"Il y a une véritable géopolitique des tubes au Sahel"

La prise d'otage d'In Amenas en Algérie vise le coeur économique du pays: ses intérêts énergétiques. Pour La Tribune, Mehdi Taje, géopoliticien tunisien spécialiste du Sahel et du Maghreb, analyse les enjeux économiques et politiques de cet événement et de la guerre au Mali.
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Quelle menace la prise d'otage d'In Amenas fait peser sur les intérêts économiques de la région ?

Mehdi Taje - Cette attaque témoigne d'une vulnérabilité des installations pétrolières et gazières, cela créé un sentiment d'insécurité dans la région. Or, l'Algérie ne peut se permettre de voir échapper la manne du pétrole et du gaz. Les hydrocarbures sont la colonne vertébrale de son économie. Cette opération est surtout révélatrice. Les assaillants se seraient infiltrés à travers les lignes maliennes, ils ont donc traversé des centaines de kilomètres pour se rendre à In Amenas. Or, cet été, et suite à l'intervention de la France, l'Algérie a renforcé son dispositif de sécurité et fermé sa frontière. Donc, soit l'armée et les services de sécurité algériens sont composés d'incapables - ce dont je doute fermement - soit ces terroristes ont bénéficié de complicités de très haut niveau.

Selon vous, le terroristes auraient été manipulés par des personnalités hauts placées à Alger ?

Il faut en revenir à la sociologie politique de l'Etat algérien. Bien malin celui qui est en mesure d'affirmer avec certitude où est le pouvoir algérien. Je ne veux pas accabler le président Bouteflika, la situation est complexe et il faut prendre en compte une certaine ambiguïté. Ceux qui s'expriment publiquement ne représentent que la partie visible de l'iceberg. Il y a un centre du gouvernement légitime mais à côté gravitent des clans à différents niveaux qui tentent de capter la rente pétrolière et gazière ainsi que le pouvoir. Mon analyse c'est que dans la crise malienne, Alger s'est posté en partisan du règlement politique négocié. Suite à la résolution 2085 des Nations unies, des Algériens ont pu réaliser que l'intervention militaire non seulement était certaine mais devenait inéluctable. Et, qu'en réalité, pour certaines puissances, à la suite de la chute de Ben Ali, de Moubarak et de Kadhafi, il est devenu temps d'assaillir une dernière citadelle : l'Algérie.

Bouteflika a pris pleinement la mesure de cet enjeu et a tenté de faire émerger une nouvelle génération, mais il s'est heurté à des clans. D'où sa volonté d'obtenir un quatrième mandat. Contre lui, ces clans utilisent tout ce qui peut le discréditer, notamment la situation sécuritaire. C'est dans ce prolongement qu'il convient d'analyser les événements d'In Amenas. Mais attention, nul n'est dupe. Cette situation intérieure explique la réponse mesurée des autorités françaises, américaines et britanniques qui vise à ne pas trop accabler le président Bouteflika. Ils ont compris qu'il y avait des luttes de pouvoir et donc qu'il était inutile d'enfoncer le clou. Le Japon, dont les ressortissants ont payé un lourd tribut, ne connaît pas cette réalité, et a donc réagi différemment.

Quelles seront  les conséquences de cette attaque pour l'Algérie ?

Le président Bouteflika est extrêmement fragilisé car il peut finalement lui être reproché de ne pas avoir su maintenir la sécurité et d'avoir ouvert l'espace aérien algérien - et ce quand bien même les avions français ne l'on pas emprunté mais son passé au-dessus du Maroc. Toute cela va le fragiliser sur le plan interieurl et sur le plan diplomatique.

Jusqu'à aboutir éventuellement à son renversement ?

A ce stade, je ne pense pas. Quelle sera l'issue de cette lutte relativement à sa succession ? Nul ne peut le prédire aujourd'hui.

Au Sahel, dans quelle mesure les rapports de force entre les acteurs occidentaux - les Etats-Unis et la France notamment - sont-ils bouleversés ?

Il faut d'abord se souvenir que la France s'est désengagée de l'Afghanistan, pas les Etats-Unis. En outre, ces deux pays souffrent de la crise économique. Les Etats-Unis laissent faire la France en lui apportant le strict minimum en terme d'appui. Un peu comme en Libye, les Etats-Unis laissent la France aller en première ligne. Mais, au final, leurs intérêts convergent : sécuriser les richesses énergétiques de la zone sahélienne et dissuader les puissances rivales que sont la Chine, la Russie, mais aussi l'Inde et le Brésil dans une moindre mesure.

Comment se traduit cette rivalité ?

Les concurrents sont surtout les Chinois. Ce sont eux qui ont permis au Niger de devenir producteurs de pétrole il y a moins d'un an et demi. Il y a une véritable géopolitique des tubes au Sahel. Les oléoducs et gazoducs y sont cruciaux. D'ailleurs, les richesses naturelles ne sont pas que pétrolières ou gazières. L'uranium occupe une place stratégique notamment pour la France. Sur le sujet, les Chinois sont en embuscade : ils sont en train de négocier avec le gouvernement du Niger, ce qui fragilise la position d'Areva. Et le nord du Mali recèlerait davantage d'uranium que le Niger... Il faut aussi prendre en compte le fer, le phosphate et les terres rares.

Dans quelle mesure la chute du régime de Kadhafi a-t-elle contribué à rebattre les cartes?

L'opération libyenne a été l'étape liminaire ouvrant la voie à un processus d'avancée dans le Sahel. Actuellement, les périodes d'exploration des gisements sont terminés : nous passons à l'exploitation aussi nous sommes dans une phase de lutte pour leur sécurisation. Pour la France, cela a été accéléré. Elle voulait renforcer sa présence de façon 'souple' mais suffisante pour dissuader les Chinois, notamment au Burkina Faso et au Niger. Paris voulait africaniser et européaniser le dispositif afin d'éviter de se faire taxer d'hégémonique et de néocolonialiste. Malheureusement, elle a été prise de court par l'attaque d'Ansar Din sur Konna, elle a dû intervenir rapidement pour éviter un éclatement du Mali.

Comment l'événement d'In Amenas est-il perçu dans votre pays, la Tunisie ?

Les gens sont interloqués par le nombre de Tunisiens parmi les terroristes. Ils étaient 11 sur 32 selon le Premier ministre, soit un tiers des assaillants. C'est énorme. De plus en plus de jeunes désoeuvrés, au chômage, basculent dans l'islamisme radical. Ils sont instrumentalisés. Ce qui se passe au Mali risque de servir de foyer pour le jihad, de capter des jeunes prêts à aller défendre une terre d'Islam agressée par des "mécréants". Cela devient un problème sécuritaire pour la Tunisie car soit ces jeunes meurent au combat, soit ils rentrent encore plus fanatisés et entraînés au combat.

Plus largement, la guerre au Mali et l'attaque en Algérie sonnent-il le glas du "printemps Arabe", autrement dit, va-t-on vers des régimes à la Turque ou plutôt une radicalisation des partis islamistes au pouvoir ?

Les révolutions arabes ont balayé des régimes dictatoriaux dits laïcisants. Elles ont laissé la place aux seules forces capables de se structurer et qui étaient en embuscade : les Frères musulmans en Egypte, ou Ennahdha en Tunisie. Ce n'est pas étonnant. Mais comment ont-ils pu se hisser au pouvoir ? Avec la complicité de puissances étrangères qui les ont aidés financièrement. Je pense par exemple à l'Arabie saoudite et au Qatar. Pour d'autres puissances aussi, la carte de l'islamisme modéré était à jouer, par pragmatisme, par réalisme politique. Il s'agit d'acteurs qui sont totalement favorables à l'économie libérale de marché. Je pense notamment aux Etats-Unis et aux ONG américaines qui gravitent autour du mouvement National Endowment for Democract [NED, Fondation nationale pour la démocratie, association dont le but affiché est de faire progresser les institutions démocratiques dans le monde NDLR]. Elles ont largement participé à la formation des cadres d'Ennahda. Aujourd'hui la Tunisie est traversée par une crise politique, économique et sécuritaire où s'affrontent deux projets de société. La première est basée sur l'Islam et vise à 'débourguibiser' la Tunisie et est à mon sens obscurantiste. L'autre est un projet dit moderniste et progressiste. Elle est à la croisée des chemins.

* Mehdi Taje est géopoliticien, spécialiste du Maghreb et du Sahel. Il travaille notamment pour l'Institut Tunisien des Etudes Stratégiques et pour le Centre stratégique pour la Sécurité du Sahel et du Sahara. Il y a notamment publié une étude intitulée "la réalité de la menace de AQMI à l'aune des révolutions"

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Commentaires 20
à écrit le 23/01/2013 à 18:44
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Pourquoi un algérien est en colère quant le Maroc réclame son sahara , une terre légétime comme celle de l'Algérie ou de Mali. Un marocain ou une marocaine est en colère car l'Algérie s'était prise comme héritier légitime de la colonisation française...

le 23/01/2013 à 22:36
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Vous qui parlais de l?histoire !! Tout d?abord vous devriez dire merci à l?Algérie de vous avoirs délivrer des mains colonialistes, vous avez eu votre indépendance au même temps que la Tunisie 1956 grâce à la révolution algérienne de 1954 qui à obli...

le 24/01/2013 à 11:11
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En parlant de politique coloniale. Le Maroc en politique intérieure continue de suivre la politique coloniale Française de ségrégation de sa population et d'abandon du Maroc inutile (60% du territoire) et développement du Maroc utile (la façade atlan...

le 24/01/2013 à 11:19
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Enfin les algériens n'en ont rien à faire du Sahara occidental, votre Hassan 2 vous a vraiment endoctrinés sur ce sujet. C'est un conflit politique qu'il a créé avec Boumédienne et c'est entre 2 systèmes pas 2 peuples. Ces 2 malades ont vraiment détr...

à écrit le 23/01/2013 à 13:53
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j'ai eu peur que l'on parle d'un concert de Johnny au sahel quand j'ai vu le titre sur les tubes. Pourquoi un homme comme Bouteflika ne raconte t il pas tout ce qu'il sait ? Pourquoi les anciens dirigeants ne révèle t il pas de secret à l'approche ...

à écrit le 23/01/2013 à 11:20
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LA réalité nous la connaissons, amis nous ne voulons pas l'admettre... Cela me rappel l'époque FrancAfrique, ou tout la France et les medias pretendaient que cela n'était qu'une pure calomnie... et pourtant L'année dernière un reportage officiel sur ...

à écrit le 23/01/2013 à 0:13
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Il est assez probable que des algériens informateurs internes au site gazier ont été libérés par les terroristes ; s'il est difficile de juger la méthode des militaires celà est affaire de spécialistes , pour la suite que va faire Alger des agresseur...

à écrit le 22/01/2013 à 21:10
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Vous voulez vraiment savoir toute la vérité sur cette affaire macabre ? Alors lisez-moi attentivement pour comprendre tous les dessous des cartes de cette affaire !!!!!!! Ansar Dine est un groupe former par les Etats Unis ?CIA? , avec l?extrême colla...

le 23/01/2013 à 0:59
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Si dans Ansar Dine il y a des soldats maliens formés par les américains, ce n'est pas une volonté des américains mais une "défection" d'une partie de l'armée du Mali venue les rejoindre, plus attirée par ce qui lui était proposé via leurs divers traf...

le 23/01/2013 à 2:47
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L?Algérie possède toute la légitimité pour traîner la France devant les tribunaux internationaux ! Personne est aveugle, tous les petits foyers d'instabilité tous au tour de l?Algérie, s?ils vous interpellent pas, soyez sûrs que les Algériens le son...

le 23/01/2013 à 10:06
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mais oui c'est la faute des us , de la france , mais pas des l'algerie, et de tous les pays qui elisent des islamistes , ou ont des dictatures. !

le 23/01/2013 à 11:14
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revisé votre histoire... Colonialisme Britannique et Francais en Afrique, époque France-Afrique avec les dictateur au pouvoir.... FOrmation, armement des moudjahidine et djihadiste contre le communisme.... L'Europe et les USA (leur gouvernement) ont...

le 23/01/2013 à 17:01
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L'histoire, tout le monde la connait. Mais la guerre d'Algérie ça commence à dater. Je ne suis plus un gamin et pourtant lorsque je suis né, tous ces pays étaient déjà indépendants depuis un moment. Alors je ne nie pas les erreurs commises par la Fra...

le 23/01/2013 à 23:54
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Il suffit de chercher BP + paramilitaire armée privée. En gros BP a déjà une armée privée ultra puissante et à la pointe de la technologie... toute cette affaire est une vaste farce.

le 24/01/2013 à 10:46
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Bonjour, Le pouvoir Algérien combat le terrorisme islamiste depuis 1995, avec force et probablement aussi avec brutalité. Le GIA puis le GSPC sont-ils des créations de la France ou des USA pour déstabiliser l'Algérie ? NON. Le combat contre ces gro...

à écrit le 22/01/2013 à 18:56
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les Islamistes sont venus de Libye en 2 groupes pour attaquer le site d'In Amenas proche de la frontière( sans doute le principal critère avec la présence de nombreux occidentaux), sans doute 40 hommes chacun, l'un a attaqué un bus pour faire réagir ...

le 23/01/2013 à 1:10
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La prise d'otages était préparée avant l'intervention française au Mali comme un certain nombre d'indications le prouvent. Une des principales demandes était la libération de 100 personnes emprisonnées à Guantanamo, ce qui peut souligner l'un des obj...

à écrit le 22/01/2013 à 18:41
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Ouais! Des géopoliticiens et spécialistes comme lui, il y en a plein dans les cours d'écoles maternelles! Il est spécialiste d'une seule chose, la désinformation! C'est du n'importe quoi cet article comme d'ailleurs les questions!

le 23/01/2013 à 1:14
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Il faut préciser vos arguments et apporter éventuellement des liens ou élements de preuves, çà enrichi le débat et c'est plus crédible. Personne ne connaît tout mais cet article apporte des éléments intéressants. Si on conteste des points il faut ten...

le 24/01/2013 à 10:50
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La critique est aisée, mais l'art est difficile.

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