il faut revenir à l'essence même de l'acte d'espionnage qui doit être perçu comme une forme de vol à défaut d'être une violation.
Dans ce cas de figure, l'auteur de l'infraction ainsi constituée, contrairement à la divulgation, serait l'exécutant, mais également le donneur d'ordre poursuivi pour recel, tandis que, pour peu que les moyens employés ne relèvent pas de cette infraction, les journalistes ne seraient pas inquiétés puisque, a contrario, la révélation n'est pas une soustraction. CQFD.

S'inspirer du droit de la propriété intellectuelle

Quant au reste, afin de parfaire notre réflexion sur le sujet, peut-être serait-il judicieux de s'inspirer de ce qui se pratique en droit de la propriété intellectuelle, à savoir laisser une faculté entre l'action pénale, par nature répressive, et une voie civile qui se cantonne à la réparation du préjudice. Les entreprises pourraient ainsi agir sur option de procédure, afin notamment d'éviter parfois à faire face à la médiatisation de certaines affaires, plus préjudiciables à leurs intérêts en définitive que l'infraction dont elles ont été victimes. Etant précisé que les cocus n'aiment pas être désignés en public...
De même, et toujours dans l'esprit du droit de la propriété intellectuelle, partant du postulat que les secrets d'affaires peuvent être assimilés à des créations intellectuelles de nature économique, à l'instar des logiciels, brevets ... faudrait-il prévoir une dévolution à l'employeur/investisseur, afin d'éviter tout conflit sur la propriété des secrets d'affaires. Etant acquis que l'on ne peut voler que ce qui appartient à un autre, il faut donc conférer la propriété à son titulaire qu'est l'entreprise.
En s'inspirant de cette modeste analyse, l'introduction en droit de l'information économique protégée aura globalement répondu à l'attente des entreprises. Rappelons que la première des libertés n'est-elle pas la sécurité des biens et des personnes?

 

par Olivier de Maison-Rouge, avocat, membre du Comité scientifique de l'Institut international d'intelligence économique et stratégique, auteur du "Droit de l'intelligence économique" (Lamy Axe Droit)

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Commentaires 3
à écrit le 14/11/2012 à 18:38
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à Janez : Vous avez parfaitement rectifié. vous avez raison il 'sagit de l'article 311-2 du Code pénal. Bien vu !

à écrit le 13/11/2012 à 18:49
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Le vol et la vente de données par les entreprises est-elle legion pour ces entreprises? exemple: je me suis inscrit pour gagner un scooter dans une grande surface de renom..une grande entreprise...Bref ...pas de chance dans les 5 jours qui ont suivi ...

à écrit le 13/11/2012 à 10:46
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Pour l'article du Code Pénal mentionné, ne s'agit-il pas plutôt du 311-2 ?

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